Légende du reggae, Bob Marley est officiellement décédé le 11 mai 1981 à Miami des suites d’un cancer généralisé. Pourtant, une rumeur prétendant que la CIA serait à l’origine de la disparition du chanteur fait le tour du monde, soutenue notamment par le rappeur T.I..
Icône mondiale du mouvement rastafari et virtuose de son époque, Bob Marley est mort en 1981. Du moins officiellement, car si il est communément admis que le chanteur jamaïcain est décédé des suites d’un cancer généralisé, certaines théories remettent en question les « véritables » causes de sa disparition.
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Un clou infecté à l’origine de la mort de Bob Marley ?
C’est ce que l’on peut observer de façon récurrente depuis quelques années sur les réseaux sociaux, et en particulier Facebook. D’après des articles de sites peu fiables, l’idole aurait été victime d’un assassinat organisé par la CIA. Pour cela, un membre de l’agence de renseignement américaine aurait fait essayer une Converse au poulain de Lee « Scratch » Perry , avec à l’intérieur un « clou imprégné de virus et de bactéries », qui aurait causé la mort de l’artiste. Avec une photo à l’appui, au montage grossier.
Or, comme l’ont parfaitement démontré les Décodeurs du Monde il y a déjà quelques mois de cela, le cliché de l’homme (se revendiquant comme « un ancien de la CIA » dans l’article) est issu d’une banque d’images d’une photographe polonaise. On peut donc largement remettre en question la validité de cette illustration, qui trompe surtout ceux qui veulent y croire.
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Mais alors comment une fake news aussi imparfaite peut-elle se répandre si facilement aux quatre coins du monde ? Par le biais des célébrités, notamment. Si la pseudo-nouvelle a refait surface récemment, c’est en partie à cause du populaire rappeur américain T.I., comme le rapporte le Daily Star. Celui-ci a partagé une photographie de l’article fallacieux le 3 septembre dernier, avec comme simple commentaire: « I’m just gon leave this here…. » (que l’on peut traduire par: « Je pose ça là… »)
Des millions d’abonnés crédules
Or, l’influence du rappeur américain n’est pas exactement la même que celle d’un utilisateur lambda sur Facebook. Avec ses 20,5 millions d’abonnés, T.I. a redonné du poids à une théorie complotiste qui n’attendait que cela. Pour s’assurer de bien faire comprendre sa pensée auprès de ses nombreux followers, l’interprète de Whatever You Like (Paper Trail, 2008) a également partagé cette fake news sur son compte Instagram, où il est suivi par près de 9 millions d’utilisateurs.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les fans les plus crédules ont mordu à l’hameçon, puisque ce contenu viral a – de nouveau – été partagé sur les réseaux sociaux par des internautes du monde entier.
Une existence qui passionne toujours autant
Un procédé classique, et diablement efficace auprès des plus naïfs de cette large audience. De plus, comme le montre le très bon documentaire Marley, réalisé par Kevin MacDonald (désormais disponible sur Netflix), le chanteur jamaïcain s’est retrouvé plusieurs fois au cœur de conflits politiques qui ont failli lui coûter la vie, bien contre son gré. Car si Bob Marley s’est efforcé durant près de vingt ans de répandre un message de paix et de bonheur au travers de ses textes pacifistes, les passions qu’il déchaînait étaient intenses.
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Ce fut le cas, un soir de décembre 1976. Alors que Bob Marley et les Wailers – désormais accompagnés des trois chanteuses I-Threes, parmi lesquelles sa femme, Rita Marley – répètent chez eux, ils sont la cible d’une tentative d’assassinat par arme à feu de la part de six hommes. Si le chanteur s’en sort indemne (« un miracle », selon certains témoins) et préfère attribuer cet acte odieux à « l’oeuvre du diable », il ne fait aucun doute qu’il s’agit avant tout d’une tentative de meurtre motivée par des raisons politiques. Deux jours plus tard, il livrera tout de même un concert d’anthologie pour la paix du peuple jamaïcain, devant près de 100 000 personnes.
« Le contexte politique est tendu, à l’approche des élections les jeunes se tirent dessus dans la rue. Je sais que tous mes frères s’entre-tuent, ça m’écoeure, tout ce sang, pour deux hommes corrompus. Et vient mon tour, lorsque ces fous pénètrent dans ma cour en plein jour, et tapent sur leur gâchette comme des sourds », chantait à ce propos le groupe Danakil dans leur morceau Marley qui retrace la vie du chanteur (c’est cadeau).
« Ses combats sont encore à mener »
Une histoire riche et symbolique, qui suscite toujours autant la fascination, et même l’imagination de certains. La vie de Bob Marley, bien que courte, comporte tellement de chapitres qu’elle est la matière parfaite pour nourrir des théories du complot.
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Pour Stéphane Letourneur, auteur du livre Bob Marley, rebelle reggae (éditions OSLO, 2011) l’artiste jamaïcain est « une bonne affaire pour les lanceurs de fake news. Il est encore une star planétaire pour un public qui rassemble plusieurs générations. Toujours le plus célèbre représentant d’un genre musical, la personnification du mouvement rasta. Lancer une rumeur sur lui, c’est capter à coup sûr de précieuses minutes d’attention. »
Également professeur documentaliste, Stéphane Letourneur tente quotidiennement d’apprendre aux lycéens à garder un oeil critique sur l’information. Selon lui, Bob Marley « dérange et fascine tout simplement parce que ses combats sont encore à mener. Héraut de la fierté noire, défenseur d’une théorie messianique de libération, il a tout pour déplaire à la fachosphère, pour plaire à l’extrême gauche et aux jeunes. Et si l’on en croit l’enquête de l’IFOP de décembre 2017, ces trois catégories sont des cibles de choix pour les délires complotistes, même si la méthodologie de ce sondage est discutable », nous affirme-t-il.
Un bien triste crépuscule…
« Le cancer est une maladie au cheminement tortueux, mystérieux, où l’irrationnel peut s’engouffrer. Il est facile aussi de croire qu’il était dans le collimateur de la CIA. Bien qu’il appelait surtout à ce que la politique dans son pays cesse d’entretenir la guerre des gangs, il était plus proche de la gauche jamaïcaine, elle-même considérée trop proche de Cuba par les États-Unis », conclut Stéphane Letourneur.
La fin de vie fût pourtant beaucoup plus morose pour Bob Marley, loin de la scène et du public qu’il aimait tant. Après avoir mal soigné un mélanome détecté au gros orteil du pied droit quatre ans plus tôt, l’interprète de Stir It Up se retrouve avec un cancer généralisé particulièrement foudroyant: trois tumeurs au cerveau, une à l’estomac et une aux poumons. Une fin tragique qui débute à New-York, dure quelques semaines en Allemagne où il poursuit une chimiothérapie – qui auront raison des dreadlocks les plus célèbres de l’histoire -, avant de prendre fin à Miami. Robert Nesta Marley décède officiellement le 11 mai 1981, âgé seulement de 36 ans, et laisse derrière lui un genre musical qui périclite, dont il était le génie.
Conclusion: la thèse d’un assassinat de Bob Marley par la CIA est aussi crédible que celle affirmant que Tupac sirote un cocktail sous les tropiques en compagnie de Michael Jackson.
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