L’économiste Michel Aglietta livre sa vision du développement durable, indissociable d’un retour de la puissance publique dans le jeu économique. Il évoque la Chine, un pays susceptible de nous surprendre en matière de politique environnementale.
L’économie de marché est-elle conciliable avec le développement durable ?
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[attachment id=298]Nous sommes dans une période de croissance molle des pays occidentaux. D’un côté, nous avons un capitalisme financiarisé, polarisé sur le court terme, qui s’épuise à trouver des sources nouvelles de rentabilité. D’un autre côté, nous devons faire face à des contraintes environnementales de plus en plus prégnantes dues au changement climatique, et face aussi à des problèmes de rareté de ressources, dont certaines étaient garanties quasi gratuites, comme l’eau. L’exigence de rendements financiers élevés pendant deux décennies a découragé les investissements lourds, tant dans l’énergie que dans l’agriculture. La conséquence est une insuffisance chronique de l’offre en produits primaires en même temps que la demande des pays émergents s’accélère. Cela crée une incertitude massive. Et tout événement climatique extrême, tout sinistre tel qu’une fuite de pétrole en eau profonde, tout conflit politique dans une région sensible provoque des poussées violentes des prix.
Peut-on trouver des solutions à la fois socialement défendables, économiquement viables et satisfaisantes d’un point de vue environnemental ?
Le développement durable doit permettre de commencer à régler le problème massif de l’environnement, tout en sortant les économies occidentales de la croissance basse qui entraîne un niveau inadmissible de chômage. Il ne peut le faire qu’en relançant l’investissement pour développer des innovations techniques capables d’améliorer la qualité de l’environnement. Les visions écologiques radicales peuvent être dangereuses si elles riment avec un arrêt de la croissance. Il faut remettre le capitalisme dans le bon sens avec un dosage d’incitations et de contraintes pour réorienter l’investissement.
Pour cela, vous recommandez la mise en place d’une taxe carbone ?
Sans taxe carbone, le progrès technique va continuer à exister avec des technologies sales. Fixer le prix du carbone est une nécessité pour modifier la tendance du progrès technique. Il faut inciter les innovations dans le secteur des technologies propres, réduire l’intensité énergétique et modifier notre mode de consommation.
Dans quels pays le concept de développement durable peut-il s’épanouir ?
L’Union européenne doit être impliquée, elle qui avait pris les devants après la signature du protocole de Kyoto en février 2009. Les Etats scandinaves sont déjà sensibilisés. En Europe en général, nous assistons à une multiplication des prises de conscience dans la société civile. Les associations privées, les ONG servent de relais. Mais les politiques traînent les pieds. Cela montre que notre démocratie représentative ne suffit pas pour faire des choix à très long terme qui auront des conséquences sur les générations futures. Il va falloir enrichir le débat politique de la participation citoyenne, parce que le développement durable pose des problèmes éthiques qui engagent l’avenir de la civilisation humaine.
Et ailleurs ?
La Chine va certainement être parmi les pays les plus intéressés par le développement durable. Aujourd’hui, en Chine, le problème environnemental se traduit par des tensions sociales qui inquiètent le gouvernement. Les instances dirigeantes de l’Etat ont infléchi les priorités dans le plan quinquennal qui vient d’être adopté. La réduction de l’intensité énergétique, le développement des énergies renouvelables bas carbone, l’urbanisation sous normes environnementales strictes et l’automobile électrique sont au premier plan.
Quels sont les atouts des Chinois ?
Le gouvernement central a une vision suffisamment lointaine dans le temps et suffisamment globale. Les Chinois planifient à des horizons assez lointains. La commission de réforme et développement est une espèce d’organe de planification qui a une autorité d’ensemble. Quand une priorité est validée, le pouvoir central a les moyens de la faire passer. D’autre part, les Chinois ont compris qu’ils pouvaient devenir des leaders mondiaux dans la production de nouveaux équipements durables pour le monde entier. En Chine, les capacités de réaction sont très rapides, c’est lié à la nature du régime politique. Le pouvoir peut aussi influencer directement l’action des entreprises publiques dans les secteurs stratégiques. Et la Chine dispose de ressources budgétaires considérables. Elle est très peu endettée et elle peut investir.
La Chine peut constituer un élément moteur dans la fixation du prix du carbone ?
Je pense qu’elle aura intérêt à introduire une taxe carbone d’ici 2015. Dans le cadre d’un accord international où un prix universel du carbone serait agréé, elle pourrait bénéficier de crédits carbone pour financer les investissements d’abattement des gaz à effets de serre. Comme la Chine va dépendre encore longtemps du charbon, elle a intérêt à attirer la technologie de capture du CO2 et les financements liés.
Doit-on compter sur les Etats-Unis ?
Les Etats-Unis sont actuellement dans un état de paralysie politique qui est lié à l’antagonisme entre les deux forces politiques du Congrès. Aucune décision majeure ne peut être prise. Les républicains sont très liés au lobby énergétique. D’autre part, les Américains croient à l’idée du progrès technique qui se produit spontanément par la seule vertu de la concurrence dans le secteur privé. En outre, aucun politique ne s’est encore hasardé à faire comprendre aux individus que le mode de consommation américain va devoir se transformer profondément. Dans les négociations internationales, les Etats-Unis sont un frein.
Propos recueillis par Stéphane Reynaud
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