Fini les talons, la femme compensée avance à grands pas. Quand elle les vit, Mélinda ne put s’empêcher de dégainer. Les instagramant immédiatement, elle se surprit à remercier les instances supérieures qui avaient permis à une telle idée d’éclore dans un cerveau humain : une paire de sneakers montées sur 15 centimètres de semelles plates-formes […]
Fini les talons, la femme compensée avance à grands pas.
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Quand elle les vit, Mélinda ne put s’empêcher de dégainer. Les instagramant immédiatement, elle se surprit à remercier les instances supérieures qui avaient permis à une telle idée d’éclore dans un cerveau humain : une paire de sneakers montées sur 15 centimètres de semelles plates-formes quadrillés. Customisées à l’occasion d’une présentation, elles sont signées par le jeune et prometteur duo parisien Pièce d’Anarchive, et résument bien, en l’hyperbolisant, un fétichisme prégnant de la mode actuelle : une tendance protéiforme et généralisée à l’ultracompensé. Après la creepers, chaussure prolo de prédilection des Teddy Boys dans les années 50 puis des punks dans les années 80, qui n’en finit plus de frotter sa rondeur crêpée (ou caoutchoutée, selon les versions) sur le bitume des centres-ville, c’est au tour des Buffalo de pointer leur museau. Connues dans les années 90 comme les « Spice Girls shoes », ces plates-formes bigger than life, plébiscitées par la scène rave et cyberpunk, sont devenues, après avoir été bannies pendant deux bonnes décennies, les accessoires des héroïnes pop intergalactiques contemporaines : la chanteuse Robyn, Katie Stelmanis (du groupe Austra), Grimes et sa pote Brooke Candy.
De grandes maisons telles que Marni, Damir Doma ou encore le duo Adieu, qui confectionne de sublimes chaussures unisexes crêpées et sauvages, ont également déclaré leur flamme pour cette semelle épaisse et rassurante, née dans les années 40, comme une réponse à l’aliénante et inconfortable chaussure à talon. A l’inverse du duo stiletto-jupe stylo, qui oblige à faire des pas de fourmi, la compensée s’affirme comme le véhicule identitaire, aussi solide psychologiquement que pneumatiquement, de l’amazone moderne.
Lasse de l’inconfort (chevilles foulées, orteils tuméfiés et on en passe), de la mignonnerie et de la discrétion, qualités « intrinsèquement » féminines et résultant d’une répartition de l’espace genrée, la femme compensée, phallique, pourra déployer son envergure. Chaussée de ces bottes de sept lieues, elle cloue le bec à une performance et à une expérience de la ville essentiellement masculines. Ivre de liberté (elle pourra se mettre à courir si l’envie ou la vie l’y oblige), elle parcourra la ville à grandes enjambées, ses pas entrelacés délimitant un nouveau territoire du moi.
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