A Paris, les arrêtés préfectoraux qui interdisent la vente d’alcool à emporter la nuit dessinent une carte alambiquée. Quels sont les secteurs prohibés et comment expliquer l’arbitraire d’un découpage qui sème l’injustice entre commerçants voisins ?
A Paris, les arrêtés préfectoraux qui interdisent la vente d’alcool la nuit dessinent une carte aux contours incongrus. L’interdiction est portée à 21h00 sur un boulevard, quand sur une rue adjacente, la vente est autorisée toute la nuit. La place de la République peut vendre de l’alcool à flot jusqu’à l’aube, sauf « son côté XIe arrondissement ». Quels sont les secteurs prohibés et comment expliquer l’arbitraire d’un découpage qui sème l’injustice entre commerçants voisins?
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Où sévit la mini-prohibition nocturne
21h30, Paris : alors que vous voulez acheter une bouteille de vin sur le chemin de votre soirée, votre supérette, encore ouverte, vous refuse l’achat en caisse. Raison avancée: on ne vend plus d’alcool après 21h00. Poursuivant votre chemin, cent mètres plus loin, vous trouvez une épicerie qui vous vend votre Bourgueuil sans l’once d’un problème. Alors que s’est-il passé?
L’explication à oublier, c’est que l’interdiction serait due à la taille du magasin. L’explication officieuse pourrait être que l’épicerie passe sympathiquement outre la réglementation. Quant à l’explication officielle, elle est la suivante : sur votre chemin, vous avez franchi une frontière invisible, dessinée par un arrêté de la préfecture de Police qui interdit à tout commerçant d’un même secteur, à partir d’une heure variable, de vendre des boissons alcoolisées à emporter. Comment la préfecture définit-elle ces secteurs ? Comme ça :
Pour voir un zoom et faire apparaître le nom des rues et l’arrêté correspondant (sur la droite de la carte), cliquer sur une zone ou sa légende correspondante. Mise à jour janvier 2010, selon la communication de la Préfecture de Police de Paris.
Libre à chacun de livrer son interprétation de la logique sous-jacente. Elle pourrait globalement correspondre à une superposition approximative d’une carte des lieux festifs et des « quartiers qui craignent ». Reste que, dans le détail, ces formes alambiquées ont de quoi étonner. Un petit bout de telle place dans tel arrondissement, les côtés pairs et impairs d’un boulevard sans ses rues voisines, une oasis isolée dans le VIIIe, un gros morceau du XVIIIe qui prend subitement fin ici mais est relié là par un petit bâton de rue de la Chapelle jusqu’au boulevard Ney… C’est l’arbitraire qui sévit.
Ceux que cela gène le plus sont les commerçants. Philippe Pilliot, délégué général de la Fédération Nationale de l’Epicerie, explique l’amertume de plusieurs épiciers se trouvant dans une zone d’interdiction, à deux rue de commerces qui y échappent. « Les commerçants déjà installés subissent ces arrêtés, avec toutes les conséquences économiques qu’ils induisent: un épicier spécialisé sur les heures tardives peut avoir des chiffres de 50 à 60% concentrés sur la vente le soir. Avec un tel arrêté, il peut enregistrer des baisses d’activité de 15 à 20% sur son chiffre global. »
Découper de tels secteurs, un arbitraire nécessaire ?
La justification générale des pouvoirs publics établit le lien entre vente d’alcool, consommation d’alcool et troubles de l’ordre public en certains lieux. Chaque arrêté s’appuie sur des considérants tels : « Il a été établi qu’un certain nombre d’infractions et d’actes de violence commis dans ce secteur sont directement liés à la consommation d’alcool ; la vente à emporter de boissons alcooliques, particulièrement en période nocturne, peut être à l’origine de tels comportements et constitue un facteur générateur de troubles à l’ordre et à la tranquillité publics, (…).
Il est ensuite avancé que le découpage est certes arbitraire mais, vue la régularité de la publication des arrêtés, le dispositif permet à la préfecture de s’adapter aux circonstances. Sauf que l’adaptation des épiciers n’a rien d’évident : ces arrêtés, auxquels il faut ajouter les arrêtés ponctuels les soirs de matchs de foot et autres manifestations, sont communiqués par bulletin municipal officiel… que personne n’épluche.
« Parfois, la préfecture envoie des lettres à certains commerçants les informant d’éventuels changements, mais la plupart du temps, les épiciers sont très mal informés », rapporte Philippe Pilliot. Les Inrocks ont ainsi appris à un gérant d’un magasin d’une grande chaîne, pendant l’interview, qu’il se trompait en se référant à un arrêté de 2004 pour fermer son rayon d’alcool à 21h00, alors qu’un arrêt de 2009 portait désormais l’interdiction à 22h30 dans son secteur…
La raison d’un tel découpage repose aussi sur l’impossibilité d’une interdiction générale, le droit administratif protégeant la liberté de commerce. D’où une interdiction parcellaire, dans l’espace et dans le temps.
Le député Eric Ciotti avait déposé en 2008 une proposition de loi visant à interdire « la vente de boissons alcooliques à emporter » de 22h00 à 6h00 partout en France, mais elle n’a pas abouti.
Serait-elle préférable ? Pour la Fédération Nationale de l’Epicerie, non. Alors que la carte des interdictions est aujourd’hui décidée entre police, municipalité et parfois associations d’habitants de quartier, le processus de décisions devrait plus impliquer les commerçants.
La Fédération de l’Epicerie propose une charte
« Sur le fond, on comprend pourquoi les pouvoirs publics sont amenés à prendre ce genre de mesures. Mais l’on préférerait qu’ils prennent contact avec nous, comme nous le faisons dans d’autres villes, où l’on pense ensemble à des solutions. Au lieu de cela, à Paris, le dialogue est difficile et on les soupçonne d’un découpage qui avantage certaines grandes surfaces », explique Philippe Pilliot.
Il prend l’exemple de Nantes, où la Fédération a passé un accord avec la préfecture qui avait interdit la vente à partir de 22h00: il permet aux commerçants de bénéficier d’arrêtés préfectoraux nominatifs étendant l’autorisation jusqu’à minuit, s’ils s’engagent, comme les débits de boissons le font actuellement, à respecter le code de la santé publique, à ne pas vendre d’alcool à des mineurs ni à des personnes en état manifeste d’ébriété.
En effet, est-ce régler le problème que de déplacer le lieu d’achat?, se demandent les commerçants. « Non certainement pas« , répond Philippe Pilliot : « Il faut former les épiciers à la prévention et à la mise en oeuvre du code de la santé publique« .
La loi Bachelot de juillet 2009 prévoyaient que les commerçants qui vendent des boissons alcoolisées à emporter la nuit suivent une formation obligatoire avant juillet 2010, celle prévue pour la délivrance du permis d’exploitation de la vente à consommer sur place, sous peine d’une amende de 3750 euros. « Mais la formation n’a toujours pas été mise en place par le ministère, donc tous les épiciers sont passibles d’une telle amende s’il ne se passe rien d’ici juillet..«
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