La Zone à défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes comparée au « Mali », les zadistes à un « mouvement armé » ou encore à des « jihadistes verts »… Un essai militant décortique les abus de langage du pouvoir.
La Bataille de Notre-Dame-des-Landes (L’Harmattan) a été écrit par Jean Petit mais aurait pu être signé Camille, le pseudonyme usuel des zadistes. L’auteur s’est en effet investi dans un comité de lutte contre le projet d’aéroport dès 2012, démarche collective sans laquelle n’aurait probablement pas germé cet essai. Ce réquisitoire militant étudie les mécanismes de domination du pouvoir à travers l’usage d’expressions en apparence maladroites, mais en réalité très étudiées.
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Qu’est-ce qui vous a amené à analyser le discours des partisans du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?
Jean Petit – Confronté régulièrement aux articles sur ce sujet, je me suis aperçu que certains propos n’avaient rien à voir avec la situation réelle. Je me suis demandé pourquoi des gens intelligents, qui connaissaient toutes les subtilités du dossier, en arrivaient à émettre des énormités. Le président de Région Jacques Auxiette est allé jusqu’à déclarer : “Je cherche à faire en sorte que le gouvernement réussisse sur ce projet, qu’il n’y ait pas de dérapage. Ce n’est pas plus compliqué qu’au Mali ! » Certains opposants étaient donc assimilés implicitement à des terroristes puisque, d’après François Hollande, c’était le sens de l’intervention française au Mali que d’aller lutter contre des individus définis comme tels.
Pensez-vous que Jacques Auxiette tiendrait les mêmes propos dans le contexte actuel de « guerre contre le terrorisme » en France ?
A l’époque, Jacques Auxiette est allé au front car Jean-Marc Ayrault était Premier ministre et ne pouvait déjà plus trop se permettre de s’exposer trop directement. Mais le préfet Galliard de Lavernée, suite à la manifestation du 22 février à Nantes, n’hésitait pas lui non plus à parler d’un « mouvement armé ». A priori, ils ont suffisamment d’informations pour bien savoir que les manifestants n’avaient pas d’armes, les autorités se seraient empressées d’en faire circuler des images si cela avait été vraiment le cas.
Quel était alors le but recherché selon vous ?
On peut déduire que l’idée est de faire peur, de manipuler. C’est pour cela que tout le début du livre est consacré à quelques rappels sur les principes de la propagande. Car on n’est plus ici dans le débat. Il y a un saut qui est effectué, on quitte le champ de l’échange d’arguments et de la confrontation saine. J’ai essayé de montrer qu’on était bien dans une volonté d’orienter l’opinion. Et pas de faire exister le débat d’idées. Or on est quand même en droit d’attendre d’élus politiques autre chose que de la manipulation.
Les opposants ont également leurs stratégies de com’, avec le détournement d’acronymes étatiques comme la Dréal, l’utilisation d’un langage poétique pour contraster avec la langue économique, la prise à partie directe des journalistes. Pourquoi se concentrer sur le discours des pro-aéroport ?
Cela ne se veut pas un livre objectif. Il s’engage dans cette bataille, en essayant de désarticuler la rhétorique des partisans de l’aéroport. Ce n’était pas une étude académique sur les batailles de com’ entre les deux camps. Mais je pense que cet argumentaire du pouvoir et des porteurs de projets en général, notamment lié à l’emploi, est transposable à d’autres zones de conflits, à Sivens, à Roybon…
Ce qui s’applique près de Nantes serait donc forcément valable ailleurs ?
Dans chaque ZAD, le contexte est particulier. Mais Notre-Dame-des-Landes est l’idéal-type, qui a ouvert de nouvelles perspectives aux luttes politiques. Avec des gens qui s’opposent à temps plein, dans un engagement complétement existentiel. Qui ne se contentent pas de manifester après avoir emmené les enfants à l’école.
Les forces de l’ordre ont aussi perturbé le ramassage scolaire dans la ZAD…
C’est l’autre changement de paradigme : l’échec de l’opération « César 44 ». Malgré un déploiement massif des forces de l’ordre, avec deux fois plus d’hommes mobilisés au plus fort de la crise qu’en Afghanistan, l’évacuation a échoué. Le pouvoir a eu beau stigmatiser les éléments les plus déterminés, le front était beaucoup trop transversal, entre zadistes, paysans, simples citoyens. Au moment où les premiers contentieux vont être jugés par le tribunal administratif, le 3 juin 2015, le seul moyen de sortir par le haut de la situation pour les pro-aéroport serait finalement une condamnation du projet par l’Europe.
Propos recueillis par Nicolas Mollé
La Bataille de Notre-Dame-des-Landes, Eléments de langage, de Jean Petit, éd. L’Harmattan
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