Spécialiste de l’histoire politique des Etats-Unis, Vincent Michelot analyse les événements de Charlottesville et les déclarations du Président qui renvoie dos à dos suprémacistes blancs et antifascistes. Et de quelle façon ce contexte peut avoir un impact sur les prochaines élections.
Un jour après avoir condamné les événements de Charlottesville, qu’il a qualifiés de “violences racistes” inacceptables, Donald Trump a fait marche arrière en affirmant que les torts étaient “des deux côtés”. Que recherche-t-il d’après vous ?
Vincent Michelot – Il ne s’agit en aucun cas d’un revirement ou d’un retour en arrière. Il n’a jamais ouvertement et directement condamné les mouvements d’extrême droite américains. Les véritables positions de Donald Trump s’expriment lorsqu’il déplore le fait de déboulonner des statues des confédérés et regrette que l’on porte ainsi atteinte à la culture nationale, attisant ce que les Américains appellent les “guerres culturelles”.
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Il a d’abord affirmé que les torts étaient partagés entre extrême droite et antifascistes, puis a lu une déclaration solennelle depuis la Maison Blanche qui visait plus directement les auteurs réels des violences avant de redire sa position de fond, qui est celle du relativisme politique et moral, renvoyant dos à dos manifestants suprémacistes blancs et contre-manifestants.
Que révèlent les événements de Charlottesville de l’état de la droite conservatrice américaine ?
Un état de fracture grandissant du Parti républicain qui a beaucoup flirté depuis Nixon avec la question raciale et qui attire des électeurs de plus en plus conservateurs – depuis l’élection de Donald Trump, ils ont été désinhibés dans leurs discours et leurs actes publics.
C’est un parti profondément inquiet : d’un point de vue démographique, sa base d’électeurs blancs chrétiens plutôt ruraux et âgés se rétrécit. S’ils ne font pas d’efforts en direction des minorités ethniques, qui représenteront bientôt une majorité de la population américaine, ou vers un électorat plus jeune, les Républicains sont condamnés sur le long terme.
D’autre part, les déclarations de Donald Trump à propos des événements de Charlottesville inquiètent également le parti qui craint une rupture avec ses élus au Congrès, dont beaucoup ont dénoncé la position équivoque du Président.
Si le cordon ombilical entre la Maison Blanche et le Congrès est coupé, il n’y aura aucun succès législatif. Ce qui constituerait une véritable menace pour le parti à l’orée des élections de mi-mandat de 2018, puis pour les élections présidentielles de 2020.
Peut-on mesurer la puissance de l’extrême droite américaine et son influence sur la politique aujourd’hui ?
C’est très difficile parce que cette influence est multiforme. Pour autant, il n’y a pas de précédents d’une manifestation aussi importante dans un lieu aussi symbolique et chargé d’histoire. Cette puissance se mesure davantage à travers une forme de frénésie sur les grands médias sociaux ou d’autres espaces virtuels, qui n’en sont pas moins très réels.
Cette extrême droite n’est plus séparée d’une droite conservatrice dure par des lignes infranchissables. Il existe en réalité une perméabilité entre une culture très conservatrice du Sud, qui réactive la mémoire de la guerre de Sécession, et ces mouvements néonazis, suprémacistes, ou identitaires, qui fonctionnent dans une instrumentalisation terriblement dangereuse des symboles de ce conflit.
Ils se sont appropriés un certain nombre d’images comme le drapeau confédéré ou les statues et en ont fait des icônes de la menace qui pèserait, selon eux, sur la culture et l’identité américaines. Pour eux, s’en prendre à la statue du général sudiste Robert E. Lee, c’est s’attaquer à l’Amérique tout entière, une nation blanche qui s’oppose à la mondialisation et au multiculturalisme, à ce qu’ils désignent de ce terme répugnant d’“abâtardissement”.
Plusieurs observateurs imputent la mansuétude de Trump envers ces groupuscules néonazis à Steve Bannon, le puissant conseiller du président des Etats-Unis, et ancien directeur du site de l’ultra-droite Breitbart. Comment expliquez-vous sa soudaine éviction de la Maison Blanche ?
Il m’a toujours paru que la perception de son influence sur Donald Trump était une forme d’exagération. Le président américain n’a pas attendu de prendre Steve Bannon dans son équipe de campagne, puis à la Maison Blanche, pour faire preuve de complaisance vis-à-vis de l’extrême droite ou flirter avec certaines idéologies ou mouvements hautement suspects.
C’est d’ailleurs à l’occasion d’un procès pour discrimination raciale dans les propriétés immobilières qu’il gérait avec son père que Trump a fait sa première apparition dans les médias. Il a ensuite fait irruption en politique autour de la thématique visant à contester la légitimité constitutionnelle de Barack Obama à occuper le poste de président des Etats-Unis car il ne serait pas né aux Etats-Unis.
Donald Trump s’est battu pendant presque un an sur cette question racialement chargée du birtherism. Tout au long de sa campagne, il a insisté sur le fait de rendre sa splendeur à l’Amérique, en prenant des positions inquiétantes sur ce qui faisait la “grandeur” des Etats-Unis. Et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a choisi Steve Bannon au départ, son double malin qui va le pousser un peu plus loin dans cette direction, et qui manie la provocation à merveille, un art dans lequel Donald Trump est passé maître à des fins tactiques en matière électorale.
Mais lorsque Bannon a pris ses distances avec le nouveau secrétaire général de la Maison Blanche, John Kelly, et a critiqué ouvertement les choix stratégiques sur la Corée du Nord pour finalement apparaître comme le marionnettiste d’un Trump sans compas moral, c’en était trop pour l’establishment qui a finalement eu sa peau.
Donald Trump est-il devenu un boulet pour les grands patrons ?
Les deux conseils économiques dissous par Donald Trump n’avaient aucun pouvoir, ils ne décidaient absolument pas de la politique économique des Etats-Unis, mais servaient simplement de décor pour le Président.
Il y a en tout cas une forte charge symbolique dans le fait que des dirigeants de très grandes entreprises américaines claquent la porte et s’indignent du relativisme moral du président des Etats-Unis dans l’affaire de Charlottesville. Mais il ne faut pas oublier que Wall Street et le Congrès sont deux entités très pragmatiques.
Elles examinent cette présidence en se demandant : “Qu’est-ce que le Président nous apporte ?” D’un côté, les grandes entreprises commencent à s’inquiéter de l’échec de la réforme de l’Obamacare qui constitue un mauvais présage de ce qui peut se passer en matière budgétaire et fiscale au Congrès à la rentrée. Et de l’autre, malgré une majorité républicaine dans les deux chambres, le Congrès n’arrive pas à légiférer efficacement face à un président qui ne s’intéresse pas au détail des textes législatifs et ne sait manier que le bâton.
Les élus républicains au Congrès sont aujourd’hui perplexes : lâcher le Président, c’est s’exposer à la colère de sa base électorale en 2018 ; le soutenir, c’est prendre le risque de devenir complice d’une forfaiture politique et de revenir en 2018 les mains presque vides devant les électeurs. Le choix est cornélien.
Quelle peut être la stratégie du camp démocrate, autre que l’indignation, pour combattre Donald Trump ?
Les Démocrates se posent beaucoup de questions. A l’heure actuelle, ils n’ont pas encore de stratégie pour la simple raison qu’ils n’ont pas de leader ; aucune figure n’émerge véritablement à l’intérieur d’un parti profondément divisé entre progressistes modérés et activistes de gauche.
En outre, comme tout parti minoritaire, il est dans la réaction plutôt que l’action et la proposition. Ce qui est certain, c’est qu’à moyen terme les Démocrates ne pourront pas regagner la majorité dans les deux chambres du Congrès et reconquérir la présidence s’ils ne font pas un travail en profondeur dans les Etats.
Jusqu’à novembre 2016, jamais le Parti républicain n’avait été aussi dominant dans les assemblées législatives des Etats américains. Aux Etats-Unis, un parti faible à l’échelle des Etats ne peut prétendre à la victoire au niveau national.
Certes, les Démocrates bénéficieront de l’impopularité de Donald Trump lors des élections de mi-mandat en novembre 2018, et probablement en 2020 mais, pour autant, ce ne pourra être qu’une victoire fragile et par défaut. La réussite du Parti démocrate n’arrivera qu’à partir du moment où il sera capable de faire élire une majorité de gouverneurs appuyés par des majorités dans les assemblées législatives des Etats et dans le tissu politique des comtés.
Les Républicains soutiendront-ils Trump lors des élections de mi-mandat alors qu’ils s’insurgent aujourd’hui ?
C’est impossible à dire. De nombreux observateurs disent que le Parti républicain est en train de se suicider lentement mais sûrement. Tout dépendra aussi des propositions de l’administration Trump en matière fiscale et budgétaire à la rentrée et de leur adoption par le Congrès. Quoi qu’il en soit, les Républicains ont besoin de Donald Trump, et vice versa.
D’un point de vue électoral, l’abandon du Président par le parti garantit une défaite écrasante en 2018 et, sans doute, en 2020. La base électorale de Donald Trump est très restreinte mais elle est tellement militante qu’il serait difficile pour un candidat républicain de l’emporter sans elle dans la plupart des swing states. A l’heure actuelle, le parti est toujours dans une position d’attente, il veut croire que le président des Etats-Unis peut encore changer. Foi du charbonnier ou du paralytique ?
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