On vous avait fait découvrir il y a quelques temps Kim Ki O, un groupe pop féminin DIY venu tout droit d’Istambul. Elles témoignent aujourd’hui de leur engagement dans la contestation turque. Rencontre.
Ekin tient un café/restaurant veggie à Istanbul en parralèle de l’édition de « Bant Mag », un magazine culturel online. Berna bosse dans un cabinet d’architecte à côté de ses études. Toutes deux, forment un groupe de pop féminin underground, baptisé Kim Ki O. Pas fan de “pop music sans saveur », elles préfèrent des mélodies plus sombres, mélancoliques. Profondément impliquées dans la révolte Turque, les deux jeunes femmes racontent leur engagement musicalement politique ou politiquement musical – c’est selon.
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Etes-vous d’accord pour dire que le message de votre musique est politique, notamment dans votre dernier album Grounds, sorti en mars?
Ekin — Nous trouvons la combinaison de la pop et de la politique très inspirante. Dans nos chansons, nous parlons généralement des choses « qui ne vont pas » ,des inégalités de l’injustice… Des déceptions de la vie aussi. On utilise ce que l’on ressent personnellement pour le transposer en messages plus universels. Notre dernier album Grounds est surtout un album plus sombre et lyrique dans lequel nous nous sentons plus à l’aise de chanter ce que nous ressentons.
Berna — On se pose des questions sur notre relation à tout ce qui nous entoure : les hommes, les femmes, mais aussi les animaux, et la nature en général… Nous n’écrivons pas seulement sur la Turquie et son peuple. Notre message concerne tout le monde. C’est logique quand on pense que l’oppression existe dans de nombreux pays.
La musique est donc pour vous un outil de protestation ? Vous êtes engagées dans les manifestations anti-Erdogan depuis le 31 mai dernier, est-ce le cas plus globalement de la scène turque ?
Ekin — Tout art est une prise de position, selon moi. Aucune limite ne doit s’imposer en termes de son, matériel, ou contenu quand il s’agit de dire « non ». Je n’aime pas faire la distinction entre la “musique engagée” et les autres. Je préfère l’idée de partager un point de vue politique à travers des chansons pop accrocheuses. Tant que la musique est honnête… La scène indépendante turque n’a pas été très politisée jusqu’à aujourd’hui, mais cela va changer vu ce qu’il se passe dans notre pays ! Nous revendiquons notre liberté de paroles et d’actes. Et personne ne peut nous arrêter.
Berna — Les chanteurs grand public c’est autre chose, même si certains grands noms ont ouvertement apporté leur soutien aux manifestations. Difficile à dire si cette scène est engagée ou non.
Quel regard portez-vous sur la contestation en Turquie ? Comment réagissez-vous face à l’impassibilité du Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, et la violence des forces de l’ordre ?
Ekin — Nous sommes écoeurées de l’oppression et l’autoritarisme du pouvoir. Nous n’en pouvons plus de l’ingérence du gouvernement dans nos vies. Chaque identité, religion, orientation sexuelle se vaut. Cette violence doit cesser. Justice doit être faite à tous ceux qui ont été tués, blessés, parfois grièvement. J’ai su dès le 1er jour qu’Erdogan ne démissionnerait pas, qu’il ne lâcherait prise. Je suis convaincue que la résistance va se poursuivre et qu’elle aura un écho politique. Je pense aussi que les gens qui ont sous-estimé, ignoré, écrasé cette résistance vont regretter ce qu’ils ont fait. L’important c’est que les gens manifestent solidairement, pour tous ceux qui font face à ces injustices.Nous nous retrouvons tous, dans l’unité. Mais il reste difficile de savoir ce qui va se passer.
Berna — Le soulèvement à Istanbul a commencé par une manifestation pacifique contre des plans d’urbanisme qui allaient transformer un parc en centre commercial. Autrement dit, il s’agissait de revendiquer nos droits dans notre ville. Car finalement, les rues, les arbres, les parcs appartiennent au peuple. D’après une enquête publiée par une université stambouliote, près de la moitié des manifestants sont descendus dans les rues après avoir été témoins de la violence de la police, tandis que les chaînes de télévision étaient aveugles à tout cela. Parmi le nombre infini de violences policières, ce qui me marque c’est la façon dont la police secrète (les partisans du gouvernement) viennent en civil taper sur les manifestants avec des batons ; comment ils cachent les numéros de série derrière leurs casques pendant quelques descentes pour ne pas être identifiés et, lorsqu’ils utilisent finalement de vraies armes, pour tuer – preuve des vidéos amateurs à l’appui. Qu’en est-il des jets de gaz au poivre sur les hôtels, les cliniques, et les hôpitaux ? Difficile de dire ce qui est le plus choquant…
Le clip de « Insan, Insan » (« Humain, Humain » en français), a été tourné dans les environs de la Place Taksim, un clin d’oeil futuriste à ce qui allait se passer quelques mois plus tard?
Ekin — Le clip couvre toute la zone du projet de réhabilitation de Taksim qui couvre aussi le parc Gezi, berceau de la contestation. A un moment, on regarde dans le trou d’un mur en construction avant que Taksim explose.
Berna — La plupart du clip montre des paysages, des forêts et des arbres, ce qui fait bien entendu un parallèle avec le commencement des manifestations à Gezi.
La “résistance » turque vous inspire-t-elle pour de futures compo ?
Berna — Nous n’avons pas encore commencé à écrire des nouvelles compositions mais cela ne saurait tarder. Nous sommes très inspirées. Personnellement, je me sens moins seule, je ressens l’unité et la solidarité de ce mouvement. Ce que nous traversons actuellement a déjà changé nos vies. Personne n’a plus peur de parler et d’exprimer ses opinions désormais.
Ekin — Peut-être que des collaborations entre musiciens vont voir le jour pendant et après ces événements.
Propos recueillis par Marie Monier
La vidéo de leur courte tournée française, sous le signe de la résistance:
http://www.youtube.com/watch?v=xVoh5RRXj-I&feature=youtu.be
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