Des stars décrites comme frivoles semblent déterminées à imposer l’engagement politique comme compétence à part entière. Que révèlent ces femmes d’une autre trempe sur les systèmes de pouvoir et d’image aujourd’hui ?
Posant telle une pin-up sur une table, vêtue d’un tailleur oversize Vetements, un sac vintage Hermès en main, Kim Kardashian paraît égale à elle-même. Pourtant, la business woman au fessier le plus populaire de l’entertainement n’effectue pas la promotion d’un nouveau parfum à la vanille, mais vient tout juste d’effectuer une déclaration à la maison blanche devant un Donald Trump pantois.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Celle qui suit depuis un an des cours de droit proposait en juin dernier différentes réformes visant à améliorer les conditions de détention – en particulier celles des femmes aux Etats-Unis. Après avoir percé grâce à la fuite orchestrée d’une vieille sextape, Kim sillonne à présent les prisons américaines, étudie méticuleusement le système de justice pénale, le tout en n’hésitant pas à en dénoncer les biais racistes. Son histoire d’amour avec la politique débute en 2016, alors qu’elle soutient la campagne de la candidate démocrate Hillary Clinton (et se désole des déclarations de son mari Kanye West, qui ne quitte plus sa casquette « Make America Great Again »).
« Elle montre qu’elle est capable de s’engager sur des sujets politiques sérieux, et ainsi recentre son image, alors qu’elle est soumise à une problématique qui discrimine toutes les femmes célèbres : l’âge. La carrière politique est une pratique courante mais réservée aux hommes (Arnold Schwarzenegger par exemple) », explique Keivan Djavadzadeh maître de conférences en science politique à Paris 8. Alors, simple tactique marketing ?
>> A lire aussi : Kim Kardashian candidate à la présidence des Etats-Unis ? Elle ne dit pas non
Quand Cardi B rencontre Bernie
Rihanna, Cardi B, Beyoncé ou Chrissy Teigen : une armée de déesses lynchées pour leur prétendue frivolité ont gravi les marches du système patriarcal. Tout en affichant des apparats des plus féminins, elles interpellent, à l’aune de la puissance des réseaux sociaux, les dirigeants aux propos racistes et sexistes. En février dernier, Rihanna, artiste, militante et femme d’affaires de 31 ans, à la tête d’une fortune de 600 millions de dollars, rencontrait le président Macron au Sénégal pour évoquer la question de la scolarisation des enfants dans les pays pauvres.
De son côté, la sulfureuse et fortunée rappeuse Cardi B, au langage émaillé de « fuck », échangeait en août dernier avec Bernie Sanders. Du haut de ses 26 ans, l’ex-strip-teaseuse n’a pas manqué d’interroger le candidat démocrate sur le salaire minimum en Amérique. Hier, elles étaient de simples chanteuses ou reines des cosmétiques payées pour faire consommer. Délégitimées par la sphère publique, elles sont parvenues à jouer le jeu de la méritocratie blanche, et imposent aujourd’hui un shaming de l’apolitisme, qui a bien longtemps mutilé le star-system américain.
>> A lire aussi : Comment le vêtement est devenu une arme politique à l’ère des réseaux sociaux
Théâtre apolitique
Le rôle de la star militante a pendant longtemps été relayé par les stars féminines américaines, qui lui préféraient tout de même celui de la mère bienveillante dans le théâtre de l’humanitaire. Audrey Hepburn attendra ses 63 ans, et l’impossibilité d’endosser plus longtemps le rôle de jeune première glamour, pour épouser celui d’ambassadrice de L’Unicef. En 1992, bien loin du sol américain, elle déclarera lors d’un voyage en Somalie : « Prendre soin des enfants n’a rien à voir avec la politique. »
« Pendant longtemps les stars se sont senties piégées lorsqu’il s’agissait de s’exprimer sur des sujets politiques. Le risque est de perdre une partie de son public ou encore le soutien de l’industrie. Dans les années 2000, cela était particulièrement visible dans le hip-hop, ou les femmes occupent une position singulière », explique Keivan Djavadzadeh.
Si du fait des constructions genrées les femmes issues du milieu artistique sont souvent les premières assujetties au silence, le monde du sport n’est pas en reste. Annebeth Jacobsen et Jobst Knigge retracent dans le documentaire Un héros américain (2019) l’engagement politique de Colin Kaepernick dans Black Live Matters. Le film évoque le poids des sponsors et des contrats publicitaires qui ont contraint l’ancienne star des terrains de football à se retirer. Pour ces mêmes raisons, Michael Jordan est longtemps resté loin des débats autour des questions sociales. S’il a soutenu dès 2004 Barack Obama, les réseaux sociaux n’oublient jamais rien, et n’ont pas manqué de rappeler cette phrase prononcée en 1990 par le célèbre basketteur : « Les républicains aussi achètent des baskets. »
Sois politique ou tais-toi
« Un renversement a aujourd’hui lieu. Ne pas se prononcer est vu comme une absence de positionnement, ce que les réseaux sociaux ne pardonnent pas. Cela se perçoit d’autant plus pour les personnes appartenant à des minorités », explique Keivan Djavadzadeh. L’élection d’Obama ou encore la candidature d’Hillary Clinton font ainsi partie des événements historiques qui incitent les célébrités à manifester leur soutien, certaines brillant par leur absence – à l’instar de la star de la country, Taylor Swift.
>> A lire aussi : Dix ans après l’élection d’Obama, ses disciples sauveront-ils l’Amérique de Trump ?
La petite fiancée de l’Amérique puritaine a dû en effet faire patte blanche dans les pages du Vogue américain, où elle a justifié sa prise de distance par rapport à la scène politique. « Elle représente une Amérique blanche : le risque est de perdre une partie de son public plutôt en faveur de Trump, et, d’un autre côté, se prononcer lui permettrait peut-être de toucher un nouveau public, fatigué de son image trop lisse », décrypte Keivan Djavadzadeh.
Sur les réseaux sociaux, les olympiennes stars se livrent à toutes sortes de confessions intimes, lesquelles donnent l’illusion d’une proximité toujours plus intense. Le militantisme politique devient un des partages entre « elles » et nous. Alors que l’Amérique traverse une véritable crise idéologique, où, selon la philosophe féministe Nancy Fraser, les anciennes gauches ne parviennent plus à inspirer confiance, la star devient un pygmalion politique inattendu, mercantile ou non. Comme l’explique Keivan Djavadzadeh, au détour d’une chanson de Beyoncé, certains pourront découvrir bell hooks, ou Patricia Hill Collins.
Des politiques plus à même de traiter les questions intimes, et des stars plus portées sur les questions communes : un nouvel équilibre ?
{"type":"Banniere-Basse"}