Contrairement aux idées reçues, une partie de la population nord-coréenne utilise internet. Même étroitement contrôlé par le pouvoir, cet accès à l’information aura-t-il un impact ?
Faute de pouvoir envoyer un mail ou lancer une conversation sur Skype, les dignitaires nord-coréens sont obligés de parcourir des centaines de kilomètres en hélico pour transmettre un message à un producteur de télé américaine. Cette scène extraite de The Interview, comédie potache avec James Franco et Seth Rogen, correspond assez bien à l’image que les Occidentaux se font de la Corée du Nord.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Il ne se passe pas une journée sans que des internautes ne s’amusent de ses clichés présentant le chef suprême nord-coréen devant un ordinateur, entouré de militaires bardés de médailles. C’est bien connu, le pays dirigé par Kim Jong-un serait un “royaume ermite” peuplé de Pierrafeu technologiques incapables d’ouvrir un mail.
Quelques milliers d’internautes pour 25 millions d’habitants
Sous le gratte-ciel de 105 étages qui domine Pyongyang, le comportement de la jeunesse dorée nord-coréenne contredit cette représentation caricaturale. “Leurs usages ressemblent à ceux de la jeunesse citadine d’autres grandes villes asiatiques, explique la coréanologue Juliette Morillot, coauteur de La Corée du Nord en 100 questions. Portables à la main, ils pianotent, surfent sur le web, jouent à Angry Birds (version nord-coréenne) et commandent même des repas en quelques clics.”
L’accès à internet reste l’apanage d’une élite. Sur une population de 25 millions d’habitants, seuls quelques milliers disposent d’un sésame leur permettant d’accéder au web que nous connaissons. “Il y aurait entre 2 000 et 3 000 adresses IP en Corée du Nord, estime le chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, Antoine Bondaz.
”Seule l’élite du régime y a accès, dont une majeure partie avec un usage professionnel indispensable afin d’analyser au mieux la politique et la communication de la communauté internationale, mais aussi d’obtenir des documents scientifiques en sources ouvertes, etc. Une autre partie en fait certainement aussi un usage récréatif.”
Une récente découverte de Porhnhub le confirme. Le 12 juillet dernier, le célèbre site X a publié un relevé statistiques pointant plusieurs milliers de visiteurs provenant de Corée du Nord au cours des années 2016 et 2017. Suffisant pour relever une appétence prononcée pour les actrices X japonaises mais surtout pour analyser les supports utilisés. 53 % du trafic provient d’ordinateurs, 36 % de téléphones portables et 11 % de tablettes. Preuve que l’élite nord-coréenne bénéficie d’accès à des réseaux wifi.
Un réseau fermé contrôlé par le régime
Le reste de la population doit se contenter de Kwangmyong (“étoile brillante” en coréen), un réseau fermé contrôlé par le régime. Cette sorte d’intranet fonctionne avec un système d’exploitation (Red Star OS) basé sur Linux et un moteur de recherche (Uri Nata, “notre pays” en coréen) ressemblant fortement à Firefox.
Trois millions de Nord-Coréens ayant des portables surferaient dessus. “Quelques milliers de sites sont accessibles, assure Juliette Morillot. Toutefois, seuls vingt-huit sites sont répertoriés par leurs noms de domaine, les autres le sont par leur adresse IP. On y trouve de tout : des sites d’actualité, de sports, de musique, de sciences ou bien encore des jeux.”
Le 20 juin, le régime nord-coréen a lancé son premier site internet officiel. Dédié au ministère des Affaires étrangères nord-coréen, ce site rétro aux couleurs arc-en-ciel donne un aperçu graphique des sites consultés en Corée du Nord.
Un trafic concentré dans la capitale nord-coréenne
Au-delà de l’escalade des tensions avec les Etats-Unis, les nouvelles technologies représentent l’autre grand défi à surmonter pour le régime de Kim Jong-un selon Juliette Morillot. “Elles entraînent fatalement une curiosité au monde. Comment satisfaire une jeunesse qui a développé une avidité pour l’information immédiate ?”
D’autres chercheurs comme Antoine Bondaz sont plus sceptiques sur les effets d’internet : “La ville de Pyongyang est une bulle et ne représente en rien le reste de la Corée du Nord. Une large majorité de la population n’a pas accès aux nouvelles technologies de l’information, pour des raisons financières ou politiques. Quant aux élites nord-coréennes, elles n’ont aucun intérêt à chercher à renverser un régime dont elles profitent.”
La question de l’accès à l’information se pose toujours en Corée du Nord. Avant-hier avec les livres, hier avec les VHS, aujourd’hui avec les clés USB et les smartphones. “Le régime continue de contrôler étroitement la population afin d’éviter qu’un accès même partiel à l’information ne débouche sur une remise en cause de sa légitimité.” Si internet a permis l’accélération du Printemps arabe, elle n’a pas encore fait vaciller le Juché.
…
{"type":"Banniere-Basse"}