On a demandé à ce DJ et producteur, fer de lance de la scène vogguing parisienne quelle était sa conception du style. L’occasion de parler de créateurs qui l’ont marqué, comme Jean Paul Gaultier ou Galliano, mais aussi de déplorer le manque d’engagement politique de la mode actuelle.
Le producteur et Dj français, ami et protégé de Beth Ditto et concepteur de bandes-son pour plusieurs maisons dont Balmain, prépare un premier album pour cette année. Sur une terrasse de la villa Noailles, pendant le Festival de la mode et de la photo de Hyères, on a parlé style avec ce passeur de la culture house et ballroom en France.
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Avant d’être Dj, tu étais styliste. A quoi ressemblait cette vie antérieure ?
Kiddy Smile – Styliste, c’est un bien grand mot. J’habillais des célébrités, auxquelles j’avais accès grâce à mon activité de danseur. Vu que je n’avais pas assez de travail en tant que danseur à cause de mon physique, et qu’on me complimentait toujours sur mon look dans les maisons de disques, j’ai saisi cette occasion de faire un peu de stylisme à côté.
Avec quels artistes travaillais-tu ?
J’ai commencé avec Christophe Willem. Vous avez dû remarquer qu’à un certain moment de sa carrière, il a changé de style : c’était ma petite empreinte (sourire). Je l’ai fait passer d’un look de premier de la classe à un truc un peu plus mode. Je l’ai d’abord emmené chez Saint Laurent où, à ma grande surprise, on a tout de suite accepté de l’habiller. Puis on est passé sur du Yohji Yamamoto, Vivienne Westwood, Jean Paul Gaultier… Tout ça lui allait plutôt pas mal.
Avoir du style pour toi, c’est quoi ?
Pour avoir du style, dans la tête des gens, il faut parfois correspondre physiquement à certaines normes. Je me rappelle, en grandissant et en affirmant mon style, je me prenais des remarques du type “Pour qui il se prend, ce gros porc, à s’habiller comme ça”. Comme si, pour avoir du style, il fallait par exemple ne pas être gros. J’ai un pote en fauteuil roulant qui adore s’habiller, et beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi. Beaucoup envisagent le style comme quelque chose pour les autres, alors que c’est un truc pour soi.
En tant que musicien, si tu pouvais travailler avec n’importe quel créateur de mode, à qui ferais-tu appel ?
En premier lieu, à Jean Paul Gaultier. C’est lui qui a conçu tout le style et les costumes du film Le Cinquième Elément, dont je suis archi fan. Ce n’est pas très glam, mais, dans mes toilettes, j’ai même le croquis d’une tenue proposée par Gaultier à Chris Tucker. Sinon, j’aime beaucoup John Galliano. Et pas mal de créateurs morts.
Si tu devais en ressusciter un ?
Alexander McQueen, sans hésiter. Pour sa poésie, et son côté sans limites. Montrer que tout ce qu’on a en tête est réalisable, c’est à mon sens l’un des plus grands trucs qu’il arrivait à faire.
La particularité du Dj, c’est qu’il est à moitié caché par ses platines. Comment fait-on pour exprimer sa singularité vestimentaire dans cette configuration ?
Quand j’ai commencé à faire des Dj sets, je portais beaucoup de coiffes, car c’était à cet endroit que je pouvais m’exprimer. Mais c’était compliqué à gérer avec le casque, donc je suis passé aux épaulettes. Maintenant, à mesure que je mûris techniquement, je porte peut-être un peu moins d’attention au style. Quand tu es Dj, les gens ne s’attendent pas forcément à ce que tu aies un look. Certains Djs n’aiment d’ailleurs pas être regardés : j’en connais qui ne supportent pas que les gens se tournent vers eux pour danser.
Entre la mode et la musique, quelle expression te semble la plus politique ?
Sans doute la musique. Moi en tout cas, c’est à travers elle que je fais passer mes messages. Je trouve par ailleurs que la mode n’est pas assez engagée politiquement. Il y a encore certains scandales dans ce domaine qui sont assez problématiques. Les castings chez Balenciaga qui sont absolument blancs, par exemple. Je ne pense pas que ce soit du racisme bête et méchant, mais il faut revenir aux racines du problème : quelle est la femme pour laquelle Demna Gvasalia dessine dans sa tête ? Quelle est sa couleur de peau ? Pour moi, dans la mode, il y a encore trop de problèmes liés aux races, à l’accès, aux rapports de classes… Je suis content que le nouveau rédacteur en chef de Vogue UK soit noir (Edward Enninful, ndlr) mais, justement, il est là le problème : on ne devrait pas être content d’un truc comme ça. Ce devrait être normal.
Quel mouvement musical a eu selon toi l’impact le plus positif sur la société ?
Le hip-hop. Il a été très important pour moi, dans le sens où il a proposé une autre représentation de ce qu’est une personne de couleur. La narration habituelle qui nous est proposée est tellement stéréotypée : le raté, le gangster… Le hip-hop a brisé pas mal de clichés postcoloniaux ou esclavagistes. Son arrivée, c’était vraiment la glorification du cool, notamment au niveau vestimentaire : le hip-hop a repris tous les codes de la stigmatisation, comme les tenues de prison, le baggy… En grandissant dans un pays comme la France, si je regardais autour de moi qui me ressemblait et à quoi je pouvais aspirer, mes seules options positives étaient le sport ou la musique. J’ai choisi la musique.
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