Condamné à quatorze ans de prison et détenu en Sibérie, l’un des principaux opposants au régime de Poutine révèle de véritables talents d’écrivain.
Sous Eltsine, Mikhaïl Khodorkovski a largement bénéficié des privatisations pour s’emparer à bon prix de la compagnie pétrolière Ioukos. En 2000, l’arrivée au pouvoir de Poutine le poussera à financer l’opposition démocratique. Le maître du Kremlin n’aura alors de cesse de faire taire cet opposant richissime et favorable à une démocratie à l’européenne.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Arrêté en 2003 sous prétexte de malversations financières, Khodorkovski sera condamné à huit ans de prison en 2005 et envoyé dans une colonie pénitentiaire en Sibérie. En décembre 2010, un nouveau procès – ouvertement politique celui-là, tant les termes de l’accusation sont fantaisistes – le condamne à quatorze ans de prison. Les peines se confondant et l’incarcération ayant débuté en 2003, Khodorkovski devrait être libre en 2017.
Prisonnier d’opinion
Ses conditions de détention sont particulièrement déplorables – sa famille n’a droit qu’à une visite trimestrielle, et il est souvent placé en quartier d’isolement de façon arbitraire -, comme le rappelait récemment un rapport d’Amnesty International, qui considère désormais Khodorkovski comme un prisonnier d’opinion. En mai dernier, la Commission européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la Russie à verser 10 000 euros pour dommage moral à Khodorkovski, auxquels s’ajoutent 14 000 euros pour frais de justice. Si la CEDH a tenu à dénoncer les conditions d’arrestation et de détention de l’ex-patron de Ioukos, elle ne s’est par contre pas prononcé sur l’aspect politique de l’affaire.
Pour ne pas sombrer et poursuivre la lutte, Khodorkovski a choisi l’écriture. En octobre dernier, les éditions Fayard ont publié un recueil intitulé Paroles libres, qui regroupe de nombreux textes de réflexion et d’analyse politique. En outre, Khodorkovski publie depuis le mois d’août une chronique régulière intitulée « Gens en prison » dans l’hebdomadaire russe The New Times – magazine dans le collimateur du Kremlin suite à la publication de nombreux témoignages dénonçant la corruption et les abus de pouvoir. Solidement documenté, le site khodorkovsky.ru met aussi en ligne des articles sur ou de cet opposant farouche.
Une sensibilité digne de Soljenitsyne, voire Dostoïevski
Mais ce n’est plus seulement pour ses « talents » d’opposant que l’on parle de Khodorkovski, mais pour ceux qu’il manifeste comme écrivain. Le Los Angeles Times, via son correspondant Sergeï Loiko, vient en effet de publier un long article vantant ses dispositions littéraires. « Il aborde ses personnages avec l’oeil affûté d’un intellectuel observateur et la compassion d’un compagnon de cellule », écrit Loiko.
Dans ses chroniques, Khodorkovski évoquerait, toujours selon le journaliste du Los Angeles Times, ses comparses de prison avec la même précision et la même sensibilité que Soljenitsyne (hypothèse basse) ou Dostoïevski (hypothèse haute) – qui ont en commun avec Khodorkovski d’avoir purgé eux aussi de longues peines de prison.
« Il est trop tôt pour considérer Khodorkovski comme un écrivain à part entière, reprend Loiko, mais il est évident que ces chroniques, publiées au compte-gouttes, sont les parties d’un livre à venir. »
Si la journaliste et écrivaine russe Ludmila Oulitskaïa, qui correspond régulièrement avec Khodorkovski, parle d’un « véritable talent », Sergeï Loiko conclut : « Les grands thèmes de la littérature n’ont pas évolué sous Poutine : ce sont toujours la prison, le crime et le châtiment. »
Pierre Siankowski
{"type":"Banniere-Basse"}