Et si Kate Moss était l’héroïne d’un roman contemporain en manque d’auteur pour l’écrire ?
Kate Moss fascine. Le 21 janvier, Christian Salmon lui consacre un essai, Kate Moss machine (La Découverte). Jean-Jacques Schulh s’en inspire pour le personnage de mannequin féline et cocaïnée de son Entrée des fantômes. En 2011, une exposition rétrospective Kate Moss devrait avoir lieu à Paris. D’autres livres paraîtront à l’occasion, s’ajoutant aux biographies déjà existantes. Et d’ici quelques années, parions qu’Hollywood en fera un biopic.
Brindille à la beauté “girl next door” qui aurait dû ne pas durer, Moss est la top qui aura su s’imposer comme une marque au même titre que les sociétés qui l’engagent. La réussite de Moss doit beaucoup au fait d’avoir vécu comme une héroïne dans la vie réelle – lointaine et universelle, écrivant ses romances par procuration dans les tabloïds. Paradoxale : bafouant les conventions mais s’affichant en sac Hermès ou Vuitton. Refusant de répondre aux interviews, elle est le sphinx à qui l’on peut faire dire nos fantasmes, la surface plane sur laquelle miroitent nos vies multiples et rêvées.
Héroïne Kate : son roman, nous en sommes les auteurs. Dans Kate Moss machine, Salmon avance que par son hyper-flexibilité, la brindille métaphoriserait l’ultra-liberalisme, ou l’être devenu adaptable pour mieux être compétitif. Est-ce cela, cette capacité à symboliser du sociétal, qui en ferait une héroïne de roman idéale aujourd’hui ? Force est de reconnaître que la Moss n’a pas encore trouvé un auteur à la hauteur de sa charge romanesque. Si l’on rêve qu’une journaliste de la trempe d’une Alicia Drake, auteur du génial Beautiful People (radioscopie de quatre décennies de la vie parisienne via Lagerfeld/Saint Laurent), s’en empare pour nous traduire les temps qui courent, on rêve encore davantage d’un nouveau Balzac ou d’un Flaubert contemporain.
Du grunge aux traders, Kate Moss symbolise, de par la fortune qu’elle a amassé en quelques années, devenant l’une des femmes les plus puissantes de Grande-Bretagne alors qu’elle ressemble à tant d’autres jolies filles, l’hyper fluidité de l’argent. Elle représente cette facilité “sulfureuse” du fric – pas un hasard si les affaires qui font scandale aujourd’hui relèvent du même principe, de l’affaire Kerviel à celle, fascinante, de Liliane Betancourt et François-Marie Banier : quand une femme riche trahit l’une des règles d’or du capitalisme – on ne donne pas son argent, et surtout pas à un homme qui n’est même pas votre amant. A une époque où l’argent déborde son cadre privé pour redevenir au centre de tout, manque peut-être un écrivain de la trempe d’un de ces auteurs qui surent dirent l’imbrication de l’intime avec l’argent sur fond de comédie humaine.