Alors que la garde des Sceaux entend créer “la justice du XXIe siècle”, depuis plusieurs semaines, partout en France, des greffiers ont lancé le mouvement “Justice en colère”. Au menu de leurs revendications : la revalorisation de leur statut.
Sans esclandre, ni slogan, ce jour-là, ils sont une dizaine de greffiers rassemblés devant le palais de justice de Marseille. Sur une immense pancarte, les fonctionnaires ont affiché quelques tracts au dessus desquels trône un seul mot d’ordre, “Greffes en colère”.
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Depuis trois mois, ce rituel se répète deux fois par semaine. Parti de la cour d’appel d’Agen en mars dernier, le mouvement “Justice en colère” a depuis gagné l’ensemble des grandes villes françaises. Tout a commencé lorsque la ministre Christiane Taubira a annoncé, dans le cadre de sa réforme pour une “justice du XXIe siècle”, la création d’une fonction de “greffier juridictionnel” qui pourrait remplacer le magistrat dans les actes jugés les plus simples comme, par exemple, au moment des divorces par consentement mutuel.
“Ils veulent que l’on fasse le boulot des juges ! Mais c’est trop facile de vouloir remplacer les départs à la retraite des magistrats avec les greffiers alors que l’on n’a ni le même statut, ni le même salaire. Nous, on veut une vraie reconnaissance de notre métier”, martèle Danièle Roubaud, déléguée CGT au TGI de Marseille, deuxième organisation syndicale du ministère.
Préavis de grève pour le 24 juin
Si aujourd’hui, cette idée semble avoir été écartée, les petites mains de la justice, garantes de l’authenticité de la procédure et d’ordinaires si discrètes, continuent leur bras de fer avec la ministre. Elles réclament la revalorisation de leur rémunération et une évolution de leur statut, identique depuis 2003. Aujourd’hui, les 9 200 greffiers de France débutent leur carrière à 1453,91 euros (salaire brut sans les primes) et l’achève à 2 472,58 euros.
Le ministère de la Justice a donc proposé une augmentation qui serait d’environ 63 euros net par mois en début de carrière et pourrait aller jusqu’à 151 euros de plus en fin de carrière. Une proposition qui divise les syndicats. “Tout ce que C-Justice a demandé, nous l’avons obtenu”, a commenté satisfaite, à l’AFP, Lydie Quirié, secrétaire générale du syndicat. “C’est mieux que ce qu’on nous proposait au début mais ce n’est pas suffisant”, estime, pour sa part, Danièle Roubaud.
Ce que la CGT souhaite, c’est que les greffiers puissent bénéficier de la même grille salariale que les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) et les éducateurs de la police judiciaire de la jeunesse (PJJ) qui finissent, eux, à 2 800 euros par mois (salaire brut sans les primes). Alors que les négociation, entamées il y a un mois entre les cinq représentations syndicales (C.Justice, CGT, CFDT, FO, Unsa) et Christiane Taubira devaient prendre fin ce jeudi 26 juin, le ministère a finalement décidé de les suspendre.
En cause, le refus de la CGT de participer aux dernières réunions. Le syndicat se plaint de ne pas avoir accès aux nouvelles grilles salariales établies par la fonction publique. “Tant que l’on ne connaîtra pas l’ensemble du projet, on ne participera plus aux réunions”, explique la direction. Depuis, la CGT, la CFDT, FO et Unsa ont déposé pour, le 24 juin, un préavis de grève.
“Harcèlement et intimidation”
Sur le terrain aussi, la colère ne désarme pas. Dans certains tribunaux, comme à Marseille, la surcharge de travail est telle que des adjoints administratifs occupent, parfois depuis trente ans, les fonctions de greffiers, “sans le salaire qui va avec”. D’où, la revendication que ces adjoints puissent, en cours de carrière, passer le concours de greffier, accessible à Bac +2.
Au TGI de Marseille, les serviteurs de la justice profitent aussi de cette rébellion pour dénoncer le manque de moyens. Pour s’en rendre compte, il suffit d’arpenter les allées du tribunal. Dans les couloirs sans fenêtres, s’amoncellent des tonnes de dossiers en attente d’archivage depuis 2011. Dans la salle des scellées, située à côté des poubelles et du parking, les conditions de travail sont surréalistes. La climatisation est en panne depuis un an, la ventilation depuis déjà quelques jours et le plafond est noirci par les pots d’échappement des voitures, sans compter le manque de place et de bras, et le port obligatoire du masque pour accéder à la pièce qui renferme les saisies de stupéfiants.
De même avec les heures supplémentaires qui ne cessent de s’accumuler. “Vous ne pouvez pas dire en pleine audience ma journée est terminée, je rentre chez moi”, rappelle Danièle Roubaud. Et encore, avec 116 greffiers pour 145 magistrats, le TGI de Marseille n’est pas le moins bien servi en terme d’effectifs. Pour Gaëlle, greffier au service de l’application des peines depuis treize ans, ce sont les conditions de travail qui “se dégradent”. “Même avec les magistrats, il y a plus de tension. Certains confondent la motivation avec le harcèlement et l’intimidation”, lance-t-elle.
Selon elle, la réforme de 2004 instaurant une prime modulable pour l’ensemble des fonctionnaires en fonction du travail produit n’y serait pas pour rien. “Ce mouvement est l’expression d’un ras-le-bol, construit sur plusieurs années. L’évolution de la loi garantit d’avantage les libertés individuelles mais donne aux greffiers de plus en plus de travail et ça va être pire avec la future réforme pénale”, indique, pour sa part, Franck, greffier au près du juge des libertés et des détentions.
Résultat, depuis plusieurs semaines, à Marseille, les fonctionnaires des greffes ont voté, en Assemblée générale, la grève des statistiques, la non-délivrance des attestations de fin de mission pour les avocats commis d’office et la rétention au service des amendes. Et cela, disent-ils, jusqu’à ce que leurs revendications soient prises en compte.
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