Le transfert de l’éditorialiste du Nouvel Observateur Jacques Julliard vers Marianne redistribue les cartes idéologiques au sein de la presse hebdomadaire de gauche.
Le départ de l’éditorialiste du Nouvel Observateur Jacques Julliard pour Marianne ne serait qu’un épiphénomène du « marché » journalistique s’il n’illustrait une rupture dans la presse de gauche : l’absorption de la « seconde gauche » par sa rivale historique.
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Incarnation de la gauche rocardienne au Nouvel Obs, où il entra en 1970, Jacques Julliard, 77 ans, rejoint l’hebdomadaire qui s’est toujours méfié de cette famille politique au nom des valeurs de la gauche républicaine, étatiste et paternaliste portées par le « chevènementisme » des années 70-80. Or, cette structuration un peu figée de l’espace politique à gauche s’est en grande partie fissuré : les frontières idéologiques se sont brouillées dès les années 90, y compris dans l’analyse de la mondialisation et de la crise financière.
Le désir d’inventer une « social-démocratie de combat »
Depuis deux ans, Julliard assume son deuil de la social-démocratie longtemps vantée. Son texte, paru l’an dernier dans Libération, « Vingt thèses pour repartir du pied gauche », dénonçait les impasses de la gauche de gouvernement et appelait à inventer une « social-démocratie de combat » mobilisée contre le capitalisme financier et la tiédeur d’une pensée politique qui s’accommode des vices du marché.
La ligne « social-libérale » défendue par le patron du Nouvel Obs, Denis Olivennes, ancien patron de la Fnac, désormais dirigée, ironie de l’histoire, par l’ex-patron d’Europe 1, Alexandre Bompard, ne pouvait que le mettre en porte à faux.
« A l’âge que j’ai, je n’ai plus guère de chances de peser sur l’avenir de ce journal, ni sur ses orientations, ni sur sa formule… », avouait-il dans une lettre d’adieu aux salariés du Nouvel Obs.
Une tribune mieux exposée
En rejoignant l’hebdomadaire dirigé par Maurice Szafran, qui a fait depuis cinq ans du double combat contre le néolibéralisme et le sarkozysme le cœur de son positionnement éditorial, il pousse jusqu’au bout de sa cohérence son déplacement idéologique. Et retrouve au passage une tribune mieux exposée : le narcissisme de la puissance symbolique du journaliste « vedette » nourrit en partie sa trahison.
Grâce à la caution de Julliard, Marianne tentera ainsi de capter des lecteurs de gauche gênés aux entournures par son image « populiste de gauche » et ses accroches caricaturales.
Au Nouvel Obs, on promet des changements dès le début de l’année 2011, manière d’afficher la volonté de faire évoluer le journal, qui avec ou sans Julliard, se heurte à la concurrence que se livrent tous les hebdos, au vieillissement tendanciel de son lectorat et au tassement de ses ventes.
Par-delà le profil des éditorialistes qui leur confèrent un signe « distinctif », tous les hebdos sont tenus de repenser leur offre globale, de la première à la dernière page.
Outre la mise en scène, plus ou moins sincère et opportuniste, d’un antisarkozysme de plus en plus partagé, la presse hebdomadaire aura surtout besoin de séduire, par d’autres chemins que les éditoriaux, de jeunes lecteurs qu’un papier, fût-il excellent, de Jacques Julliard fait difficilement vibrer.
Jean-Marie Durand
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