En 2010, Julian Assange, véritable mutant de l’info, a incarné Wikileaks et sa diffusion révolutionnaire de l’information. Mais qu’en sera-t-il en 2011 ?
Même lorsqu’il dort en prison, l’Australien mutant de l’ère de l’information reste une espèce extrêmement dangereuse. Pas seulement aux yeux des gouvernements ou des multinationales, qui attendent désormais avec anxiété le millésime 2011 de WikiLeaks… Aussi pour une bonne partie de la presse mondiale, bousculée dans ses certitudes par la tornade WikiLeaks.
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Ainsi, la désignation de « Man of the year » par le vénérable Time Magazine, aura été tout un symbole. Ce rituel de fin d’année, observé depuis 1927 et symbole de la bonne parole journalistique délivrée aux lecteurs, a presque failli dérailler sur la toile.
Privé du titre de l’homme de l’année par le Time
A la mi-décembre, Time a désigné comme « Man of the year » Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook. Un choix consensuel et sans actualité marquante pour le réseau social. Mais lors du processus de désignation, le vote sur internet, ouvert aux lecteurs, a rendu un verdict tout autre : Julian Assange écrasait de très loin les autres prétendants (Zuckerberg pointant à la dixième place). Et l’Australien, très largement vainqueur en voix comme l’a reconnu le journal, s’est retrouvé privé du titre. Ce dont il doit probablement se soucier comme de sa première cravate.
Une fois le palmarès connu et assumé par la rédaction, le journal a été secoué par une tornade de critiques venue de la toile, accusé de soumission au pouvoir américain et même visé par des appels au boycott (après Visa, MasterCard, PayPal, etc.).
On ne connaîtra jamais le rôle exact qu’ont joué ses supporters dans le sondage en ligne de Time Magazine. On sait que, dès le début de sa détention à Londres, le collectif Anonymous (tout en coordonnant une série d’attaques informatiques contre les organismes de paiement ayant coupé les vivres à WikiLeaks) avait suggéré de voter pour l’ex-hacker sur le site du journal. Symbolique, l’épisode révèle surtout combien c’est la personnalité même d’Assange qui mobilise aujourd’hui les partisans de WikiLeaks.
Assange, Ulysse technoïde du Net
Après son arrestation, l’un des gourous de la liberté sur internet, John Perry Barlow, avait affirmé sur Twitter : « WikiLeaks est le champ de bataille. Vous êtes les troupes. » Il aurait pu ajouter : « Et Julian Assange est votre guide. »
Initiée comme une démarche collective, l’organisation a en effet basculé cette année dans une dimension épique, incarnée par une figure « héroïque ». Assange est-il une sorte d’Ulysse technoïde pour ses « fans » ?
Menant une guerre lointaine et condamné à l’errance hors de sa terre natale où, comme le héros grec, il a laissé un fils ! Plus prosaïquement, il sera passé en un an du statut de mystérieux geek à celui d’icône reproduite à l’infini par Google, par les télévisions du monde entier et par les manifestants portant son effigie sur leur visage : Julian se livrant à des photo calls avant les conférences de presse ; Julian changeant la couleur de ses cheveux au gré de ses apparitions, comme une figure pop art (pour échapper à la CIA ont assuré quelques « fans ») ; Julian, distillant slogans ou citations définitives. Ainsi, juste avant d’être emprisonné à Londres, lorsqu’il cite à point nommé une phrase du jeune Rupert Murdoch, devenu géant de l’information mondiale : « Dans la course entre le secret et la vérité, il semble inévitable que la vérité triomphe à chaque fois. » Amen.
Si le médium est le message, alors Julian incarne celui délivré par WikiLeaks : l’insoumission face aux puissants, la quête de la vérité, le triomphe de l’intelligence (y compris technologique) face à la force et à l’injustice. Ajoutez-y des plaintes d’ex-amantes suédoises et certains, comme le Rolling Stone italien de décembre, voient même en lui la « personnalité rock » de l’année !
OpenLeaks pour contrebalancer « l’attitude dictatoriale d’Assange »
WikiLeaks aurait-il eu le même impact s’il n’avait pas été incarné tout au long de cette année par Assange ? Depuis septembre, ses premiers compagnons de route ont tenté de dénoncer une dérive : ils ont prédit que son exposition, ses ennuis avec la justice suédoise, nuiraient au bout du compte à l’idéal même de WikiLeaks. Ils ont annoncé le 13 décembre la naissance d’OpenLeaks, organisation aux buts et aux méthodes comparables, mais « anonyme ». Ils ont dénoncé « l’attitude dictatoriale d’Assange » et « la manière dont il a associé ses problèmes personnels à l’activité du site ».
Auront-ils le même impact sans porte-voix charismatique ? Seront-ils de nouveaux acteurs de la mutation de l’information, quand Assange aura peut-être fragilisé WikiLeaks par son arrogance et des prises de position outrancières (du nombre de journalistes tués par an qu’il juge insuffisant à ses appels à la démission d’Obama).
En 2011, Julian Assange et les fidèles qui l’accompagnent continueront de défier les gouvernements, les banques et les grands médias. Mais si l’Australien mérite davantage que Zuckerberg le titre d' »homme de l’année » 2010, celle qui s’ouvre est lourde de menaces.
Croisé quelques minutes en tête à tête dans un hôtel de Londres à l’automne 2009, à la question « Qu’attendez-vous de la part des autorités américaines ? », il avait répondu : « On dit souvent que les militaires livrent toujours la guerre précédente… Eh bien là, c’est la même chose. Je n’attends rien des Américains qui ne comprennent pas ce qui se passe avec WikiLeaks. Rien à part des dénégations et des platitudes. »
Puis après un bref temps de réflexion, l’air soudain plus grave : « J’attends aussi des menaces. » A moins que Julian Assange ne cède la place à un autre pour « incarner » l’organisation (le veut-il ?), 2011 risque d’être celle de tous les dangers.
David André
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