Deux mois de prison avec sursis ont été requis contre Anne-Sophie Leclère, l’ancienne candidate FN aux municipales qui avait comparé dans un reportage d’ »Envoyé Spécial » Christiane Taubira à un singe.
Agrippée à la barre de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, Anne-Sophie Leclère décline son identité à toute allure, obligeant la greffière à la faire répéter. L’ancienne candidate FN aux municipales, jugée ce mercredi pour injure à caractère racial, voudrait en finir vite, très vite, avec cette histoire commencée en août 2013. Oublier ce reportage d’Envoyé Spécial dans lequel elle comparait, à l’aide d’un photomontage publié sur sa page Facebook, Christiane Taubira à un singe. « C’est vraiment une sauvage », déclarait-elle à plusieurs reprises face caméra. Et d’ajouter : « A la limite, je préfère la voir dans un arbre, à travers les branches, qu’au gouvernement. »
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A la barre, vêtue d’une blouse vaporeuse blanche et d’un jean, difficile de reconnaître celle qui a défrayé la chronique. Si physiquement, elle arbore toujours sa longue chevelure blonde, l’assurance de cette mère de famille de 36 ans a disparu. Elle hésite, se contredit, se reprend sans trop y croire. Elle tente d’abord de convaincre le tribunal qu’elle été piégée par les journalistes qui lui ont fait croire que leur reportage était terminé, la caméra coupée. Pourtant, lui signale le président Alain Bourla, le caméraman s’approche pour la filmer en train d’examiner le cliché.
Elle se ravise et dit avoir été prise de court par la reporter « qui l’a mis en confiance pendant 48 heures et qui finit par lui montrer cette image ». D’ailleurs, explique-t-elle, cette photo, ce n’est pas elle qui l’a postée. Son profil Facebook était avant tout un compte de campagne, « beaucoup de gens avaient les identifiants ». Pourquoi alors avoir déclaré face caméra « cette photo, honnêtement, je l’ai mise sur mon réseau » ? « J’ai voulu prendre ça sur mes épaules, j’étais trop naïve. »
« On pourrait penser que vous dîtes cela pour le besoin de l’audience »
« Vous dîtes exactement l’inverse de toutes vos déclarations », lui fait remarquer le président. Anne-Sophie Leclère le fixe en silence. « On doit vous croire quand ? », insiste-t-il. Elle triture son mouchoir, croise les bras, les décroise, s’appuie à la barre puis finit par lâcher d’une voix blanche : « Ces propos sont de caractère raciste ». Aujourd’hui, elle regrette tout. D’avoir reçu les journalistes d’Envoyé Spécial et d’avoir blessé « énormément de personnes ». A commencer par Christiane Taubira, « bien sûr », mais aussi toute une communauté. « J’ai ma grande-tante qui est noire, j’ai des amis noirs », se justifie-t-elle maladroitement, pour balayer les accusations de racisme. « On pourrait penser que vous dîtes ça pour le besoin de l’audience », lui fait remarquer le magistrat. La mère de famille hoche la tête. « Un mot en a entraîné un autre, je ne sais toujours pas comment j’ai pu sortir des propos pareils. »
L’ascension d’Anne-Sophie Leclère, qui tenait à l’époque un magasin d’articles de pêche, a été aussi rapide que sa chute. En 2012, elle prend sa carte au FN, lassée de la politique des gouvernements de droite comme de gauche. Trois mois plus tard, le parti la contacte pour être tête de liste aux législatives. « J’ai tout de suite dit oui…malheureusement ». L’année suivante, elle se présente à la mairie de Rethel, petite bourgade des Ardennes où elle réside. C’est dans ce cadre qu’elle est suivie par une équipe d’Envoyé Spécial qui enquête sur les nouveaux visages du parti d’extrême-droite. La suite s’est affichée en gros titres des journaux. Le dérapage, l’exclusion du FN et la vie personnelle qui part en vrille. « Après l’histoire du photomontage, on n’a plus eu de clients, on a été obligé de fermer le magasin », explique-t-elle, la voix tremblante. Le début de la « galère sur tous les plans »: la famille et les amis lui ont tourné le dos, son couple a été fragilisé, elle s’est enfoncée dans une dépression… « Ça fait trois ans que je suis punie ».
Deux mois de prison avec sursis requis
Son mea culpa n’a visiblement pas convaincu la procureure, qui a fustigé des propos « hallucinants », « purement racistes ». Une « atteinte à la République » pour laquelle elle a requis deux mois de prison avec sursis. Des réquisitions sévères mais bien loin des neuf mois ferme et des cinq ans d’inéligibilité auxquels Anne-Sophie Leclère avait été condamnée en 2014 par le tribunal correctionnel de Cayenne dans cette même affaire. « Une peine extrêmement lourde », a estimé le président. Mais cette peine, annulée en appel, pourrait bien être sa planche de salut. En droit français, on ne peut pas juger une même personne deux fois pour les mêmes faits. L’annulation de la première condamnation est-elle suffisante pour rejuger l’ancienne candidate frontiste ? Les magistrats examineront cette question de procédure en même temps que le fond de l’affaire. Réponse le 28 septembre.
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