Le roi d’Espagne abdique après 38 ans de règne. Cheville ouvrière de la transition démocratique dans les années 1970, Juan Carlos a connu une fin de règne houleuse. Retour en arrière.
Juan Carlos met les pieds pour la première fois en Espagne le 9 novembre 1948. C’est son père, le roi en exil Don Juan, qui l’envoie à Madrid après un accord passé avec le dictateur Franco. “Juanito”, né à Rome en 1938, élevé en Suisse puis au Portugal, sert de pion dans la bataille que se mène alors les deux chefs : Franco est persuadé qu’en gardant le fils du roi sous son aile, il casse les velléités de reconquête de Don Juan.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Elève moyen, le futur roi se révèle à l’école militaire un bon camarade et un excellent sportif. Mais certainement pas un bon tireur : il tue son frère dans un accident de pistolet en 1956. Un drame qui ternit la jeunesse insipide du prince, volontiers occupée à flirter avec les nobliotes locales.
Le playboy, réexpédié dans sa caserne, prend alors ses responsabilités : il épouse Sofia en 1962, et patiente, profil bas, jusqu’à la mort de Franco. Adoubé par le “caudillo”, Juan Carlos passe devant son père dans l’ordre de succession – mais personne ne croit alors en ce grand échalas blond, effacé et sans envergure.
Restaurateur de la démocratie
Lorsqu’il monte sur le trône à 37 ans, “Juan le bref” subit les critiques des franquistes qui ne voient en lui qu’une marionnette, et de l’opposition clandestine (socialistes et communistes) républicaine qui ne veut pas d’un retour de la monarchie. Il refuse pourtant les pouvoirs absolus de dictateur. Dès la première année, Juan Carlos opère une libéralisation politique à 360 degrés : référendum sur la réforme politique, légalisation du PC, franquistes éconduits, et l’organisation des premières élections législatives libres.
Le vieux régime laisse place à une monarchie parlementaire. La réconciliation de la gauche et de la droite, soucieuses de ne pas raviver les plaies de la guerre civile, est scellée lors de la ratification de la Constitution en 1978. Mais là où Juan Carlos revêt le mieux ses habits de grand réconciliateur, c’est lors du putsch du 23 février 1981 : c’est lui, le général capitaine des armées élevé par le caudillo, qui met un arrêt définitif au coup d’Etat militaire. La démocratie est sauvée.
En 1982, c’est déjà l’alternance : le PSOE de Felipe Gonzalez gouvernera l’Espagne pendant 13 ans, entérinant la transition démocratique. Le roi peut alors retourner à son yacht, ses maîtresses, et ses cérémonies, intervenant de temps à autre pour les intérêts économiques de l’Espagne. Mais la crise de 2008 égratigne son image de symbole intouchable.
L’éléphant de trop
Alors que le pays s’enfonce dans la pauvreté, mettant au chômage la moitié d’une génération qui n’a connu ni la guerre ni la dictature, Juan Carlos se fait un safari au Botswana pour chasser l’éléphant. Les Espagnols, qui entrent les deux pieds dans la récession, hurlent au scandale.
“Je suis désolé. Je ne recommencerais plus”, s’excuse le roi dans une confession inédite devant les caméras. Mais ça ne suffit pas à calmer l’opprobre : son gendre et sa fille sont mis en examen dans un scandale de corruption, sa fortune personnelle – 1,8 milliard d’euros – est passée au crible, des enfants illégitimes surgissent dans la presse… Et sa santé décline. Pour ne pas menacer une institution déjà fragile, Juan Carlos a abdiqué lundi 2 juin au profit de son fils, Felipe.
{"type":"Banniere-Basse"}