Depuis plusieurs années, Pascale Robert-Diard et Stéphane Durand-Souffland couvrent l’actualité judiciaire. Ils en livrent un kaléidoscope d’“extraordinaires instants d’humanité”.
Il sont assis dos aux victimes, interceptent les regards sévères des juges, ressentent la vibration du soupir des familles. Leur quotidien est fait de larmes et de violence mais aussi de moments d’humanité et de grâce. Au rythme des cafés avalés à la va-vite au Bistrot du Palais et des pantalons froissés sur les bancs des tribunaux, Pascale Robert-Diard et Stéphane Durand-Souffland, chroniqueurs judiciaires respectivement au Monde et au Figaro, tous deux depuis plus de quinze ans, se font observateurs des dérives et du désordre de notre monde, de la folie des uns et de la comédie des autres.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
A eux deux, ils ont couvert les grands procès de ces quinze dernières années, les affaires les plus irréelles, suivi les avocats les plus charismatiques. Ils ont emmagasiné une collection de souvenirs indélébiles, d’anecdotes amusantes ou sordides qu’ils ont réunis et mêlés dans Jours de crimes publié ce mois-ci.
De brefs chapitres relatant des échanges surréalistes
Le tragique discours du père d’un homme accusé de viol évoquant son fils à l’imparfait, un vieillard qui tue par amour pour son chat, la fidélité sans bornes de la sœur de Francis Heaulme… A rebours des traditionnels abécédaires et récits chronologiques, le recueil est construit comme un kaléidoscope de moments. De longues chroniques sont entrecoupées par de brefs chapitres relatant des échanges surréalistes, dialogues de sourds et leçons d’éloquence.
“On ne voulait pas d’un livre de journalistes du type ‘les grands-parents vous racontent la guerre’. On ne raconte pas les affaires mais des moments dont on pense qu’ils veulent dire quelque chose de la justice : quand elle est violente, touchante, drôle ; ou l’absurdité de certains crimes.”
Un moyen pour Pascale Robert-Diard de “vider les carnets” où elle isolait ces moments et pensées, “sa crème de lait”, afin de leur permettre de prendre tout leur sens. “L’issue de la condamnation importe peu, ce sont ces extraordinaires instants d’humanité qui sont bons à partager”, atteste-t-elle.
“C’est comme de voir vingt-cinq fois La Flûte enchantée à l’opéra”
S’ils se fondent parfois dans le décor de salles d’audience bondées, les deux journalistes sont souvent les seuls témoins de ces vies bouleversées. “Il est passionnant d’observer comment la machine à juger fonctionne, explique Stéphane Durand-Souffland. C’est un milieu très codifié : les costumes, les questions d’abord, les plaidoiries ensuite”.
”Et pourtant ça n’est jamais pareil. Selon la personnalité des intervenants, le moment de la journée, s’il fait chaud, s’il fait froid. C’est comme de voir vingt-cinq fois La Flûte enchantée à l’opéra, c’est la même partition mais selon la forme des chanteurs, la mise en scène, ça peut prendre des dimensions très diverses.”
Malgré la solennité du lieu, un procès peut être un moment d’une rare violence. Temple de la lenteur et de la précision, la cour d’assises est un lieu de réminiscence. Chaque minute de la journée du crime est passée au tamis. Un peu voyeur, le chroniqueur judiciaire ? “Non, parce que finalement l’histoire en elle-même m’intéresse assez peu”, assure Stéphane Durand-Souffland.
“Je recherche la perfection, la beauté de la justice, le procès parfait. Celui où tout le monde a compris pourquoi telle peine ou tel acquittement a été prononcé.” Si le procès n’est ni le lieu du deuil ni celui de la thérapie, il engendre parfois des miracles. Il arrive que l’accusé comprenne sa peine, la gravité de son acte, le mal qu’il a pu faire. Il y a alors un espoir de réinsertion.
Le chroniqueur judiciaire est aussi un esthète
“Le crime est un moment de vérité humaine, raconte Pascale Robert-Diard. Ce qui est passionnant, c’est de reculer toujours plus loin les limites de notre compréhension, à des moments où l’on est persuadé que tout nous éloigne de l’accusé. Tenter de concevoir quels paramètres ont fait qu’une déflagration s’est produite en lui.”
Jours de crimes en témoigne, le chroniqueur judiciaire est aussi un esthète. Au-delà de son devoir d’information, il transmet une tension, une atmosphère, les moments suspendus, les pas perdus des familles, leurs pronostics hasardeux.
“On a pu être tentés de mettre beaucoup de détails journalistiques dans le livre, se souvient Stéphane Durand-Souffland. Mais on se fiche du nombre de coups de couteau. L’émotion, on peut la faire naître dans le récit en appuyant sur tel ou tel détail, sans que ça dégouline de sang. Ça passe par des gestes, des petits témoignages…”
Au milieu de ce déferlement d’affects, sont parfois prononcées des phrases d’une lucidité immense sur la vie, l’amour, le pardon. Pascale Robert-Diard se souvient de mots “extraordinaires, qu’aucun génie n’aurait pu prononcer”. Ils évoquent, entre mille autres, cette petite fille dont la mère a été poignardée par un homme lui-même battu par sa propre mère. Elle a dit de lui : “Dans le fond, il a moins de chance que moi. Parce que moi, ma maman, elle m’aimait.”
Jours de crimes de Pascale Robert-Diard et Stéphane Durand-Souffland (L’Iconoclaste), 432 pages, 20 €
{"type":"Banniere-Basse"}