Au bout d’un an et demi de captivité, les journalistes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier viennent d’être libérés. Avant eux, quatorze journalistes français ont été pris en otages depuis le milieu des années 80. Passée l’euphorie de la libération, le retour peut s’avérer aussi destructeur que la captivité.
Auteur du Quai de Ouistreham (Editions de l’Olivier), qui a déjà atteint les 255000 exemplaires, présidente de l’Observatoire international des prisons, reçue à l’Elysée par Nicolas Sarkozy, Florence Aubenas se trouve toujours en procès avec Libération***. « Son départ a été violent (…) certains n’ont pas supporté qu’elle devienne la ‘vedette’ du journal », constatait un Serge July » immensément triste » dans la revue Médias de mars 2007.
Après la fête sur le toit de Libé donnée pour son retour, Florence Aubenas s’est vite retrouvée au milieu d’un conflit interne sans merci, ainsi décrit par l’écrivain et grand reporter Jean Hatzfeld, parti du journal en même temps que sa consoeur :
« Au retour de Florence, les événements se sont télescopés, avec notamment la prise de contrôle d’Edouard de Rothschild et le brutal renvoi de Serge July. Florence était proche de July, lui était très reconnaissante de son action pendant sa captivité. Elle a brutalement exprimé son indignation en démissionnant avec éclat. Une partie de la rédaction restante a très mal pris ce geste dans une période critique et l’a accusée de trahison et d’ingratitude. »
Florence Aubenas affirme qu’elle en a « marre de cette histoire ». Les nombreux portraits que la presse lui a consacrés passent presque toujours cet épisode sous silence. « Il n’y a pas d’omerta mais je ne veux pas qu’on interprète mal l’une ou l’autre de mes petites phrases. Disons seulement que Libé, c’était mon journal, ma famille, mais qu’aujourd’hui je ne regrette pas une seconde de ne plus y être. »
Le syndrome de Luis de León
Entre l’avant et l’après, « rien n’a changé et tout est différent. L’ancien prisonnier doit résoudre chaque jour cette contradiction », écrit Jean-Paul Kauffmann dans Le Bordeaux retrouvé, le premier livre qu’il a publié après sa captivité. Cette illusion que le monde aurait cessé de tourner en son absence, celui qui a été détenu pendant presque trois ans au Liban l’a nommé le « syndrome de Luis de León ».
« Ce savant espagnol fut arrêté et torturé par l’Inquisition. Il donnait des cours fameux à l’université de Salamanque. Libéré après dix ans de détention, il reprit ses cours par cette phrase devenue célèbre : ‘Comme je le disais hier…' »
L’hier, pour Jean-Paul Kauffmann, ce fut ce métier de journaliste exercé au Matin de Paris puis à L’Evénement du jeudi. L’aujourd’hui, c’est la littérature sans billet de retour. « La détention a tué en moi le journaliste, constate l’auteur de La Chambre noire de Longwood ou de La Maison du retour. Avant le Liban, je commençais des livres mais je ne les terminais pas. Mon enfermement a-t-il été un déclic ? Peut-être, mais pas forcément, on ne peut pas le savoir », avance celui qui affirme se « méfier beaucoup de la parole » et préfère renvoyer à ses écrits.
« Tous mes livres semblent raconter autre chose que cette épreuve alors qu’en fait ils ne parlent que de cela. » Comme si le Napoléon de La Chambre noire de Longwood n’avait pas été détenu à Sainte-Hélène mais à Beyrouth-Sud.
« J’étais debout là où j’avais été couché »
Capturé alors qu’il était parti au Liban sur les traces de Jean-Paul Kauffmann et du sociologue Michel Seurat, Philippe Rochot est resté fidèle à son métier. » Je suis tombé à cause du journalisme. Mais je me suis aussi relevé grâce à lui. » Dix ans après sa libération, l’ancien correspondant de France 2 en Allemagne et en Chine est retourné au Liban accompagné d’une équipe de TV5 pour se réconcilier avec ce pays qu’il avait tant aimé. » Mais j’ai préféré ne pas m’approcher de la mosquée où nous nous étions rendus avec Jean-Louis (Normandin), Georges (Hansen) et Aurel (Cornéa) juste avant d’être kidnappés. »
L’équipe de TV5 ira quand même sur place pour tourner des images d’illustration. « Devant la mosquée, des gens du Hezbollah les ont interceptés. Ils ont expliqué qu’ils étaient à Beyrouth pour tourner un sujet sur moi. Le chef de quartier leur a répondu : ‘Oui, on sait qu’il est ici’. Ça m’a fait froid dans le dos », frissonne encore aujourd’hui Philippe Rochot.