Au bout d’un an et demi de captivité, les journalistes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier viennent d’être libérés. Avant eux, quatorze journalistes français ont été pris en otages depuis le milieu des années 80. Passée l’euphorie de la libération, le retour peut s’avérer aussi destructeur que la captivité.
(Article paru le 13 octobre 2010) En ce jour de rentrée scolaire, plusieurs centaines d’amis et de confrères, de vedettes et d’anonymes se sont rassemblés place de la Bourse à Paris, pour ne pas oublier que les journalistes de France 3 Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier sont détenus en Afghanistan depuis le 30 décembre dernier. Puis la foule s’est peu à peu dispersée.
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Au pied de l’estrade désormais déserte, seuls la journaliste Elise Lucet et l’architecte Michel Cantal-Dupart poursuivent la conversation. « Que faire pour leur retour ? Je n’ai pas envie que Stéphane et Hervé se retrouvent perdus au milieu d’une foule de deux-cent cinquante personnes », s’inquiète la présentatrice du journal de 13 heures de France 2, également productrice de l’émission Pièces à conviction pour laquelle les deux journalistes sont partis en Afghanistan. « Déjà, tu n’es pas certaine qu’ils seront libérés en même temps », lui fait remarquer Michel Cantal-Dupart, qui fut le président du Comité de soutien des otages français au Liban. « Pour Jean-Paul (Kauffmann), nous avions organisé un concert d’opéra au fort de Champigny. Nous avions voulu quelque chose de très calme car il était encore complètement paumé… »
Combien de dépressions, de licenciements et de divorces ?
Avant Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, quatorze journalistes français se sont retrouvés otages au Liban, en Tchétchénie, aux Philippines ou en Irak depuis le milieu des années 80. Leurs détentions et leurs libérations ont souvent été plus médiatisées que celles des diplomates, des employés de sociétés privées ou des travailleurs humanitaires.
Mais quand les projecteurs des confrères s’éteignent, pour une Florence Aubenas qui déclare « pour moi, il n’y a pas eu d’avant et d’après Irak », combien de dépressions, de licenciements et de divorces ? Il y a même eu un suicide, celui du photographe Brice Fleutiaux à son retour de Tchétchénie où il a été détenu huit mois. Le caméraman de France 2 Jean-Jacques Le Garrec a, lui, été l’otage des rebelles du « commandant Robot » pendant soixante-quatorze jours sur l’île philippine de Jolo. Il dresse ce triste constat : « Quand on est pris en otage, le pire, c’est de ne pas revenir. Mais quand on revient, le pire, c’est le retour. »
[attachment id=298]Le retour, c’est presque toujours cet avion du Glam qui se pose sur le tarmac d’un aéroport parisien à l’heure du journal télévisé. La porte s’ouvre, l’ancien otage, souvent amaigri et hagard, descend les quelques marches de la passerelle et se retrouve face à une foule de visages plus ou moins familiers : époux, enfants, parents, mais aussi Premier ministre ou président de la République. « C’est très violent. On sort du tombeau, on revient à la lumière et on a l’impression que les autres sont tous en état d’ébriété », raconte Jean-Paul Kauffmann. Il faut ensuite répondre aux questions des confrères. Jean-Jacques Le Garrec n’oubliera jamais l’accueil formidable que France Télévisions lui avait réservé. « En sortant du plateau du 20 Heures, on nous a amenés à l’atrium, où trois cents personnes nous attendaient. Elles nous ont applaudis pendant dix minutes ! »
Si la plupart retournent derrière la caméra, quelques-uns restent des vedettes à vie. Cette médiatisation ne provoque pas que des avantages.
« J’ai écrit deux livres, inspiré un film qui a obtenu un prix à Cannes*, mais je n’ai jamais fait partie du ‘club’ de mes confrères donneurs de leçons. Il suffit de taper mon nom sur Google : mon Dieu, quelle hargne ! »,s’esclaffe Roger Auque, qui a passé dix mois et deux semaines dans les caves de Beyrouth.
« Googliser » le nom du « baroudeur, playboy et candidat » (titre d’un article du Monde daté de 2008), aujourd’hui ambassadeur de France à Asmara, s’apparente à une visite au rayon casseroles d’un grand magasin : « Jean Sarkozy n’a pas eu l’Epad, mais Roger Auque (ex-LCI, TF1, Paris Match) aura l’ambassade de France en Erythrée », annonce le site Bakchich dès la deuxième occurrence, avant que Le Canard Enchaîné n’accuse Son Excellence de plagiat ou que deux journalistes de Canal+ ne se réjouissent de l’avoir fait condamner pour diffamation. « Tout n’est pas faux. J’ai toujours été un journaliste atypique », sourit Roger Auque, qui n’est vraiment excédé que par une seule accusation :
« On a aussi dit et écrit qu’en Irak je ne sortais jamais de ma chambre d’hôtel. Or, j’ai toujours été un reporter de terrain, premier arrivé et dernier parti à Beyrouth, puis à Bagdad. Mais j’ai retenu la leçon de mon enlèvement. En Irak, j’avais des gardes du corps armés, cinq policiers que je payais cent dollars par jour. Oui, je suis devenu plus prudent, pas comme ces ‘grands journalistes’ telle Florence Aubenas, qui n’aurait jamais dû se rendre dans cette mosquée de Bagdad contrôlée par les ‘barbus’. Ou Chesnot et Malbrunot, capturés sur la route de Najaf, où plus personne ne se rendait sans être escorté**. »
Le débat sur les risques à prendre ou à ne pas prendre n’est pas nouveau. « C’est un peu facile, lorsqu’on est irresponsable, d’aller s’exposer pour la gloriole ou pour le métier, se faire piquer et ensuite engager un processus dont toute la nation pâtit », avait violemment déclaré Jacques Chirac, alors Premier ministre, en janvier 1987, juste après l’enlèvement à Beyrouth de Roger Auque. Treize ans plus tard, le président Nicolas Sarkozy s’est agacé de l' » imprudence vraiment coupable » qu’auraient manifestée Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier en se rendant dans la province afghane de Kapisa.
« Les nerfs de ceux qui attendent sont mis à vif »
Marraine du comité de soutien aux deux journalistes de France 3, Florence Aubenas constate les dégâts qu’une détention de longue durée peut provoquer à distance. « Les nerfs de ceux qui attendent sont mis à vif. Or, il ne faut surtout pas se déchirer. Car c’est l’otage libéré qui, passée l’euphorie de sa sortie, devra assumer ce climat empoisonné. » Comme si l’ancienne journaliste de Libé, aujourd’hui au Nouvel Observateur, évoquait en creux son propre retour dans sa rédaction.
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