[Journaux de non-confiné·es] Malgré la crise sanitaire, ils et elles sont obligé·es de travailler quotidiennement sans bénéficier du confinement. Ces non-confiné·es prennent la parole. Aujourd’hui, Charlotte*, 24 ans, éducatrice spécialisée dans un foyer d’accueil d’urgence pour les jeunes en Normandie.
#OnResteOuvert : Fermons nos portes, pas nos esprits !
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Charlotte – “Je travaille dans un foyer d’accueil d’urgence. L’idée, c’est d’accompagner les jeunes au quotidien, de les orienter et de les prendre en charge de manière temporaire, avant un retour en famille, famille d’accueil ou encore maison d’enfant. Nous sommes là pour les accompagner dans un moment de crise.
Il faut savoir que la situation des foyers est très particulière et qu’elle s’est complexifiée bien avant l’apparition du coronavirus. Depuis des années, on manque énormément de moyens et d’effectifs, il y a beaucoup d’arrêts maladie parce que c’est un métier difficile… Plus le temps passe et plus on a l’impression que les établissements sont gérés comme des entreprises et non des lieux où l’humain est la principale préoccupation.
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On s’est dit ‘au secours’
Par exemple, dans le foyer dans lequel je travaille, nous devons suivre un protocole et garder les enfants pendant une durée limitée – pas plus de trois mois – car nous sommes une structure d’urgence. Or, nous nous retrouvons aujourd’hui à héberger des enfants et adolescents pendant plusieurs mois voire plusieurs années, parce qu’il n’y a pas de places ailleurs. Et cela est d’autant plus difficile à gérer que les profils des jeunes dont nous nous occupons sont de plus en plus complexes, mêlant parfois troubles du comportement, handicaps et troubles psychiatriques. Dès lors, on ne peut pas mélanger tout le monde et certains lits doivent rester inoccupés pour éviter des situations d’insécurité. Cela nous est reproché par le département qui nous accuse de ne pas faire notre métier comme il le faudrait, alors que nous ne pouvons faire autrement si nous voulons garantir la sécurité de tout le monde.
Avec le développement du Covid-19, beaucoup de choses ont changé. Lorsqu’on a appris que les écoles fermaient, on s’est dit ‘au secours’! Bien que tous les enfants que l’on accueille ne soient pas scolarisés – certains ont besoin de temps pour se reconstruire et ne peuvent aller directement à l’école -, on s’est retrouvé à gérer, à temps plein, un nombre de jeunes beaucoup plus élevé que d’habitude. Or, nous n’avions pas le personnel, les dispositifs ou encore les budgets adéquats pour cela. Pour les plus petits, il a été très compliqué de leur faire comprendre qu’on ne pouvait plus leur faire de câlins. On a dû instaurer une distance avec eux alors que la plupart ont de gros troubles de l’attachement.
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En ce qui concerne le matériel, on a réussi à obtenir du gel, du désinfectant et des gants qui nous ont été donnés par une connaissance. On a également quelques masques mais nous les gardons pour les jeunes si certains venaient à tomber malades. On ne se fait plus la bise, on garde nos distances, on se lave les mains régulièrement… Mais tout cela paraît finalement dérisoire. D’une part car les jeunes ont énormément de mal à tenir la distance entre eux et, d’autre part, car nous devons continuer à nous occuper d’eux, ce qui implique parfois de nous tenir à moins d’un mètre d’eux.
On nous invisibilise
Le plus compliqué à gérer reste le personnel. Nous avons non seulement peur de transmettre le virus aux jeunes du fait du roulement – il y a deux éducateurs présents la journée et un la nuit -, mais nous devons aussi gérer les courses, ce qui implique de laisser une seule personne s’occuper d’une dizaine de jeunes en même temps. On a eu quelques renforts de la part d’autres structures sociales et notre direction est vraiment à notre écoute, mais au niveau du virus, le risque est là. Personnellement, je ne me fais pas trop de souci car je suis jeune et que je vis en colocation avec des personnes de mon âge, j’ai donc peu de chances de transmettre le virus à des personnes fragiles autour de moi. Mais certain·es de mes collègues sont un peu plus âgé·es et doivent s’occuper de leurs enfants en rentrant, ce qui complique la situation.
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Le gouvernement a évoqué une prime de présence pour les personnes dans notre cas, ce qui est plutôt positif, mais je ne sais pas quoi en penser. La reconnaissance, nous en avons besoin au quotidien, depuis longtemps, mais nous ne sommes jamais entendus. De manière générale, les gens ne savent pas en quoi consiste le métier d’éducateurs spécialisés et lorsqu’ils en entendent parler, c’est toujours négatif (avec des émissions sur ‘l’enfer des foyers’ou encore sur les éducateurs violents avec les enfants). Finalement, on a l’impression d’être à l’image des gens que l’on accompagne : les enfants placés, les SDF… Les gens préfèrent ne pas les voir. Et pour nous, qui travaillons pour ces personnes, c’est la même chose, on nous invisibilise. On avait l’impression d’être oubliés par la société depuis longtemps et cette crise n’a fait qu’empirer ce ressenti.”
Propos recueillis par Julia Prioult
*Prénom modifié à la demande de la personne
Retrouvez les précédents épisodes de la série :
>>Episode 1 : Journal d’une non-confinée : “Nous les caissières, on a l’impression d’être les oubliées”
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