[Le journal de confinement de la rédaction] Chaque jour, un.e journaliste des Inrocks vous raconte son confinement. Aujourd’hui, François Moreau évoque les incendies de Malibu, Kevin Parker et notre misérable condition humaine.
#OnResteOuvert : Fermons nos portes, pas nos esprits !
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Vendredi 10 avril, des types gueulent sur les réseaux sociaux parce que des gens mieux confinés qu’eux postent des photos de ciel bleu. Comme si le reste de l’année, étaler sa vie, ses voyages et sa bonne fortune ne représentait pas moins une violence pour tous ceux qui n’ont jamais vu un coucher de soleil californien. La douceur de cette image aux couleurs pastel ne saurait pourtant faire oublier que les collines de Malibu se sont embrasées en novembre 2018. Un immense brasier, qui aura tout ravagé sur son passage.
Tout ? Non ! Dans un coin reculé de cette petite localité du comté de Los Angeles, une institution a tenu le coup : le Shangri-La studio, de Rick Rubin. C’est là-bas que les Strokes ont enregistré leur nouvel album. Quelques semaines après le passage du groupe à l’Olympia en février dernier, je passais un coup de fil à Fabrizio Moretti, confiné lui aussi, histoire de compléter une interview avec Julian Casablancas quelque peu chahutée dans les coulisses de la salle parisienne : “Julian nous disait que le nom de l’album, The New Abnormal, vient de ces grands incendies qui ont eu lieu pendant l’enregistrement du disque – Oui, c’est fou, s’exclame-t-il. Comme si les Dieux de la musique avaient protégé l’endroit. Tu savais que l’ancien tour bus de Bob Dylan était garé dans le jardin ?”
Soma / Sema
Le sort jeté par ce bon vieux Dylan – qui dévoilait il y a deux semaines ce nouveau monument qu’est Murder Most Foul, sorte d’épilogue à son album Tempest (2012) – sur Shangri-La, n’aura pas ricoché sur la baraque, située à quelques encablures de là seulement et à la même période, que Kevin Parker a loué sur Airbnb pour mettre en boîte le nouvel album de Tame Impala, The Slow Rush : “J’avais derrière la tête l’idée d’y rester seul pendant une semaine, me confiait-il en décembre dernier (…) Je venais d’y passer une nuit quand j’ai vu que des incendies étaient en train de dévaster les collines. J’ai laissé le matériel que je ne pouvais pas rentrer dans la voiture et je suis parti. Je pensais que j’allais pouvoir revenir quelques heures plus tard, que c’était une sorte de blague. Je ne m’attendais pas à ce que les feux soient si énormes et apocalyptiques”. Même à ce niveau, on n’est pas confiné à la même enseigne.
L’album de Kevin Parker, dont la pochette s’inspire du travail du photographe français Romain Veillon dans les ruines d’un village de Namibie, semble avoir une interprétation assez littérale de l’engloutissement réel d’un monde de carte postale, quand The New Abnormal revêt une dimension tout aussi cataclysmique, mais en explorant cette fois les ruines de la mémoire et des blessures anciennes. Sur le premier album des Strokes, sorti en 2001, Casablancas avait déjà cette clairvoyance de regarder le mal en face : “Soma is what they would take when / Hard times opened their eyes / Saw pain in a new way” – la référence est littéraire puisque, dans le roman d’Aldous Huxley Le meilleur des mondes, le soma est une drogue qui dévie les humains de leur condition misérable, en leur faisant croire qu’ils sont heureux.
Dans une tribune relayée par Les Inrocks, Geoffroy de Lagasnerie écrivait : “Des affects s’emparent de nous presque à notre insu, qui structurent notre manière d’appréhender le présent et font régner une ambiance étouffante”. Certains appels consensuels à la “normalité”, pourraient bien, comme le soma, nous détourner à terme de la véritable “anormalité”.
Retrouvez les épisodes précédents de notre série :
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