L’explosion ultra médiatique de l’équipe de France est révélatrice des relations, parfois ambiguës, qu’entretiennent joueurs et journalistes.
On vient de passer quelques jours en Afrique du Sud. Unbedded avec les Bleus. Et on connaît tous leurs secrets. On sait que Domenech a eu un accrochage avec Malouda avant le premier match. On sait que Ribery a obtenu la peau de Gourcuff, avant de le prendre par le colbac. On sait surtout qu’Anelka a pété un plomb à la mi-temps de France-Mexique.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Et pourtant on n’avait cessé de nous dire, ces dernières semaines, que les Bleus de Raymond étaient barricadés, intouchables, invisibles… C’est le paradoxe de ce bordel. C’est aussi son origine. En resserrant au maximum le discours, en raréfiant les points presse et en sanctionnant d’une mise à l’écart les rares joueurs qui osaient formuler des critiques publiques (c’est arrivé à Malouda), Raymond Domenech a laissé la communication lui échapper.
Plié dès la fin de l’Euro 2008
Il a favorisé le développement de réseaux d’informations parallèles. Et provoqué, en bout de chaine, la multiplication hallucinante de fuites dans la presse. Certes ce ne sont pas les fuites qui ont fait mal jouer l’équipe de France. Ce ne sont pas elles, non plus, qui ont plongé les Bleus dans un profond mal être. C’était plié il y a longtemps. Dès la fin de l’Euro 2008.
Mais ces fuites, ramassées sur quelques jours, ont provoqué l’explosion grotesque de l’équipe de France. Elles ont servi de détonateur. Quand Anelka dit ses vérités à Domenech, il y a vingt neuf personnes dans le vestiaire des Bleus. Vingt deux joueurs et sept membres du staff. Alors, qui parle ? « Un traitre » dira Evra, sans doute pour amuser la galerie.
Car le capitaine connaît le système. Il baigne dedans. Il sait que tous les joueurs de l’équipe de France, à quelques exceptions près (on y reviendra), ont un contact privilégié avec un journaliste influent et que les échanges sont fréquents, intenses. Surtout quand on est coincé à l’autre bout du monde, dans une chambre d’hôtel, avec pour plus fidèle partenaire son téléphone portable…
Une demi-douzaine de source
Dans l’affaire Anelka, il n’y a donc pas « un traite ». Il y a des sources, plein de sources. L’Equipe a eu vent de l’altercation, sans détails, par un joueur, joint directement au téléphone. Puis l’information a été confirmée, étayée par de nombreux proches de joueurs. Des agents et conseillers en tous genres. Au total, plus d’une demi-douzaines de sources ont confirmé les mots d’Anelka.
Pourquoi parlent-ils tous ? Ils n’ignorent pas que l’information va nuire à l’équipe. Evidemment. Mais ils sont décomplexés, il n’y a plus de sentiment collectif dans cette équipe. Alors, les Bleus balancent, pour sauver leur peau, même un petit peu. Le joueur qui parle fait une faveur au journaliste. Il lui permet de réaliser un coup.
En échange, il espère s’assurer sa protection. Il s’attend à être épargné dans ses papiers et un peu surnoté dans les compte-rendus de match. C’est d’ailleurs souvent le cas. Parce que c’est gagnant-gagnant. C’est ça le système. Et si le joueur n’a pas conscience de son importante alors, c’est son agent qui rentre en action.
Souvent, c’est d’ailleurs lui qui fait remonter les informations pour son client. C’est encore plus simple. L’agent est plus facilement joignable, moins exposé que le joueur. Il peut aisément tirer les ficelles en sous main. Surtout quand, dans une vie antérieure, il a été journaliste, spécialisé dans le foot…
Une campagne de presse pour Valbuena
C’est le cas d’Alex Hayes, ancien de l’Equipe, Canal Plus et RTL, aujourd’hui en charge de la communication de Florent Malouda. C’est aussi le cas de Christophe Hutteau, l’agent de Mathieu Valbuena. Ancien de France Football, L’Equipe et RTL, plutôt sympathique et bavard, Christophe Hutteau est connu dans le milieu pour sa propension à alimenter les journalistes.
Il sait aussi offrir à ses anciens confrères un accès aisé à son joueur. Dans les semaines qui ont précédé la publication de la liste des joueurs convoqués pour la Coupe du Monde, Mathieu Valbuena a ainsi été l’objet de nombreux articles et reportages, tous très favorables. Une vraie campagne de presse, pour une vraie surprise : la sélection de Valbuena pour la Coupe du Monde.
Refuser ce petit jeu médiatique équivaut à se mettre en danger, à s’exposer à une critique objective. C’est le pari d’Anelka, depuis longtemps. Alors que Thierry Henry s’est appuyé pendant des années sur Pierre Menés, ancien journaliste de l’Equipe, aujourd’hui à Canal+, Anelka a toujours été rare, discret, difficilement joignable. Il est donc exposé. La gifle qu’il adressa, il y a une dizaine d’années, à un journaliste de l’Equipe, toujours en activité et même dépêché sur les Bleus, n’arrange évidemment rien. Pas plus que ses rapports parfois difficiles avec ses coéquipiers…
De là à penser que certains joueurs étaient heureux de nuire à Anelka en faisant remonter, par leurs journalistes attitrés, son altercation avec Domenech, il n’y a qu’un pas. Qu’il est possible de franchir. Les informations sortent parce que les joueurs le veulent bien. Et parce que les journalistes, sevrés d’informations par Domenech, n’ont jamais été aussi nombreux, autant aux aguets. Ces deux phénomènes coïncident, se nourrissent l’un l’autre.
Six journalistes pour l’Equipe
Deux cents journalistes suivent l’équipe de France en Afrique du Sud. Pour exister, il faut ramener de la matière, si possible exclusive. Les moyens déployés sont plus importants que jamais. Six journalistes suivent en permanence les Bleus pour l’Equipe. Tous sont informés et en contact avec des joueurs.
Canal+ fait aussi sa part. Pour rivaliser sur le terrain de l’information pendant cette Coupe du Monde, la chaîne a fait des efforts particuliers, et révolutionné cette tradition maison qui faisait d’un match bien filmé un match réussi. En novembre dernier, Karim Nedjari, ancien journaliste du Parisien, a donc été nommé directeur des rédactions sport. Sa mission?
« Nous permettre de nous améliorer dans l’investigation, dans les enquêtes », disait alors la direction de Canal+.
Dans le sillage de Nedjari, une cellule enquête a été crée. Renforcée par des joueurs (Makelelele, Vieira, Wiltord), restés très proches de l’équipe de France et donc très bien informés, elle est présente en force en Afrique du Sud. Elle se régale évidemment dans cette pétaudière. Avant même de lire l’Equipe, c’est d’ailleurs sur Canal+ qu’on avait appris l’altercation Anelka-Domenech…
{"type":"Banniere-Basse"}