Rappeur, acteur, l’homme que l’on nomme JoeyStarr est aussi un gourmet de premier plan et un cuisinier avisé. Pour en parler, nous l’avons emmené dans un restaurant parisien tendance.
JoeyStarr, il mange quoi à ton avis ? Certains auraient tendance à répondre : « des enfants. » La réalité est tout autre, le Jaguarr se nourrit avec un extrême raffinement. On l’avait aperçu au Fooding 2011, aux Buttes-Chaumont, en train de servir aux invités un velouté de lentilles au haddock qu’il avait concocté avec le chef du restaurant Les Papilles, Bertrand Bluy. JoeyStarr songerait d’ailleurs – on l’apprendra plus tard – à lui confier l’intro d’un prochain album. « Quand il te donne le menu, je salive déjà rien qu’à l’entendre. Il serait super, c’est le Khalil Gibran du gigot. »
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« Le cochon, on connaît”
Ce soir de novembre 2013, c’est au Roseval, dans le XXe arrondissement de Paris (quartier Ménilmontant), que nous avons convié le chanteur et son manager, Sébastien Farran (autre fin mangeur, avec qui il a « découvert la bouffe »). Arrivé en éclaireur, Seb Farran est déjà à l’ouvrage avec une splendide assiette de cochonailles et une burrata de haute volée, lorsque JoeyStarr débarque dans l’établissement sous le regard ahuri des convives. Simone Tondo, l’accueillant chef italien du Roseval, fait le premier pas vers un Joey illico assis au comptoir. « C’est du cochon élevé… – C’est bon, on a déjà mangé du jambon, on connaît ! », lâche le Jaguarr. Tondo est un peu tendu – mais il comprendra que tout ça, au fond, ça veut dire « je t’aime » en Jaguarr.
JoeyStarr attrape un verre de rouge, passe délicatement son nez dessus, avale une gorgée. « J’aime bien les trucs assez tanniques. Les bordeaux, c’est un peu classique pour moi, je me laisse plus facilement surprendre par des bourgognes. » Simone Tondo revient à la charge avec des anchois. JoeyStarr remercie et enchaîne : « Dans la culture antillaise, la bouffe, c’est un legs, c’est le terroir. Faire à manger, tuer les bestiaux, on t’apprend à le faire. Moi, j’ai grandi en France. Mon père cuisinait super bien. Du coq au vin, des colombos. Il faisait ça les yeux bandés. Je mangeais, mais le repas, c’est pas toujours le moment où on apprécie le mieux la bouffe. Un jour, mon père s’est brûlé la main avec du ciment et je me suis retrouvé commis de la maison. Je dois dire que j’ai appris avec un sacré cuisinier. J’avais 8 ou 9 ans. »
Jamais au McDo
Il se ressert un peu de burrata, prend du vin et savoure l’instant avec un petit rugissement. Et pendant les années NTM, qu’est-ce qu’on mangeait, Joey ? « Des vinyles », vanne Seb Farran. « En tout cas, on n’est jamais allés au McDo, sauf une fois, en Jamaïque, pour chercher des glaçons, note le Jaguarr. Ensuite j’ai eu des enfants et je me suis redécouvert une vie derrière les fourneaux, avec l’envie de leur faire goûter des trucs, de leur faire partager tout ça. A tel point qu’un jour, la mère de mes deux fils a dit à ses copines que ça la complexait d’entrer dans la cuisine. A l’époque, je faisais beaucoup de soundsystems, alors je préparais des plats pour la petite famille. Cela dit, avant, je faisais quand même à manger, mais j’étais plutôt du genre à te faire un truc sur les coups de 6 heures du matin. » Seb Farran acquiesce.
On prend place à table. Simone Tondo apporte du maigre de ligne, cuisiné avec de la betterave et du radis. JoeyStarr parle du barbecue qu’il a installé dans sa nouvelle maison parisienne. « La barbaque, c’est important. » Il est un habitué des marchés, où il va chercher sa viande lui-même. « Quand je vivais dans le XIe, j’allais souvent au marché de la Bastille, rue d’Aligre aussi, parfois je poussais jusqu’à la Bourse. J’adore regarder. Moi, quand je vois une vache, j’ai envie de grailler. Au marché, je m’arrête chez le boucher et je le bombarde de questions. Les mecs, en voyant ma ganache, c’est sûr, ils sont étonnés. Surtout quand je leur demande si on peut truffer la pièce avec des clous de girofle et de l’ail. » Il dit adorer les abats : rognons, tripes. Andouillette aussi, « mais faut qu’elle sonne un peu, tu vois ce que je veux dire ». Il a découvert, rue Sainte-Anne, un magasin avec des « épices de ouf ».
« Je cuisine à l’humeur”
Dans sa cuisine d’avant, il avait installé un câble de 17 mètres pour pouvoir faire à manger en regardant la télé. « Je cuisine à l’humeur, je sais jamais ce que je vais foutre. » Le mois dernier, une amie lui a parlé d’un bœuf bourguignon pané à Paris.Il est allé le goûter par curiosité : le Jaguarr se déplace pour manger.
En Italie, un jour, il a rencontré « du côté de Lecce une dame qui cuisinait pour dix, quinze personnes. Elle me fascinait, je la regardais faire avec des yeux émerveillés. C’est rare de mal manger en Italie, comme en Thaïlande d’ailleurs. Ou au Vietnam. » Du lac de Côme, il a récemment ramené un « balsamique à 75 boules, mais du bon ». Le poulet pak-choï du Roseval avalé, JoeyStarr part commander un « smoothie », explique-t-il. Le serveur apporte trois verres de rhum. « Il a une connaissance encyclopédique du rhum, mais ça, il ne te le dira pas », note son compère.
Il est presque 23 heures. Le Jaguarr a rendez-vous ailleurs. Il part en saluant Simone Tondo et en lui glissant un truc à l’oreille. Le dessert arrive. On prendra sa part. Tout n’est pas si facile.
Pierre Siankowski
Roseval 1, rue d’Eupatoria, Paris XXe
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