Un livre fraîchement traduit de l’anglais revient sur la longue histoire d’amour pas si connue entre Sega et le jeu d’arcade en se penchant sur 62 jeux, de « Monaco GP » à « Crazy Taxi », de « Flicky » à « The House of the Dead ». En parallèle, Sega poursuit sa politique de réédition de classiques sur la Switch avec la gamme « Sega Ages » qui accueille deux nouveaux élus : « Fantasy Zone » et « Shinobi ».
Sega, tout le monde connaît. Sega, c’est Sonic (qui s’apprête à débouler dans les salles de cinéma du monde entier), c’est la MegaDrive qui se partageait avec la Super Nintendo les faveurs des jeunes gamers du début des années 1990, c’est aujourd’hui l’un des plus grands éditeurs vidéoludiques, présent sur à peu près toutes les plateformes, et l’un des piliers du jeu japonais. Mais tout ceci n’est qu’une partie, qu’une face de l’histoire de Sega qui fut aussi bien d’autres choses souvent moins connues que dévoile Ken Horowitz, grand spécialiste de la marque, dans un ouvrage traduit de l’anglais et fraîchement paru chez Third Editions : La Révolution arcade de Sega.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Bases militaires
L’arcade, donc. Cette forme de jeu vidéo qui se pratique hors de chez soi et sur de grandes et belles bornes gourmandes en pièces de monnaie par laquelle tout a commencé. Pour Sega aussi, tout part de là, et bien avant que les jeux en question ne deviennent « vidéo », après la Seconde Guerre Mondiale, au temps où régnaient les flippers, les juke-boxes et les jeux électromécaniques. A l’origine, Sega n’est par ailleurs pas une firme japonaise, mais le fruit des fusions successives de sociétés fondées par des Américains et qui avaient pour point commun d’importer et de distribuer des machines à sous au Japon, d’abord à destination des bases militaires américaines, puis des civils. Sega, dont le PDG fut jusqu’en 1996 l’Américain David Rosen, garde ainsi longtemps plus qu’un pied aux Etats-Unis, où sont conçus bon nombre de ses premiers jeux à succès comme Head On, qui date de 1979, Carnival ou Space Fury. Ce qui, accessoirement, pourrait amener à percevoir le rachat par Sega depuis les années 2000, de studios occidentaux comme Creative Assembly, Sports Interactive, Two Point Studios ou Amplitude Studios moins comme un bouleversement stratégique que comme une sorte de retour aux sources.
« Jouabilité corporelle »
Soixante-deux : c’est le nombre de titres que Ken Horowitz aborde dans La Révolution arcade de Sega, lesquels sont autant d’étapes d’un voyage heurté dans le passé d’une société de jeux vidéo pas comme les autres. Et qui, par ses productions, n’a jamais vraiment cessé de se distinguer. Si le jeu vidéo partage avec le cinéma une certaine origine foraine, cet aspect a été savamment cultivé par Sega, en particulier dans les années 1980 qui virent le développement de bornes particulièrement spectaculaires et, explique Horowitz, « basées sur la « jouabilité corporelle », ou taikan en japonais. Des bornes conçues pour concurrencer les nombreux jeux multijoueurs qui fleurissent à l’époque ». C’est Hang-On (1985) qui a donné le signal de départ en invitant les joueurs à chevaucher une (fausse) moto bougeant en même temps que celle qu’ils dirigent à l’écran. Puis il y eut la Ferrari Testarossa d’Out Run (1986), l’avion de chasse d’After Burner (lancé en 1987 sous la vrombissante influence de Top Gun) et bien d’autres, jusqu’à la très coûteuse borne R360 capable de pivoter à 360° dans n’importe quelle direction et devant laquelle, pour d’évidentes raisons de sécurité, un surveillant devait rester posté en permanence, prêt à appuyer en cas de besoin sur le bouton d’arrêt d’urgence. Une machine qui, estime Horowitz, « ressemble plus à une attraction de Disneyland qu’à une borne d’arcade ».
Maîtres et élèves
De la simulation pionnière de sous-marin Periscope (1968) aux jeux de tir au pistolet optique Virtua Cop (1994) ou The House of the Dead (1996), c’est un peu la même philosophie du jeu pensé comme une attraction. Un mot à prendre aussi au sens littéral : un curieux qui pénètre dans une salle d’arcade aura immanquablement le regard attiré par une borne aussi monstrueuse que celle de Galaxy Force (1988, une sorte d’After Burner dans l’espace) ou par la formule 1 de Super Monaco GP (1989). Et après, si tout se passe bien pour l’exploitant de la salle, c’est le contenu de son porte-monnaie qui subira à son tour cette irrésistible attraction.
En parallèle apparaît cependant une autre histoire : celle des auteurs Sega, artistes visionnaires pour certains autant qu’artisans à la tête d’ateliers qui, ici, prennent le nom de « divisions ». Ainsi, AM2, c’est celle de l’immense Yu Suzuki (Hang-On, Out Run, After Burner, Virtua Fighter, mais aussi Shenmue) et de son « élève » Toshihiro Nagoshi (qui suivra bien plus tard l’exemple de son maître en concevant la saga Yakuza). Et puis il y a l’AM5, que rejoint Tetsuya Mizuguchi (Sega Rally Championship en arcade, puis Space Channel 5, Rez ou, bien plus tard, Tetris Effect). Et bien d’autres. L’une des grandes qualités du livre de Ken Horowitz est de mettre des noms derrière les jeux, de dire qui fait quoi, comment et pourquoi et pour aller faire quoi d’autre ensuite, donnant du même coup le sentiment que, derrière les décisions d’entreprise parfois erratiques, c’est un vrai bouillonnement créatif qui a porté Sega pendant toutes ces années. Ces étranges et glorieuses années.
La Révolution arcade de Sega – De 1945 à nos jours, de Ken Horowitz, Third Editions, 282 pages, 24,90€
L’arcade façon Sega en 5 jeux
Avec l’aide du studio japonais M2, expert en adaptation des jeux du passé, Sega a entrepris de ressortir ses classiques sur la Switch dans des versions soigneusement remastérisées et riches en options (sauvegarde de la partie, réglage de la difficulté…) Les jeux d’arcade tiennent une place prépondérante dans cette séduisante collection baptisée Sega Ages.
Fantasy Zone (1986)
« Je voulais faire quelque chose de plus lumineux, avec un côté pop », explique Yoji Ishii dans le livre de Ken Horowitz. Réponse de Sega au Gradius de Konami qui triomphe alors dans les salles d’arcade (et pendant horizontal du vertical TwinBee paru chez le même éditeur l’année précédente), Fantasy Zone prouve qu’un shoot’em up peut être à la fois sévère (malgré la volonté d’accessibilité affichée par ses créateurs) et mignon, joyeux et stimulant. Ou quand le shoot’em up devient « cute’em up ».
Wonder Boy in Monster Land (1987)
Un Wonder Boy peut en cacher un autre – et l’on ne parle pas ici de ses héritiers spirituels Adventure Island et Monster Boy. Auréolé du succès de l’épisode inaugural de 1986, Ryuichi Nishizawa et Michishito Ishizuka laissent libre cours à leur goût du jeu de rôle dans sa suite qui lance son héros dans une grande aventure lui imposant de gérer savamment son équipement. Un principe inhabituel en arcade, où sont privilégiées les parties courtes et la satisfaction rapide. Ici, c’est l’envie de découvrir les secrets du jeu qui pousse à refaire une partie.
Shinobi (1987)
Drôle de ninja que ce Joe Musashi : alors que ses collègues sont réputés agir dans l’ombre, lui fonce dans le tas avec son sabre et ses shurikens (que l’on peut lancer en vue subjective dans les niveaux bonus). Dans cet intense jeu d’action emblématique de son temps (la mode des ninjas, l’action urbaine en scrolling horizontal…) conçu par le jeune Yutaka Sugano, l’apprentissage se fait par l’échec. La possibilité de régler le niveau de difficulté et de remettre des pièces virtuelles à volonté, présente dans tous les jeux de la collection, est particulièrement bienvenue.
Columns II : The Voyage Through Time (1990)
Au rayon puzzle game, Puyo Puyo aurait aussi été un bon choix, mais Columns se distingue par son destin singulier. C’est Jay Geersten, un employé de Hewlett-Packard, qui a eu l’idée de cette variante de Tetris empruntant aussi au morpion, mais sans envisager de la commercialiser. Récupéré par Sega qui recherchait « le nouveau Tetris », Columns connut son heure de gloire en arcade comme sur consoles, jusqu’à être vendu en bundle avec la GameGear dans certains pays. A noter : le Columns II de la gamme Sega Ages inclut aussi la version MegaDrive du premier volet.
Virtua Racing (1992)
On aurait pu élire l’indémodable Out Run du même Yu Suzuku, mais, moins souvent réédité depuis sa sortie, Virtua Racing est le véritable joyau de la collection Sega Ages grâce au merveilleux travail mené par M2 qui a gratifié cette version remastérisée d’une stupéfiante fluidité. A l’époque, l’enjeu n’était pas seulement d’engager le jeu de course franchement dans la voie de la 3D mais aussi de gagner en réalisme. L’année suivante, Suzuki et son équipe feront subir à peu près le même traitement au jeu de combat avec Virtua Fighter.
Sur Switch, Sega, environ 7€ chacun. Autres jeux disponibles dans la gamme Sega Ages : Sonic the Hedgehog, Out Run, Thunder Force IV, Puyo Puyo, Space Harrier, Gain Ground, Ichidant-R, Phantasy Star, Alex Kidd in Miracle World.
{"type":"Banniere-Basse"}