En 1966, Londres attire tous les regards : sa culture jeune et sa mode d’avant-garde font de la ville une swinging city. A l’occasion de la sortie de notre hors-série spécial « année 1966 », nous publions ce papier sur les Inrocks premium.
« Je suis arrivée à Londres un beau jour d’avril ensoleillé. Je débarquais de Hollande vêtue de mes propres créations, avec mon book de mannequin sous le bras. L’atmosphère était incroyable, je ne me sentais plus à part. Je faisais partie du mouvement.” L’ex-mannequin Willy Van Rooy, la vingtaine à l’époque, se rappelle avec émotion ses premiers pas dans le Swinging London des années 1960. Autour d’elle, d’autres têtes blondes aux grands yeux fardés – Twiggy, Jean Shrimpton, Veruschka, autant de poupées sixties qui marquent l’époque par leurs silhouettes frêles et leur style ultra-moderne. Les filles portent des minijupes signées Mary Quant ou de longues robes à fleurs Ossie Clark ; les garçons, des costumes colorés taillés sur mesure. En Angleterre comme à l’international, Londres est résolument the place to be.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
En 1966, Londres change. Carnaby Street, cette rue au centre de la ville connue pour ses boutiques de tailleurs pour hommes, est constamment inondée de clients, curieux, touristes – et plus aucun des Mods d’origine. En avril 1966, le magazine américain Time consacre un numéro spécial à ce Swinging London, le Londres en mouvement, en musique, en mutation constante. Devenues gratuites en 1944, les universités et écoles d’art de la ville déversent toujours leur flot de diplômés créatifs issus de la working class : David Hockney, Mick Jagger, John Lennon, Richard Hamilton… Tous se connaissent et forment une nouvelle génération ultra-créative qui renverse la société aristo britannique. Toute cette clique traîne dans les clubs de Soho, donne des concerts, des interviews télévisées, ouvre des expositions d’art et des manifestations culturelles qui drainent une population nouvelle : une jeunesse de plus en plus émancipée.
The Saturday girl
Assoiffée de pop culture, cette nouvelle génération est le moteur central des Swinging Sixties. “Les jeunes des années 1960 prennent le contrôle de leur propre vie,” explique Lou Taylor, historienne de la mode et professeure à l’université de Brighton.
“Ils expriment leurs opinions, affichent leurs convictions et font des choix de vie en leur propres termes, en prenant leurs distances avec les idéaux de leurs parents.”
La meilleure façon de s’affranchir ? Gagner en indépendance financière. Les années 1960 sont l’apanage des Saturday girls, ces jeunes filles qui prennent un petit boulot dans une boutique ou un bureau le week-end, économisant chaque semaine les deniers gagnés – ou les dépensant le jour même. “Ces jeunes gens, entre 15 et 25 ans, deviennent des consommateurs de mode selon leurs goûts et ne laissent plus leurs parents les habiller”, raconte Lou Taylor.
Traînant dans les coffee shops ou les dancehalls, amassées autour du tourne-disques pour écouter le dernier chanteur à la mode, les jeunes filles développent leur vie sociale, défilant dans les rues en bandes ultra-lookées. Nourries aux magazines de mode – les élitistes Vogue ou Queen, les plus mainstream Jackie ou Honey – et s’inspirant des stars invitées dans l’émission de musique culte Ready Steady Go!, les jeunes filles courent les magasins pour s’offrir la dernière fringue à la mode, apprenant à coudre et ouvrant parfois leurs propres petites boutiques indépendantes.
De Carnaby Street à King’s Road
Les entrepreneurs de l’époque se régalent de cette nouvelle génération de consommateurs à l’affût des dernières tendances, capables d’économiser des mois pour acheter la dernière pièce à la mode. C’est, selon Lou Taylor, la raison majeure de la surreprésentation des silhouettes frêles dans la mode des sixties : la clientèle cible perd dix ans ; il ne s’agit pas de dessiner pour des femmes amincies, mais rajeunies. Les maisons de couture traditionnelles ont du mal à tenir la route, ratant (volontairement) le coche de la mini-jupe et peinant à séduire la jeunesse à la mode.
“J’ai commencé ma carrière à Paris, je dessinais des silhouettes pour des collections couture, raconte la créatrice de mode Barbara Hulanicki, fondatrice de la boutique Biba. J’étais la seule là-bas à ne pas aimer Balenciaga. C’était pour les vieilles !”
Dans la veine du magasin Bazaar, monté par la créatrice Mary Quant en 1954, ou de Quorum, le multi-marques pour lequel dessine Ossie Clark, un nouveau concept de boutique voit le jour, envahissant le quartier de Chelsea et draguant la jeunesse londonienne friande des nouvelles tendances : non loin des boutiques vintage aux noms improbables (Granny Takes a Trip, I Was Lord Kitchener’s Valet) s’élèvent des emporiums massifs, décorés par la crème des artistes, où la musique est forte et la lumière, rare. “Les parents n’osaient pas rentrer !”, se souvient Barbara Hulanicki.
L’année 1966 est une année charnière pour la créatrice : avant l’imposant bâtiment Art déco sur Kensington High Street, Biba transforme un ancien apothicaire sur Kensington Church Street en boudoir cosy. “Pour marquer le coup, nous avons organisé une énorme fête de déménagement. Cilla Black, les Stones… Tout le monde était là.” Mais tout le monde n’était pas cool. A Biba, c’est la jeunesse qui règne.
“Les vendeuses se plaignaient souvent des stars plus vieilles qui venaient traîner à la boutique, se souvient Barbara. Un jour, j’entends des filles se plaindre d’un ‘vieillard’ qui les poussait à quitter la boutique et à venir faire la fête avec lui. Elles le trouvaient pénible et ennuyeux. C’était Marcello Mastroianni !”
Fleur Burlet
« 1966« , le hors-série des Inrockuptibles, disponible en kiosques et dans notre boutique
{"type":"Banniere-Basse"}