Au mois de septembre dernier, le corps de Sophie Lionnet, jeune fille au pair hébergée par un couple de français domiciliés à Londres était retrouvé sans vie dans le jardin de leur propriété. La possibilité d’une telle tragédie suscite des questionnements au sein des familles : devenir jeune fille au pair, est-ce s’exposer à des risques d’exploitation et de maltraitance ?
Goûter au rêve américain, vivre six mois sous les tropiques, ou perdre leur accent français. Chaque année, des centaines de jeunes filles (les garçons sont encore rares) s’envolent loin de chez elles pour devenir au pair, le temps de quelques semaines.
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Le deal est séduisant : s’occuper des enfants de leurs hôtes pour en échange être nourries, logées, blanchies. Pourtant, il arrive que le voyage soit humainement moins enrichissant qu’espéré. Vulnérables car isolées, parfois handicapées par la barrière d’une langue qu’elles ne maîtrisent que peu, certaines sont réduites à l’exploitation et au silence.
C’était le cas de Sophie Lionnet, cette Française de 21 ans, assassinée au mois de septembre chez ses employeurs londoniens. Elle a été retrouvée calcinée dans le jardin de Ouissem Medouni et Sabrina Kouider, 36 et 40 ans, depuis en détention provisoire. Les témoignages de ses proches et fréquentations, ont levé le voile sur le calvaire d’une jeune femme perdue, manifestement maltraitée et sous-alimentée. Une marche lui rendant hommage était organisée le 8 octobre dernier à Londres. Une dizaine de jeunes au pair ont ouvert le pas en brandissant des pancartes imprimées de ce troublant slogan : « Au pair, not slave« .
Témoignages alarmants
Sur le papier, les candidat(e)s au pair s’engagent dans le cadre d’un programme d’échange culturel. Pour faire des rencontres, sortir de leur zone de confort, se confronter à un mode de vie inconnu. La réalité prend parfois un chemin bien différent de celui de leurs espérances. Phénomène que l’on observe beaucoup ses temps-ci, le destin tragique de Sophie Lionnet a libéré la parole.
Sur Youtube, les témoignages sont nombreux : « Au pair : expérience catastrophique« , « Bilan de mon expérience foireuse de fille au pair« , « Au pair, expectations vs reality« . Certaines racontent leurs horaires de travail insensés, dans des conditions allant parfois jusqu’à l’insalubrité, l’absence de rémunération et d’intimité, l’intimidation, la violence ou le harcèlement sexuel. Comment peut-on en arriver là ? Est-ce une aventure à risque de partir au pair à l’étranger ? A quel point les jeunes filles sont-elles livrées à elles-mêmes, encadrées, protégées ?
Ce type d’échange est réglementé depuis de nombreuses années. Dès 1969, comme la pratique se répand, le Conseil européen rédige un accord sur le placement au pair et son protocole. Ce document stipule notamment que « la personne placée au pair sera amenée à partager la vie de la famille d’accueil, tout en disposant d’un certain degré d’indépendance » ou encore qu’elle peut « fournir à la famille des prestations consistant en une participation à des tâches familiales courantes […] qui n’excédera pas en principe une durée de cinq heures par jour« .
Partir accompagné
Cinq heures par jour, à condition de choisir un intermédiaire qui soit un minimum regardant. Or, si les agences au pair ont fleuri sur la toile depuis une dizaine d’années, toutes ne sont pas dignes de confiance. Beaucoup ne servent qu’à faire le lien entre les jeunes filles et les familles, mais ne s’occupent plus de leurs cas une fois la frontière franchie, et n’ont que faire des contraintes administratives et juridiques. “Etre jeune fille au pair à Dubaï, ça n’est pas légal, par exemple, explique Annie Deroo, fondatrice de l’agence Solution au pair, agréée par l’UFAAP (Union française des agences au pair). Au Canada non plus, ce statut n’existe pas, il faut suivre un process très précis. Ce n’est pas légal, pourtant si on veut partir, on peut« . En effet, grâce à internet, mine d’or pour celles qui ont soif d’aventure, on trouve des annonces partout et pour tout.
Ces dernières sont d’autant plus attractives que partir à l’étranger encadrée par un organisme agréé a un coût, que toutes ne peuvent assumer. Avoir recours aux services d’une agence coûte 350 euros en moyenne pour un séjour en Europe, auxquels s’ajoutent éventuellement 150 euros pour un visa. Trop cher, le ticket d’entrée ? « Mais le temps que l’on gagne quand on passe par un professionnel pour éviter tous les écueils à l’arrivée, tout ça n’a pas de valeur » estime Annie Deroo.
Zoe Filippi, directrice de l’agence Pebbles et Vice-présidente de l’UFAAP, le confirme : « Dans le cas d’une agence qui n’est pas agréée, s’y inscrire équivaut à créer une page Facebook. Derrière, il n’y a personne à solliciter en cas de problème, personne pour s’assurer simplement du fait que la famille existe vraiment, qu’elle peut accueillir un jeune dans de bonnes conditions« .
Au-delà du silence et de la solitude auxquels peuvent se heurter les jeunes filles qui partent via ce type d’agence peu fiable, les abus naissent du manque d’information. « Quand une jeune fille de 19 ans part pour la première fois elle ne sait pas quelle question poser« , poursuit Zoe Filippi. Beaucoup n’ont aucune idée de la réalité de l’expérience, de ce qui peut leur être demandé ou non. « La garde d’un nourrisson par exemple est interdite, c’est trop de responsabilités« . Alors il arrive fréquemment que le nombre d’heures maximum soit dépassé, que des tâches ménagères soient demandées le week-end, que les nuits soient écourtées si le bébé pleure.
Une approche idéaliste
Les agences agréées et l’UFAAP expliquent faire régulièrement face à une approche irréaliste. « Aussi bien du côté des jeunes au pair que des familles, qui imaginent souvent la petite Californienne surfeuse, qui fait des super gâteaux et est géniale avec les enfants, poursuit Annie Deroo. Mais parfois les différences culturelles sont énormes. Nous avons commencé à travailler avec le Zimbabwe par exemple. On ne peut pas rentrer tous les jeunes dans les mêmes cases, il faut que tout soit traité au cas par cas pour assurer la compatibilité des deux parties« .
Entre idéalisation et dérives, il faut faire la part des choses et rappeler que dans la majorité des cas, les échanges se passent bien. “Nous entendons beaucoup de choses négatives depuis ce qui est arrivé à Sophie et c’est normal, mais il faut savoir les choses vont globalement dans le bon sens » confirme Zoe Filippi. Les procédures et réglementations ont été repensées, rediscutées au mois de septembre dans le but de diminuer le nombre d’heures de travail, de faire le point sur l’industrie au pair.
« Il ne faut pas la diaboliser. On a le sentiment que ces jeunes filles sont exploitées car très peu payées, mais c’est sous-estimer la valeur d’une chambre, avec électricité et connexion wifi en plein cœur de Londres que certaines familles leur proposent. » De belles opportunités pour des expériences humaines parfois extraordinaires dont Annie Deroo se réjouit : “Nous avons une famille qui ne cesse de nous appeler pour trouver une nouvelle jeune fille au pair, ils en ont depuis des années. Je n’arrête pas de leur dire qu’ils ne peuvent plus, que leurs enfants sont trop grands !”
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