Dans « Je serai président ! L’histoire du jeune et ambitieux Alain Juppé » (Ed. La Tengo) Camille Vigogne Le Coat retrace la jeunesse de celui qui brigue l’Elysée. Fils déifié par sa mère, normalien premier de la classe, et séducteur invétéré, c’est un tout autre Alain Juppé qui apparaît. Un livre rempli d’anecdotes, parfois même croustillantes.
« Raide », « sérieux », ou encore « austère », Alain Juppé n’est pas réputé pour s’épancher sur sa vie privée, loin de là. De lui, on connaît surtout son mandat de Premier ministre en 1995, son exil au Québec, ou encore sa fonction de maire de la ville de Bordeaux. En revanche, la jeunesse du candidat à la primaire de droite, reste encore une période nébuleuse. Dans Je serai président ! L’histoire du jeune et ambitieux Alain Juppé (Ed. La Tengo), paru le 18 mai dernier, Camille Vigogne Le Coat s’est penchée sur la vie de l’ancien Premier ministre, de sa naissance jusqu’à son premier succès politique de 1983 aux législatives. A travers cette genèse d’Alain Juppé, la journaliste a cherché à connaître l’homme derrière le candidat.
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« J’étais incontesté dans mon royaume«
Avant de devenir la personnalité préférée des Français, Alain Juppé est surtout le chouchou de sa mère. Entre un père ouvrier et une mère femme au foyer, « le petit Alain » (comme le surnomma plus tard Jacques Chirac), est surprotégé. Marie Juppé a un caractère très fort. A Mont-de-Marsan, elle est décrite comme une « maîtresse-femme », on la surnomme même « la Grande Catherine de Russie », et « étouffe » son fils « d’un amour inconditionnel et exubérant », écrit l’auteure. Camille Vigogne Le Coat raconte notamment comment lors d’un voyage scolaire à Lisbonne en autocar, le jeune Alain, heureux de quitter le cocon familial pendant quelques jours, découvre en arrivant, amère, que ses parents ont fait le trajet en voiture afin de s’assurer que tout va bien.
Marie Juppé est persuadée que son fils ira loin et fera tout pour qu’il devienne quelqu’un de grand. « J’étais le roi dans la famille. Celui dont on était fier, qui réussissait », confie le maire de Bordeaux. « J’étais incontesté dans mon royaume, raconte-t-il aujourd’hui. On n’en sort pas indemne ». Adulé par ses professeurs, Alain a pour habitude d’être le premier partout, et ne supporte pas le contraire. « On ne se remet jamais tout à fait de son enfance », souligne-t-il à ce sujet.
L’histoire d’Alain Juppé, c’est avant tout l’histoire d’une ambition. Avant d’aspirer à une carrière politique, il rêve de devenir Pape. Rien que ça. « C’était par pure ambition, car j’étais sensible, mais pas vraiment mystique », explique-t-il.
« Evidemment, j’étais gaulliste ! »
Son baccalauréat en poche, Alain fonce sur Paris. Il intégrera Louis Le Grand, Normal Sup, Sciences Po, puis l’ENA. Pendant les événements de mai 1968, alors âgé de 22 ans, « Alain Juppé a pris peur. Femme et enfant sous le bras, il a fui », raconte l’auteure. Sa mère lui ordonne de rentrer à Mont-de-Marsan. « Comme si c’était la guerre ! Pourtant, on ne risquait rien », se souvient Christine Leblond-Juppé, sa première femme. L’étudiant brillant aurait-il manqué un des mouvements les plus marquants de l’histoire ?
« Ah non ! Je n’ai pas accroché aux thèses des soixante-huitards, je n’ai pas ressenti cette chape de plomb du gaullisme, de son conformisme, etc. Evidemment, j’étais gaulliste ! », rétorque-t-il.
Fidèle depuis toujours au général De Gaulle, Alain Juppé va pourtant s’autoriser un écart : en 1969, il vote Alain Krivine au premier tour des élections présidentielles. « Je trouvais que le candidat officiel (Georges Pompidou – NDA) manquait un peu de punch. Je me suis dit ‘je vais voter Krivine’ pour manifester ma mauvaise humeur au premier tour. »
Une rencontre sera ensuite décisive : celle de Jacques Chirac. En 1976, Alain Juppé, alors inspecteur des finances, passe un entretien pour devenir la nouvelle plume du Premier ministre, Camille Vigogne Le Coat raconte la scène :
« L’entretien dure un quart d’heure. Après les présentations d’usage, il demande : ‘Vous voulez faire de la politique ?‘ Alain Juppé est impressionné. ‘Je serai très heureux d’entrer dans votre cabinet, monsieur le Premier ministre.’ Et Chirac de lui répondre : ‘Est-ce que vous aimez tâter le cul des vaches ?’«
Un « père spirituel »
Malgré leurs différences, « le tactile et le raide » ne se quitteront plus. Une relation quasi-filiale se créera même entre les deux hommes. « Je l’ai vu devenir son fils », insiste Christine Leblond-Juppé. Alain Juppé, lui, parle plutôt de « père spirituel ». Leurs points communs ? L’appétit pour la conquête politique et le goût des belles femmes.
On connaît, en effet, peu cet aspect de sa personnalité, mais la journaliste dépeint un Alain Juppé séducteur, voire même coureur de jupons…« Je revendique le droit de regarder une jolie femme. Ça donne du plaisir », assume-t-il.
Il est âgé d’à peine 15 ans lorsqu’il rencontre sa future femme, Christine Leblond. Marié à 20 ans, il devient père à 22 ans, il est encore étudiant à Normal Sup. Cette vie de famille l’a en quelque sorte privée de sa vie étudiante. C’est seulement au début des années 1960, que le Juppé sérieux se « lâche » un peu aux côtés de son ami le journaliste Jacques Kaufmann. Ensemble, ils voyagent et partent notamment en goguette en Suède où « ils font la sortie des lycées ». « Pour draguer les Suédoises », précise Alain Juppé. « Ça fonctionnait moyennement à l’époque. C’était pas terrible », ajoute-t-il.
Séducteur invétéré
Dans les années 1980, Alain Juppé est adjoint chargé des Finances à la mairie de Paris. Il découvre la vie mondaine. « A l’image de son patron Jacques Chirac, mais de façon plus discrète, Alain Juppé multiplie les aventures », écrit la journaliste. Toujours marié à Christine, il confie avoir eu plusieurs maîtresses. Celui qui brique l’Elysée, tente aussi de casser son image de misogyne qui lui colle à la peau depuis quelques années :
« Depuis les Jupettes (9 des 12 femmes ministres furent renvoyées de son gouvernement en moins de six mois en 1995, Ndlr), on est persuadé que je n’aime pas les femmes, mais ce n’est pas vrai, j’aime les femmes ! », lance-t-il. « C’est une compagnie que j’aime bien parce que – je vais faire des aveux qui sont contre moi – vis-à-vis du public féminin, je suis toujours un peu en état de séduction, je cherche à plaire. » Il insiste : « Ça stimule, c’est comme ça ».
Alain Juppé confie même avoir dû s’en expliquer avec Isabelle, son épouse actuelle, lors de leur rencontre. « Ce n’est pas parce que j’aime regarder les femmes que je vais te tromper à bout de champ. » Des déclarations sulfureuses et surprenantes qui n’ont rien d’anodin en pleine campagne électorale. « Après avoir été défié dès son plus jeune âge, après avoir aspiré à devenir pape enfant, après avoir gravi tous les sommets de la montagne académique française, après avoir réussi son entrée en politique, il est bien décidé, maintenant, à devenir Roi. Roi de la République« , conclut Camille Vigogne Le Coat. La boucle sera-t-elle bouclée ?
Camille Vigogne Le Coat, Je serai président ! L’histoire du jeune et ambitieux Alain Juppé, édition La Tengo, 2016, 144 pages.
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