Après une décennie d’attente, le troisième épisode de KINGDOM HEARTS sort enfin. Retour sur cet incroyable mariage entre l’univers de Disney et les légendaires jeux de rôle de la firme japonaise Square Enix, connue pour la saga Final Fantasy.
Illuminant soudain la nuit de ses néons colorés, le petit train volant de Donald et Dingo bombarde le Titan de ses feux d’artifice. Si ça ne suffit pas, je lui enverrai les tasses tournantes d’Alice au pays des merveilles, se dit le joueur, bien décidé à ne pas se laisser impressionner. Plus tard, il ira retrouver Buzz, Woody et la bande des jouets de Toy Story, en s’étonnant un peu, à la réflexion, de trouver tout cela normal. Kingdom Hearts 3 était le jeu vidéo japonais le plus attendu de ce début d’année. Ou, en tout cas, le jeu attendu le plus fiévreusement par ceux qui, au fil des épisodes et des années, n’ont pas développé une sévère allergie à la plus improbable des sagas vidéoludiques. Car, alternativement aérien et balourd, confus et lumineux, stimulant et épuisant, Kingdom Hearts (nous) divise (intérieurement).
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Selon la légende, tout aurait commencé en 1998 dans un ascenseur de l’Arco Tower, à Tokyo, qui abritait à la fois l’éditeur de jeux Square (celui de Final Fantasy, qui n’avait pas encore fusionné avec son rival Enix) et la filiale japonaise de Disney. Une légende douteuse, si l’on en croit l’explication du journaliste Georges Grouard dans le premier tome de sa spectaculaire somme érudite et ludique de 1 000 pages flirtant vaillamment avec le délire interprétatif : La Légende Kingdom Hearts édité chez Third éditions.
Rester cool, ou le redevenir
Plus prosaïquement, Kingdom Hearts serait né du mariage de deux ambitions. Celle de Disney, d’abord, qui voulait “faire un jeu vidéo – japonais – pour toucher le public nippon, mais aussi le reste du monde (le jeu vidéo étant le meilleur ambassadeur du pays au début des années 2000 ; principalement depuis un certain Final Fantasy 7)”. Rester cool, ou le redevenir : l’éternel objectif de cette bonne vieille maison Mickey. L’autre ambition est celle de l’homme qui monte, à l’époque, chez Square. Alors concepteur de personnages, Tetsuya Nomura fut justement l’un des artisans du phénomène commercial et culturel Final Fantasy 7. Un Nomura qui, avec le jeu de rôle mâtiné d’action que deviendra Kingdom Hearts, va gagner pour la première fois ses galons de réalisateur.
La rencontre de Square et de Disney, ou plus précisément de ses “mondes” extraits chacun d’un film : ainsi se présente Kingdom Hearts depuis son premier épisode paru en 2002. Kingdom Hearts 2 l’a suivi en 2006 et, s’il a ensuite fallu attendre treize ans pour voir débarquer le troisième volet “officiel”, la série s’est entre-temps déclinée de prequels en spin-off, notamment sur consoles portables, pour rassembler désormais pas moins de dix jeux (sans compter les compilations et remakes), qui se sont vendus à plus de 25 millions d’exemplaires à travers le monde.
Chaque “Kingdom Hearts” est un voyage
Démultipliée et complexifiée, jusqu’à voir son intrigue devenir de plus en plus obscure et ésotérique – pour s’y retrouver, Grouard recommande l’étude des philosophes grecs. Mais une chose n’a pas changé : du tout premier au tout nouveau, chaque Kingdom Hearts est un voyage.
Les destinations ne sont pas inconnues, et c’est justement là tout l’intérêt du projet – d’une manière ou d’une autre, une trace de chacune d’elles existe déjà en nous. En compagnie de notre alter ego Sora à l’allure judicieusement hybride (coiffure hérissée très Square, culotte bouffante et grosses chaussures façon Mickey), nous voilà ainsi projetés dans des univers (et des mini-récits savamment reliés au grand) inspirés de Peter Pan ou d’Aladdin, de La Petite Sirène ou de Mulan, du Roi Lion, de Winnie l’Ourson, de Tron…
Dans Kingdom Hearts 3, ce seront La Reine des neiges, Les Nouveaux Héros, Raiponce, Pirates des Caraïbes ou encore Monstres & Cie – les productions Pixar sont pour la première fois de la partie –, sans parler des mini-jeux inspirés de Ratatouille ou des Mickey “classiques” des années 1920-1930.
Une absence totale de cynisme
Le joueur navigue ainsi d’un monde à l’autre, en rencontre les personnages emblématiques (dont certains font un bout de chemin avec lui), entreprend de multiples quêtes, s’y bat (énormément) et se laisse éblouir (beaucoup aussi) par la manière dont Nomura et ses acolytes parviennent à s’approprier sans les dénaturer – Disney veille sur son domaine – les héros, décors et situations des films visités.
Ce pourrait n’être qu’un recyclage calculateur d’univers facilement vendeurs. C’est en réalité tout le contraire : si une chose est vraiment certaine à propos de Kingdom Hearts, c’est bien son absence totale de cynisme. Et de peur – du ridicule, de nous perdre, de se contredire ou de radoter, d’en faire trop ou pas assez. On pourra le trouver grotesque ou pompeux, aberrant ou confus, mais jamais petit ou plat, jamais pingre ou insignifiant. Jamais médiocre.
Écoutons Georges Grouard : “[Kingdom Hearts] n’est pas la rencontre des univers Disney et Square. Il est le frère jumeau de Final Fantasy qui convie à sa table le conte de fées [et Disney] dans sa forme la plus mainstream pour en faire autre chose. […] Les mondes de Disney n’y sont en réalité que des invités qui remplissent une fonction bien précise : constituer les étapes du parcours émotionnel et initiatique du héros, mais aussi du jeu lui-même.” Ce parcours est une affaire de mémoire perdue puis retrouvée, de liens distendus et renoués, de coeurs volés et réchauffés. Un truc dont, même dans le pire des brouillards narratifs, l’élan sentimental et la flamboyance du style seront toujours les plus beaux atouts.
Kingdom Hearts 3 (Square Enix), sur PS4 et Xbox One, de 50 à 70 €
La Légende Kingdom Hearts de Georges Grouard (Third éditions), tomes 1 (416 p., 29,90 €) et 2 (600 p., 34,90 €)
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