Grave erreur ou coup de génie ? On a installé l’appli de réalité augmentée Pokemon Go, pour ne pas mourir idiots. Entre bousculades, discussions incongrues et errances dans la ville : récit d’une addiction aussi soudaine que furieuse.
Le camion klaxonne une fois, deux fois. Puis encore un long coup qui résonne dans toute la rue. Jusqu’à ce que l’on comprenne que ce gros bruit sourd nous était destinés. Arrêtés en plein milieu d’un passage piéton, on se concentre depuis deux minutes pour attraper un Roucool sauvage récalcitrant. On se déplace de quelques mètres, histoire de ne pas se faire écraser, avant de lancer une nouvelle Pokéball pour capturer le volatile.
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Mercredi 6 juillet, les Australiens, Japonais et Nouveau-Zélandais ont été les premiers à pouvoir télécharger l’application Pokemon Go, du nom du célèbre jeu vidéo qui a captivé une génération entière dans les années 1990. Mais aujourd’hui le jeu n’est pas sur Game Boy; on pénètre dans le monde de ces petites bestioles directement via un smartphone, en réalité augmentée.
Si le jeu n’est pas encore disponible en France, des petits malins — ou des journalistes des Inrocks téméraires — ont trouvé des parades pour télécharger l’application et s’y essayer. Et là, surprise: tout fonctionne déjà à merveille. On lance l’appli (attendez-vous à une petite surchauffe du téléphone et une grosse consommation de batterie), et quelques clics suffisent à nous transporter vingt ans en arrière.
(Le professeur Saule nous accueille dans le jeu)
Une carte Google Maps classique, des Pokémon en plus
On troque notre identité civile pour celle de dresseur(se), dont on peut personnaliser le look et le genre. Puis l’avatar est immédiatement projeté sur une carte, calquée sur Google Maps (on se connecte d’ailleurs à Pokemon Go via notre compte gmail). Tout y est : la rue des Inrocks, la boulangerie où on a l’habitude d’acheter notre goûter, les restos du coin, les grandes avenues…
On fait un pas en avant, le petit avatar se déplace en même temps que nous. Impossible de décoller le nez du téléphone : c’est sur l’écran que l’on trouvera les “balises” qu’il faut rejoindre, ces points incarnés par par des portes, des graffitis, des détails dans les murs. Comme dans une chasse au trésor géante où la ville devient un terrain de jeu, on se surprend à se réjouir lorsque l’on trouve enfin LA moulure spécifique au-dessus de LA porte que le jeu voulait qu’on rejoigne.
(Quand on a trouvé LA porte © X.E.)
“Sois toujours attentif, regarde autour de toi”, previent l’écran d’accueil à chaque fois qu’on charge l’appli. Au-dessus du texte est dessiné un garçon qui marche les yeux rivés sur son téléphone, au point de louper l’immense Léviator qui se dresse devant lui. Ha! Jamais on n’aura l’air aussi bête… Pense-t-on cinq secondes avant de bousculer une vieille dame qui attendait patiemment que le feu du passage piéton passe au vert.
Un Aspicot sauvage, plus vrai que nature, apparaît dans la rue en réalité augmentée
L’objectif du jeu est similaire à la plupart des jeux de la licence sortis jusqu’à maintenant : attraper des Pokemon, puis monter en niveau pour aller combattre d’autres dresseurs. Pour ça, il faudra se rendre dans des arènes, qui sont positionnés dans des points stratégiques de Paris (l’Opéra Bastille). Où l’on imagine déjà, quand le jeu sortira officiellement en France, des dizaines de personnes amassées devant les bâtiments, agglutinées sur leur écran. A l’image de ce commissariat australien pris d’assaut en 24h, forcé de poster un message sur les réseaux sociaux pour préciser aux joueurs qu’ils n’étaient “pas obligés de pénétrer dans le bâtiment pour obtenir des Pokeballs”.
Mais pour se battre avec des Pokémon, il faut tout d’abord les attraper. Ces derniers ne nous attaquent pas au hasard de nos pérégrinations, comme on pouvait s’y attendre. Le téléphone vibre. Ce n’est pas un énième SMS de papa mais bien l’appli qui nous prévient qu’un Aspicot sauvage est dans les parages. Une version miniature du pokémon apparaît sur la carte. Pour engager la confrontation, il faut cliquer sur sa petite tête, qui surgit ensuite, littéralement devant nous. Le petit animal est là, dans la rue, incrusté en réalité augmentée, comme s’il se tenait vraiment devant nous. Alors on s’arrête, brusquement. On se cogne dans notre voisin ? Qu’importe. L’unique objectif est à présent d’envoyer une Pokéball pour capturer la bestiole.
(Une carte du 11è arrondissement de Paris sur Pokémon Go)
Si au départ l’exercice est simple — même si certains journalistes se sont montrés plus doués que d’autres…– lorsqu’il s’agit des Pokémon de faible niveau (les Rattata, Roucool, Piafabec et compagnie), la chose se complique. Un Nosferati, Pokémon qui ressemble à une chauve souris, plane à quelques mètres du sol et se déplace sur les côtés. Il est donc nécessaire de bouger son téléphone pour que celui-ci soit toujours dans le cadre… Situation qui devient rapidement absurde lorsque l’on passe à côté de l’opéra Bastille et que les gens pensent que l’on veut les filmer.
L’envie d’explorer les environs
A peine a-t-on réussi à mettre la chauve-souris en poche — ou plutôt en Pokedex — que le smartphone vibre à nouveau. Il nous indique en fait où se trouvent d’autres Pokémon aux alentours, en ne dévoilant que leur silhouette. A plusieurs reprises, on nous a promis un Osselait ou un Mimitoss… que l’on a cherché en vain. Seul un Psykokwak a bien voulu se montrer. Mais par ce teasing sur le mode “trouvez des pokemons chauds près de chez vous”, le jeu nourrit encore plus notre envie d’explorer les environs.
Et comme le fonctionnement du jeu n’est pas expliqué très clairement dès le lancement, on est forcé d’expérimenter à l’aveugle. “Ah mais ces herbes qui bougent, tu crois que ça veut dire qu’il y a un Pokémon dans le coin ?” nous sommes-nous demandé. “Bon ok je vais taper sur l’écran pour voir si ça fait quelque chose”. Résultat, rien.
Mais l’addiction n’a de cesse de se développer, et chaque pause clope devient prétexte à scruter les environs et attraper de nouvelles petites créatures. Jusqu’à ce que l’on découvre que le jeu fonctionne partout, même dans l’open-space de la rédaction. “Il y avait une chauve-souris sur ta tête quand je suis arrivé », prévient un collège, « Heureusement que je l’ai attrapée”.
(Un roucool sauvage dans la rédaction des Inrocks)
En revenant de pause-déjeuner, on échange sur nos dernières découvertes. “On a vu un Pikachu pas loin du café au déjeuner!” “Non ? trop bien ! Moi j’ai choppé un Hypotrempe”. Et la discussion se poursuit évidemment en ligne… “Il y a des Pokeball à chopper au coin de la rue”, nous envoie ainsi un confrère. Une espèce de cour de récré 2.0 avec des gamins nostalgiques, en somme. Mais nul doute que l’application parlera tout autant aux plus jeunes, touchés par les dernières version du jeu. Pokémon Go semble avoir le potentiel de concilier plusieurs générations de joueuses et joueurs.
Le niveau de hype est extrêmement élevé pic.twitter.com/c7jWfo0nrL
— Marie Turcan (@TurcanMarie) July 8, 2016
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