Pendant plusieurs mois, une jeune journaliste s’est engagée dans « En marche !”, incognito et gonzo. Elle nous raconte.
Je suis une fille de 22 ans. Je ne me suis jamais engagée en politique, ni dans aucun autre domaine d’ailleurs. Je déteste les assurances, les abonnements, les dîners prévus deux semaines à l’avance, les cartes de métro, les concerts au Stade de France… tout ce qui requiert une anticipation psychologique. Je ne sais jamais comment je vais réagir à quelque chose et si j’y pense trop, ça me rend malade. Mais là, on m’a demandé d’adhérer au parti d’Emmanuel Macron.
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La première étape, c’est de cliquer sur “J’adhère” sur le site et dès que c’est fait, l’officialisation de votre engagement ne peut pas être plus claire : vous recevez une dizaine de mails vous souhaitant la bienvenue. Vous êtes prié de noter dans votre agenda la date de votre premier meeting.
Etre à la bonne place
Lundi 6 février. J’ai rendez-vous au théâtre Bobino, dans le XIVe arrondissement avec tous les comités parisiens du mouvement. Il y a un monde fou et vingt minutes de queue. A l’entrée, je vois directement le stand de mon arrondissement. Le bruit ambiant et tout ce remue-ménage des gens qui savent exactement où ils doivent être et ce qu’ils doivent faire m’intimident. C’est assez oppressant de voir autant de monde persuadé d’être à la bonne place.
Une petite femme blonde, le sourire vissé aux lèvres, la trentaine, porte un sweat “En Marche” bien trop grand pour elle. C’est elle qui vient interrompre ma gêne solitaire pour me saluer. “Dans quel comité es-tu inscrite ?” me crie-t-elle, faute de silence, brandissant en même temps sa fiche soigneusement collée sur un morceau de bois rectangulaire.
Lorsque je lui indique le lieu de mon comité, elle regarde ses confrères, appareillés du même costume et du même air enthousiasmé, puis m’informe que Thomas, le chef de mon comité, a pris congé car – elle approche sa tête de la mienne – “sa femme a de très gros soucis de santé, de très très gros soucis de santé”. Tout à coup, un des deux confrères derrière elle avance vers moi “Tu peux venir dans mon comité si tu veux ! Je m’appelle Georges*, voici Murielle*”.
Georges et Murielle ont l’air très complices, ils appartiennent au même comité et je n’ose pas leur demander si ils sont mariés mais je me dis à ce moment-là qu’être membre d’un mouvement politique est un super moyen de trouver quelqu’un. Ils ont environ 70 ans. Georges me tend une feuille de papier puis me donne les dates des prochains rendez-vous.
“Il y a des jeunes”
“Nous nous retrouverons jeudi de 19 h 30 à 20 h 30 à un café, si tu es intéressée, tu devrais venir.” Murielle glisse que, souvent, il leur arrive à elle et sa bande de fous furieux de finir plus tard. Je demande quel sera le programme. “On parle, on débat, on donne nos avis, on est souvent pas d’accord mais ça se passe bien généralement… Et puis on vote aussi, enfin plein de choses !”
Georges ajoute aussi, coupé par Murielle : “Il y a des jeunes !” que les samedis matins de 10h à 11h, ils se retrouvent tous au café pour débattre, voter, etc. J’acquiesce d’un mouvement de tête approbateur. Je fais déjà partie de la famille. Georges et Murielle me font signe d’avancer puisque nous n’avons plus rien à nous dire.
On avance dans la salle. Macron n’est pas Jésus mais quasi. C’est une figure lancinante qui occupe tous les espaces, fait l’objet de toutes les conversations et son slogan “En marche !” est sur toutes les casquettes, t-shirts et panneaux. Il est néanmoins, comme tout être adoré qui se respecte, physiquement absent.
Avant que le show commence, un photographe complètement déchaîné me tend une gigantesque pancarte qu’il me fait signe de partager avec ma voisine d’à côté. Un flash m’éblouit avant même que je puisse lire ce qui est inscrit dessus. En la faisant passer derrière moi, je lis “Je Marche”. Ainsi soit-il. Je constate que en apparence, tous renvoient l’image de gens calmes, normaux, sympas, pas cons quoi. En entendant des conversations autour de moi, je peux m’imaginer y participer : “Le nouveau professeur d’EPS de ma fille a fait Centrale, c’est bizarre, non ?” Étonnant, non ? “Ce matin au marché, aucun poissonnier n’avait de coquilles saint-jacques, c’est pourtant la saison.” Vraiment ? J’entends parler à propos de tout, avec nuance et réflexion, humour, recul et curiosité. Une bonne humeur globale se dégage de tout ce petit monde. Pas de fanatique à l’horizon.
Arrivée surprise
Richard Ferrand, Bariza Khiari, Jean Pisani-Ferry et Benjamin Griveaux arrivent enfin sur scène sous les acclamations du public, se présentent chacun à leur tour ce qui, sans que je puisse me l’expliquer, chauffe la salle d’une façon démente. Ainsi, cette introduction leur permet d’enchaîner sur les “grands axes” d’En Marche !, comme par exemple : “Le chômage renvoie une mauvaise image de notre pays en Europe” ; “L’éducation est à améliorer”, “La France est un beau pays”, “Le Front National incite à la haine et au repli sur soi”. Sans blague. Quand les gens n’applaudissent pas, ils hochent la tête d’un air grave et concerné pour ne pas perdre une goutte de ce que ces sortes de gourous télévangélistes inconnus leur apprennent quant au véritable sens de leur vie.
Les intervenants proposent à un moment de répondre à des questions posées par nous, le public. Un homme au loin, la cinquantaine, prend la parole : “J’avoue être très inquiet à l’idée que nos jeunes quittent le pays pour aller étudier ailleurs, avons-nous des projets mis en place afin de prévenir leur départ ?” En voilà un qui ne sait pas vraiment où il a mis les pieds. Pisani-Ferry empoigne le micro et sort de ses gonds en lui faisant part de la bêtise de son propos. En Marche ! se veut un mouvement progressiste qui encourage les jeunes à exporter leur culture à l’étranger, et vice versa.
“Comme il est intelligent”
Au bout de quatre questions du même style, Richard Ferrand annonce l’arrivée surprise d’Emmanuel Macron en faisant tout sauter. Autour de moi, les gens deviennent dingues. J’aperçois le nœud central de la raison de notre présence à tous. Je suis prise d’un coup de chaud qui me fait laisser tomber mon manteau au sol. J’ai honte. Tout le monde hurle, tape du pied, applaudis et finit avec l’illustre cri du cœur “Macron président ! Macron président !” En continu.
Je fais semblant de ne pas être émue mais je le suis. Qu’est-ce que je fous là ? Je n’arrive même pas à m’empêcher de sourire convulsivement face à la rock star qui vient de faire son apparition. Il reste trente minutes, pour nous parler, nous remercier… C’est grisant. J’entends une voix portée par une hargne puissante et envoûtante : “Notre projet à tous”, “Nous le mènerons, mes amis”, “Je vous aime”, “Aimez-vous les uns les autres”.
A chaque fois qu’il dit quelque chose, il est applaudi et j’entends autour de moi “Qu’il est courageux !”, “Comme il est intelligent”, “Il va gagner c’est certain !” Je me rends compte que je suis en train de me caresser la poitrine affectueusement.
* Les prénoms ont été modifiés
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