Bourru mais sincère, archétype du “Français moyen”, râleur mais lucide sur la dérive consumériste de l’époque : tel était Jean Yanne, dont un documentaire dresse le portrait un peu lacunaire.
Avec sa bouille ronde contrastant avec la violence acide de son verbe, son air moqueur et désinvolte se foutant de tout et de tout le monde, sa présence butée, frondeuse, joviale et menaçante, Jean Yanne n’a pas seulement traversé l’époque en dézinguant avec talent les conformismes de tout poil, les institutions, la bêtise des puissants et celle du peuple, les assis et les contestataires.
Il a fait mieux. Il a créé un personnage, un archétype du “Français moyen” fumiste et râleur, individualiste, prônant la morale du système D plutôt que la révolution, dans la France consumériste des Trente Glorieuses qu’il raille certes, mais dont il s’accommode volontiers.
Anar de droite, opportuniste parfois, mais sincère
Nul rêve de réforme ou de changement n’abrite ses saillies acerbes. Dynamiter le système, pourquoi pas, mais en restant toujours à l’écart du cirque. Anar de droite, dira-t-on de lui. Opportuniste parfois, mais sincère, indépendant, secret et de plus en plus seul.
Bien en peine de percer la carapace du bonhomme, le portrait que lui consacre Fabrice Gardel sur Paris Première (et dans un livre paru au Seuil-Cherche Midi) tourne plutôt les pages de sa carrière atypique d’humoriste, homme de radio, comédien et cinéaste, enchaînant archives télévisuelles et extraits d’interviews.
Dans la tradition des chansonniers bouffeurs de curés et de militaires
C’est au mitan des années 1950, dans les cabarets parisiens, que le sale gosse, né en 1933 dans une famille aimante et modeste, va se faire les dents en s’inscrivant dans la tradition des chansonniers bouffeurs de curés et de militaires. Le ton est goguenard, la plume féroce… et véloce.
Cet ancien élève du CFJ, qui un temps se rêva journaliste, écrit sketches et chansons à la vitesse de l’éclair. Plus tard à la radio, puis à la télévision, avec son alter ego Gérard Sire, son complice Jacques Martin et son pote Daniel Prévost. Dans un mélange de provoc, de délire et de franche rigolade, Yanne et sa bande tapent sur tout le monde. Régulièrement viré, mais qu’importe.
Au cinéma, des personnages jamais très loin de l’abject
Le cinéma lui fait de l’œil. Acteur génial chez Chabrol (Que la bête meure, Le Boucher), Godard (Week-end) et Pialat (Nous ne vieillirons pas ensemble), Yanne étoffe ses personnages de sa violence bourrue, massive et frontale, jamais très loin de l’abject.
Moins subtils mais corrosifs, ses propres films (Chobizenesse, Les Chinois à Paris, etc.), épinglant la société de consommation, la vulgarité des médias, la veulerie et l’esprit boutiquier, livrent un portrait de cette France franchouillarde avec laquelle – habitué des Grosses Têtes de Bouvard – il aura fini par se confondre…
Jean Yanne reviens, on est devenus (trop) cons ! documentaire de Fabrice Gardel, Edward Beucler et Christine Bernadet. Mardi 17, 22 h 35, Paris Première