Florence Pinot de Villechenon est professeure à l’Institut des Amériques, experte dans les relations entre les pays de l’Union européenne et d’Amérique latine, analyse la proposition de Jean-Luc Mélenchon à propos de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique
La nouvelle avait surpris Clémentine Autain, conseillère régionale en Ile-de-France et soutien de Jean-Luc Mélenchon, au micro de France Info le jeudi 13 avril. Le point 62 du programme du candidat de la France Insoumise entend « instaurer une politique de codéveloppement avec l’Amérique latine et les Caraïbes en adhérant à l’Alba (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique) ». Elle se présente aussi dans le chapitre 15 concernant les Outre-mer d’Un avenir en commun, le livre-programme de Jean-Luc Mélenchon.
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Une proposition qui a beaucoup surpris Florence Pinot de Villechenon, professeure à l’Institut des Amériques, spécialiste des relations entre l’Union européenne et l’Amérique latine, « surtout, en provenance d’un leader politique censé respecter la démocratie », ajoute-t-elle. Selon elle, le problème n’est pas de resserrer les liens entre la France et les pays latino-américains. Ce serait de le faire en adhérant à cette alliance, « aujourd’hui dépassée, qui renvoie à un leader en déclin, Nicolas Maduro », analyse l’experte.
« Il faut que nous continuions à développer nos relations avec ces pays en favorisant nos relations bilatérales. »
Un reproche auquel Jean-Luc Mélenchon répond sur sa chaîne YouTube (vidéo ci-dessous). Après une longue explication de ce qu’est l’Alba, le candidat de la France insoumise explique pourquoi rejoindre l’alliance est capitale à ses yeux. D’abord, parce qu’« elle n’a pas été construite dans une logique de libre-échange, mais dans un souci de coopération », souligne-t-il. Le candidat rappelle que l’Alba pourrait concerner les territoires d’Outre-mer, présents dans la région.
« La Guyane est un territoire d’Amérique latine. Certains se moquent de moi quand je dis que la frontière la plus longue entre la France et un autre pays se trouve entre la Guyane et le Brésil, pas avec l’Allemagne.(…) La Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin. Est-ce qu’il ne serait pas intéressant pour nous les Français de confier à ces territoires la tâche d’assurer la liaison avec les Amériques? »
« D’autres solutions à envisager »
Depuis cinq ans, les relations entre la France et les pays d’Amérique latine s’intensifient. Même si elles demeurent modestes, Florence Pinot Villechenon reconnaît que de nombreux efforts ont été faits de la part des dirigeants français pour améliorer les échanges entre les deux zones : « C’est la première fois qu’il y a eu un conseiller spécial pour l’Amérique latine. L’Agence française de développement a elle aussi renforcé sa présence sur le continent. » Cette alliance pourrait être mal perçue sur le plan international.
« Depuis ses débuts, l’Alba est assimilée aux pouvoirs cubains et vénézuéliens qui ne sont pas des exemples de vertu démocratique, assène la professeure, cela renverrait une image très négative sur la scène internationale ».
Pour la spécialiste, l’adhésion à l’Alba serait une « grave erreur ». Au lieu de rejoindre une « alliance caduque », elle préfère que l’Etat français privilégie les relations bilatérales avec les pays latino-américains: « Nous avons déjà des accords avec le Mexique, le Chili, le Pérou et j’en passe. Nous sommes aussi des membres observateurs de l’Alliance Pacifique. Dans le cadre européen, nous coopérons aussi dans le domaine du nucléaire avec l’Argentine et le Brésil. Nous sommes en train d’accompagner Cuba dans son développement économique et concernant l’enseignement supérieur, la France a développé le programme Eiffel. » En 2015, la France était le troisième pays d’accueil d’étudiants d’Amérique latine après les Etats-Unis et l’Espagne.
L’Alba, une alternative au libre-échange
L’alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique – traité de commerce des peuple (Alba-TCP) est un projet impulsé par l’ex-leader charismatique du Venezuela Hugo Chavez, décédé en 2013. Douze pays en font partie, dont le Venezuela et Cuba, mais pas que. Elle compte aussi: Antigua-et-Barbuda, une île des Caraïbes, la Bolivie, dirigée par le charismatique et proche de Chavez Evo Morales (il vient d’annoncer son soutien à Jean-Luc Mélenchon), Dominique, l’Équateur, avec à sa tête Rafael Correa, Grenade, Sainte-Lucie, Saint-Christophe-et-Niévès, Saint-Vincent-et-les-Grenadines et le Suriname, pays frontalier de la Guyane française. Contrairement à ce que dit Jean-Luc Mélenchon dans sa vidéo, le Paraguay ne fait pas partie de l’alliance.
Construite sur des principes de solidarité, elle place l’être humain au centre de ses principes. Cette alliance a pour but de concurrencer la zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) en favorisant la coopération entre les Etats membres. C’est précisément ce point qui intéresse Jean-Luc Mélenchon. Dans sa vidéo, il précise: « Nous sommes une nation des Caraïbes. 9a nous intéresse de travailler avec les gens des Caraïbes dans une logique de coopération, plutôt que de leur déverser des kilos de marchandises dont ils ne sauraient que faire. »
Née le 14 décembre 2004 à Cuba, l’Alba se base sur deux instruments économiques. Le premier, une monnaie virtuelle créée en 2010, le Sucre (système unitaire de compensation régionale) pour favoriser les transactions entre les pays membres sans passer par le dollar américain. La seconde, une banque de l’Alba, qui ne compte que six pays membres (Venezuela, Bolivie, Nicaragua, Cuba, la Dominique et Saint Vincent et les Grenadines). Le but: « consolider la souveraineté et l’indépendance financière des pays membres en finançant des projets de développement social », selon une note de l’ambassade de France au Venezuela.
Ces pays disposent d’incroyables ressources naturelles. La Bolivie détient la première réserve de lithium au monde (35%, c’est le minéral qui permet notamment de produire des batteries de voitures électriques et de produits électroniques). Le Venezuela renferme « la plus grande réserve de pétrole au monde », rappelle Jean-Luc Mélenchon dans sa revue de presse de la semaine. Il y a trois pays observateurs: Iran, Syrie et Haïti. Ce à quoi le candidat de la France insoumise rétorque que ces pays « doivent être observateurs dans un tas de sommets internationaux dont la France est aussi membre. Pour faire partie de l’Alba, on ne demande pas d’être d’accord avec le régime des uns ou des autres. Parce que si on me demande, j’ai toujours été opposé au régime iranien. » Contrairement à l’affirmation de Patrick Cohen sur C à Vous, la Russie n’en fait pas partie.
Une alliance qui bat de l’aile
Aujourd’hui, les échanges entre la France et l’Alba restent modestes (seulement 6% des échanges entre l’Hexagone et l’Amérique latine). Plus généralement, Florence Pinot Villechenon relève que l’alliance bolivarienne a perdu beaucoup de terrain depuis la mort du charismatique Hugo Chavez en 2013. « De 2004 à 2014, le charisme de Chavez et la manne pétrolière dont il bénéficiait ont permis à l’Alba de se développer. Elle repose désormais sur Nicolas Maduro, qui dirige un régime de plus en plus autocratique et qui menace les libertés individuelles« , décrypte l’experte. Un déclin qu’a reconnu Jean-Luc Mélenchon sur TF1 la semaine dernière.
Mise au point sur l’Alliance bolivarienne #ALBA. Certains journalistes peuvent en avoir besoin.???? #JLM2017 #DemainPresident #TF1 pic.twitter.com/SlAevxqK4b
— Roseau pensant (@Sarah_Menr) 14 avril 2017
Depuis la disparition d’Hugo Chavez, le pays subit de nombreuses crises. Les Vénézuéliens doivent patienter en moyenne 35 heures par semaine pour s’approvisionner en denrées alimentaires. Cela fait un mois que des mesures liberticides sont impulsées par le gouvernement de Nicolas Maduro, ce qui a entrainé de vives réactions populaires à travers le pays. « Il met à bout une population exsangue », s’alarme Florence Pinot Villechenon.
De l’autre côté, le Mercosur, marché commun d’Amérique du sud, se compose des pays plus libéraux dont l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay. Si le marché du Sud regardait d’un oeil curieux l’Alba, les dernières élections au Paraguay, en Argentine et au Brésil ont changé la donne. Les nouveaux dirigeants de droite ont suspendu le Venezuela du marché pour des raisons politiques.
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