En quelques mois le candidat de la France Insoumise à la présidentielle de 2017 a fait exploser le compteur de vues et le nombre d’abonnés de sa chaîne YouTube en y animant régulièrement des émissions. Il est désormais le premier YouTubeur politique de France. Retour sur une ascension 2.0 fulgurante.
C’est le premier homme politique à avoir investi ce terrain sérieusement, et c’est un franc succès. En l’espace de quelques mois, Jean-Luc Mélenchon s’est emparé d’un média d’habitude réservé à la génération Y : YouTube. Et s’y est imposé comme un fin prosélyte 2.0. Sa chaîne compte depuis lundi 5 décembre plus de 100 000 abonnés. Il y a trois mois, elle stagnait à 20 000, comme l’a noté Arrêt sur images. A tel point qu’il se félicite, face caméra, dans une de ses dernières vidéos, d’avoir pratiquement atteint le public fixe des émissions d’info en continu :
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« On est en train d’attendre l’objectif de contournement d’un certain nombre de médias officiels ».
Comment a-t-il réussi ce coup de force de communication politique ?
Une inspiration venue de Podemos
Tout a commencé le 5 février 2016, lorsque le premier épisode de Pas vu à la télé a été publié sur la chaîne YouTube du député européen de 66 ans. Le titre est transparent : avec cette émission qui reprend le principe de la Tuerka – émission phare du mouvement de gauche radicale Podemos en Espagne – le candidat de la France Insoumise à la présidentielle de 2017 souhaite donner la parole à des personnalités peu médiatisées, pour mettre la focale sur des causes peu connues. Zoe Konstantopoulou, ancienne présidente du Parlement grec, inaugure alors le dispositif.
Lui succéderont Jean-Luc Romero, président de l’ADMD (Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité), Issa Coulibaly, président de l’association Pazapas Belleville, pour parler du contrôle au faciès ou encore Olivia Cattan, présidente de l’association SOS Autisme France.
« Le premier média sur lequel je peux m’appuyer c’est moi-même »
Dans la droite ligne de la critique des médias portée par Pierre Bourdieu, Serge Halimi (directeur du Monde Diplomatique) ou encore l’association Acrimed (Action critique médias), Jean-Luc Mélenchon a fait sienne l’idée qu’il faut « rendre intéressant ce qui est important, pas important ce qui est intéressant » (selon l’expression de Serge Halimi dans Les Nouveaux chiens de garde). Et c’est ce à quoi il dit vouloir s’atteler dans ces émissions.
Le 8 octobre 2016, il passe à la vitesse supérieure en publiant un premier épisode de sa « revue de la semaine ». Comme ses notes de blog – consultées en moyenne par 300.000 internautes tous les mois, ce qui en fait le deuxième blog politique le plus influent -, ces vidéos reviennent sur les événements marquants de la semaine.
« Ma méthode est de penser que le premier média sur lequel je peux m’appuyer c’est moi-même », explique-t-il dans cette vidéo inaugurale.
« C’est malin et bien fait »
Cette fois-ci, Jean-Luc Mélenchon dit s’être inspiré des vidéos de Ludo, de la chaîne YouTube Osons causer, qui ont fait un carton pendant le mouvement contre la loi Travail.
« J’ai regardé les vidéos de Ludo d’Osons causer, que j’ai trouvées très pertinentes […] J’ai compris ce que c’est que d’être un youtubeur en le regardant, j’ai appris à son contact », explique-t-il.
Contactés par Les Inrocks, Ludo et ses acolytes se disent « très flattés » :
« C’est malin et bien fait. Il y a quelques maladresses de papy qui s’essaye, mais j’ai l’impression que c’est sincère et horizontal. Il utilise un ton plus personnel que sur les plateaux télé où il est interviewé par des journalistes », estime Ludo.
Pour lui, cet investissement de YouTube par le candidat de gauche est aussi à remettre dans son contexte. Alors que l’extrême droite rode sur internet depuis des lustres et s’est organisée pour véhiculer ses idées en dehors des médias, la gauche radicale avait négligé le terrain. Dans le sillon ouvert par le collectif de Youtubeurs « On vaut mieux que ça » en février 2016, Jean-Luc Mélenchon part donc à la reconquête du web.
Une réappropriation d’un espace autrefois dominé par la fachosphère
Antoine Nicolas, 27 ans, est en charge de la chaîne YouTube de Jean-Luc Mélenchon. Contacté par Les Inrocks, il admet cette dimension de reconquête :
« Pendant longtemps la ‘fachosphère’ exerçait sa domination sur internet. Cette domination s’expliquait parce que le terrain avait été abandonné par les autres. Mais avec la campagne de Jean-Luc Mélenchon, on assiste à une réappropriation de cet espace, et à la connexion entre deux mondes qui s’ignoraient ».
Désormais, comme le suggère le YouTubeur Farod sur Twitter, une « histoire d’amour se crée entre Internet et Jean–Luc Mélenchon » :
https://twitter.com/FarodGames/status/805855059959549954
YouTube, nouveau média politique ?
YouTube a aussi gagné en légitimité au niveau politique depuis que l’entreprise elle-même a pris conscience de son intérêt à intervenir dans ce champ. Barack Obama a ainsi été interviewé en 2016 par trois personnalités star de YouTube. De même que Jean-Claude Juncker. Nul doute, donc, que cet outil qui était jadis surtout l’apanage de jeunes humoristes devrait être de plus en plus utilisé dans les campagnes politiques. Mais les autres candidats à la présidentielle sont encore loin derrière le tribun de gauche.
Celui-ci a également marqué des points en s’attirant les faveurs d’internautes sur l’un des forum les plus influents de France – la section 18-25 ans du site jeuxvideo.com – après que sa vidéo sur l’élection Trump y a été partagée. Les internautes ont d’ailleurs à cette occasion détourné le slogan pro-Trump « Can’t stump the Trump » en « Can’t Stenchon the Melenchon » – devenu rapidement viral.
« Je pensais que 100 000 abonnés était atteignable sur l’ensemble de la campagne, confie Antoine Nicolas. Mais là je ne sais pas où on va s’arrêter ».
Jean-Luc Mélenchon s’était démarqué en 2012 par une campagne rythmée par des meetings en plein air sous le slogan « Place au peuple ». Il semblerait qu’en 2017, il ait aussi décidé d’occuper les agoras virtuelles d’internet.
Félicitations à @MonsieurDream, premier youtubeur français à dépasser les 10 millions d'abonnés ! Bravo !
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) December 4, 2016
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