Chaîne YouTube, hologrammes, jeu vidéo, riposte en ligne… Le candidat de La France insoumise a bouleversé les codes traditionnels des campagnes présidentielles en misant à fond sur internet. Suffisant pour atteindre le second tour ?
Au meeting lillois de Jean-Luc Mélenchon, ce 12 avril, la “force du peuple” qu’il a érigée en slogan est aussi la force du nombre. Non seulement 25000 personnes acclament le candidat de La France insoumise dans l’enceinte du Grand Palais, dans la capitale des Hauts-de-France, mais 45000 internautes assistent en direct devant leur écran à son discours sur YouTube et Facebook. Au même moment, le meeting d’Emmanuel Macron à Pau avec François Bayrou est dix fois moins regardé sur le même canal.
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En hausse dans les sondages, le député européen récolte les fruits d’une stratégie à long terme résolument tournée vers internet. Avec un million de followers sur Twitter, 870000 “amis” sur Facebook et près de 300000 abonnés à sa chaîne YouTube, sans compter les initiatives de soutiens qui ne dépendent pas de lui, le tribun de gauche dispose d’un arsenal numérique sur lequel il s’appuie consciencieusement pour conquérir l’hégémonie culturelle.
????Mardi 18 avril à 19h, meeting à Dijon et en même temps 6 meetings holographiques. Partagez ! #LaForceDuPeuple
➡️ https://t.co/Ukpt86Y6Ky pic.twitter.com/A0GoI5yUi1— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 18 avril 2017
“Macron était très présent dans les médias, contrairement à nous, mais sur internet, c’est une bille. Avec l’égalité des temps de parole, désormais, quand il nous enverra un pétard clac-doigt, on sera en mesure de répondre avec des modèles tigre !”, sourit Antoine Léaument, le community manager âgé de 27 ans de Jean-Luc Mélenchon, pour résumer le rapport de force des candidats sur le net.
Le “premier youtubeur politique de France”
C’est à ce boulimique du web à l’humour geek inimitable, créateur de la chaîne YouTube Le Bon Sens et d’un blog dont une partie est consacrée à la critique des médias (antoineleaument.fr), que Jean-Luc Mélenchon doit d’être devenu le “premier youtubeur politique de France”. La “Revue de la semaine”, qui a fait exploser l’audience de la chaîne YouTube du candidat, est une coproduction entre eux deux.
L’idée trottait dans la tête de Jean-Luc Mélenchon depuis un moment. Lui qui a participé à un numéro de La Tuerka, l’émission sur internet de Pablo Iglesias, le leader de Podemos, en février 2015, voyait dans cette forme d’expression un moyen de parler de manière directe à une audience potentiellement massive, tout en contournant les médias traditionnels. Il refuse ainsi obstinément de répondre à certains d’entre eux (Mediapart, la matinale de France Inter et Libération notamment)
“Un jour, il m’a appelé et m’a dit : ‘On s’y met, viens chez moi.’ J’y suis allé et on a fait le premier numéro”, relate sobrement Antoine Léaument. La magie a mis du temps à opérer, mais au sixième épisode, l’artisan de la “révolution citoyenne”, âgé de 65 ans, est devenu la première personnalité politique française sur YouTube – avec des vidéos à 200000 vues en moyenne.
Occuper chaque bout de pixel coûte que coûte
Grâce à un travail fondé sur la viralité, emprunté entre autres à la campagne de Bernie Sanders, il tient aussi le haut du pavé sur les réseaux sociaux. Occuper chaque bout de pixel coûte que coûte, à l’instar des colleurs d’affiches d’il y a vingt ans qui se battaient pour couvrir la moindre parcelle de mur : tel semble être le credo de l’équipe numérique du candidat. Celle-ci, composée d’Antoine Léaument, Lise Maillard (25 ans) et Mathias Enthoven (29 ans), baigne dans la culture web depuis le berceau. “C’est notre monde, on l’a juste mis en avant”, résume le premier.
D’après le site politologue.com qui recense la popularité des hommes politiques sur le net, l’ex-candidat du Front de gauche, qui avait rassemblé 11% des suffrages en 2012, est ainsi la personnalité politique qui a la plus forte audience sur Facebook, devant Marine Le Pen (même si la présidente du FN possède encore plus de fans que lui : 1,3 million).
Alors que le terrain du web était devenu la chasse gardée de la fachosphère, et que Dieudonné, Soral et consorts dominaient sans partage le YouTube game, La France insoumise a amorcé une riposte de gauche, dans la lignée des défricheurs Usul et Osons causer. “On a en partie assaini le forum 18-25 de jeuxvideo.com, se félicite ainsi Antoine Léaument. Désormais, des gens assument des positions humanistes, alors qu’avant ils se faisaient harceler par des trolls d’extrême droite. On a renversé la vapeur : maintenant, il y a Mélenchon et Le Pen.”
De quoi contredire le journaliste Alain Duhamel qui affirmait dans le documentaire de Gérard Miller Jean-Luc Mélenchon, l’homme qui avançait à contre-courant : “Il est aussi archaïque au début du XXIe siècle que le Parti communiste l’était à la fin du XXe.”
“C’est comme une vraie radio, Europe 1 ou RTL, mais en mieux”
Le lundi 10 avril, à 22 heures, au sixième étage du local de campagne de La France insoumise, situé rue de Dunkerque dans le Xe arrondissement de Paris, le nouveau youtubeur est d’humeur joyeuse. Assis à côté de son vieil ami Christian Rodriguez, un exilé politique chilien jadis membre du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), il entonne Venceremos, l’hymne qui porta au pouvoir le président socialiste Salvador Allende, en 1970.
Leurs mines réjouies sont de circonstance. Ce soir-là, le candidat inaugure la première émission vespérale des Jours heureux, la webradio “insoumise”, dont le nom fait référence au programme du Conseil national de la Résistance.
Animée par l’ancien journaliste d’I-Télé Guillaume Tatu, elle doit émettre sur internet jusqu’au 21 avril, de 8 heures à 9 heures, et de 22 heures à minuit. “C’est comme une vraie radio, Europe 1 ou RTL, mais en mieux”, se targue-t-il en brandissant le chiffre de 5000 podcasts le premier jour pour la matinale.
“Les radios libres, c’était l’internet d’aujourd’hui”
Un casque sur les oreilles et un micro sous le nez, Jean-Luc Mélenchon raconte quelques souvenirs de jeunesse avant que ne débute l’émission. Au début des années 1980, à la grande époque des radios libres, alors conseiller politique du maire de Massy, il était à la tête de Radio Nord Essonne. C’est dans ce contexte qu’il a été le “premier employeur” d’Arthur (si, si) et de Didier Porte.
“C’était très excitant, on était tout le temps en train d’inventer quelque chose, d’être aux avant-postes, ce n’était pas du tout la politique routinière, plan-plan…”, s’enthousiasme-t-il devant ses sympathisants, sous une affiche de Podemos. “Les radios libres, c’était l’internet d’aujourd’hui, on n’avait plus besoin de demander l’autorisation pour parler”, rappelle Christian Rodriguez, qui faisait parvenir des messages de solidarité internationale en Amérique latine, avec l’aide de “Méluch”.
Ce dernier a toujours revendiqué sa technophilie. Dans les années 1990, il avait créé un site minitel, 3615GAU, sur l’actualité de son courant au PS, la Gauche socialiste. Le “Mélenphone”, lancé à trois semaines du premier tour par ses soutiens, et qui permet à des volontaires de rejoindre de manière autonome son équipe de campagne téléphonique, n’était déjà pas loin.
“Il a planté les standards pour les années à venir” Usul
Peut-être est-ce la raison pour laquelle la campagne de La France insoumise est aux antipodes de la “politique routinière”. “C’est complètement fou, chaque semaine il y a des nouveautés. Il a planté les standards pour les années à venir”, s’emballe Usul, le youtubeur politique chroniqueur à Mediapart.
Jean-Luc Mélenchon secoue des “oligarques”
La dernière nouveauté, c’est le jeu Fiscal Kombat, jouable sur internet depuis le 7 avril et lancé par des sympathisants organisés dans le Discord Les Insoumis, un service de messagerie instantanée et de communication vocale où se réunissent des activistes en ligne.
Le principe est simple : un petit personnage pixélisé représentant Jean-Luc Mélenchon doit secouer des “oligarques”, tels que Christine Lagarde, Pierre Gattaz ou encore Jérôme Cahuzac, et récolter des gains en euros qui servent à financer son programme.
“Je crois beaucoup en l’humour comme vecteur de la pensée politique” Jean-Luc Mélenchon
En jouant, chacun contribue ainsi à renforcer le Pacman insoumis. A priori, rien de bien méchant. Pourtant, “JLM” le tient en haute estime : “Je crois beaucoup en l’humour comme vecteur de la pensée politique”, disserte-t-il dans son local de campagne.
“Le but d’un jeu comme Fiscal Kombat n’est pas forcément de convaincre, c’est d’occuper l’espace, analyse Usul. Et cela fonctionne : des youtubeurs spécialistes de jeux vidéo en ont parlé, se sont filmés en train de jouer, et indirectement, Mélenchon touche ainsi un public qu’il n’aurait jamais touché avec ses ‘Revues de la semaine’ par exemple.”
Le Discord Les Insoumis fait office d’état-major de sa campagne web
Pour Jean-Luc Mélenchon, le Discord Les Insoumis fait office d’état-major de sa campagne web. Le 23 février, quand François Lenglet compare son programme à celui de Marine Le Pen dans L’Emission politique sur France 2, ce sont ses membres qui mènent la riposte en ligne, démontant point par point l’analogie.
Miidnight, un étudiant en informatique de 21 ans, coordinateur du projet Fiscal Kombat, explique que la genèse du Discord remonte au topic “Jean-Luc Mélenchon”, sur le forum 18-25 de jeuxvideo.com. C’est lui qui a eu l’idée de le constituer, dans l’objectif de “rassembler toutes les bonnes volontés pour créer des projets sur internet en soutien à sa campagne”.
A l’heure actuelle, deux cents personnes sont actives sur cette plate-forme et environ 15000 la visitent chaque semaine. La France insoumise lui doit notamment, en plus du Mélenphone et de Fiscal Kombat, le site laec.fr (qui décortique de manière pédagogique le programme “L’Avenir en commun”), un Désintox insoumis en ligne ou encore un comparateur de programmes.
Jean-Luc Mélenchon a témoigné de sa reconnaissance envers ce “bataillon d’élite qui n’en fait qu’à sa tête” dans sa “Revue de la semaine” numéro 24, sur sa chaîne YouTube : “Si pour finir j’arrive au second tour, et si je suis élu, on pourra dire que ce sera aussi grâce au Discord Les Insoumis, et que l’exercice du pouvoir devra s’appuyer sur cette capacité d’initiative.”
Mais quel peut être l’impact réel de cet activisme 2.0 sur le résultat du scrutin ? Selon Usul, il pourrait être tangible, même s’il n’est pas quantifiable. “Le Mélenchon des médias n’est pas le Mélenchon d’internet, souligne-t-il. Grâce à sa chaîne YouTube, il s’éloigne du bestiaire politique, se montre tel qu’il est et brise l’armure. Quand il s’adresse au Discord dans une vidéo, c’est un acte symbolique fort, capable de susciter de l’engagement.”
“Tout ce qu’on fait est politique, c’est pour cela que ça marche”
A l’opposé du marketing politique et des stratégies de com, Antoine Léaument, Lise Maillard et Mathias Enthoven, tous autodidactes en la matière, estiment que le succès de l’auteur de Qu’ils s’en aillent tous ! sur internet réside dans son côté “sans filtre” et sa manière de considérer les internautes comme des égaux.
“Tout ce qu’on fait est politique, c’est pour cela que ça marche, à l’inverse de la chaîne de Florian Philippot, qui prend visiblement les internautes pour des demeurés”, étaye Lise, étudiante en master de sociologie et de droit, en charge des réseaux sociaux de Jean-Luc Mélenchon.
Le candidat a d’ailleurs théorisé ce renversement des normes politiques dans un texte ajouté à la fin de la réédition de L’Ere du peuple : “Quand la plate-forme numérique permet d’organiser automatiquement la création et la coordination de milliers de structures de base de toutes tailles capables de s’autogérer en toute liberté, toutes les verticalités du passé se présentent comme autant de rigidités inutiles, restrictives et contre-productives.” Exit les sauveurs suprêmes et la discipline du parti, donc. A croire que le socialisme du XXIe siècle coïncidera avec l’ère de la démocratie numérique ou ne sera pas.
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