Le chef étoilé Jean-François Piège ouvre un nouveau restaurant gastronomique. Il nous parle de french bashing, de “Top Chef” et de Louis de Funès.
Vous ouvrez votre nouveau gastro et il s’appelle Le Grand Restaurant, comme le film avec Louis De Funès. C’est votre acteur préféré ?
Jean-François Piège – J’aime bien Le Grand Restaurant le film, et cette référence met un peu d’humour dans la gastronomie. Après, ce nom est clair : ce sera de la grande cuisine.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Qu’est-ce qui pousse un chef à changer d’établissement quand ça marche bien ?
J’ai été salarié toute ma vie. Maintenant, j’aurai mon restaurant. Ça fait deux ans que j’en ai envie. L’idée est de faire de la bonne cuisine inventive avec de bons produits et ingrédients français. Le french bashing me soûle un peu. Pour y répondre, il ne faut pas se plaindre ou revendiquer, il faut proposer. Ce que je vais faire. Le Grand Restaurant, c’est 2 millions d’investissement, vingt-cinq couverts, dix-sept salariés, un menu déjeuner à 80 euros et dans les 180 euros à la carte. Ce sera chic, mais cool.
Cuisine française, c’est revenir aux classiques, aux fondamentaux ?
Non. “Revenir” a un côté nostalgique qui ne me plaît pas. Par contre, je n’aurai que des vins français sur ma carte. Pas besoin de chercher ailleurs, on en a tellement de très bons chez nous. De même que quand je vais à l’étranger, je bois local. Même principe pour la cuisine, des produits locaux, mais sans nostalgie. Et des produits cuisinés, contre la tendance actuelle du cru. Mais je cuisine avec mon âge et mon époque, pas selon un retour à la tradition.
Quand vous dites french bashing, vous faites allusion au fameux classement mondial de la revue anglaise Restaurant, qui malmène les tables françaises ?
J’étais à leur cérémonie avec Anne-Sophie Pic, Eric Fréchon et Yannick Alléno. On était quatre cons de Français pas classés. La France a cinq restos dans ce classement, l’année prochaine, il y en aura moins. A côté, le Mexique a balancé 5 millions de dollars et ils ont un resto classé troisième. Il faut faire du lobbying, comme aux oscars.
Néanmoins, ce classement induit l’idée que le monde de la cuisine bouge et que la France se repose sur ses lauriers…
Le monde bouge, oui, mais la France aussi. A quoi se mesure la créativité d’une cuisine ? Les paramètres bougent tout le temps, et les Français sont aussi créatifs que les autres. En France, nous ne faisons plus notre promotion. Je suis de Valence et ai été formé par Alain Chapel : les élèves de l’école hôtelière partaient en promotion à travers le monde avec leurs produits. On ne le fait plus. Pour exister dans ces classements marketing internationaux, il faut faire du lobbying. On ne peut se contenter de dire “les autres, c’est pas bien”, il faut proposer, ouvrir des restaurants, c’est comme ça qu’on s’en sortira.
La prééminence de la cuisine française est-elle menacée ?
J’ai 44 ans. J’ai appris le métier au Crillon en 1989, sous la direction de Christian Constant. Dans notre brigade, il y avait aussi Eric Fréchon, Yves Camdeborde, Thierry Breton… A l’époque, crise ou pas, les restaurants étaient pleins. Cette année, les tables trois étoiles sont le plus souvent vides.
Mais à côté, il y a eu l’explosion de la bistronomie, financièrement plus accessible…
Oui, mais Yves (Camdeborde) m’a dit qu’il a pu faire ce qu’il a fait parce qu’il venait d’une grande maison. Ces dernières ont tendance à disparaître : c’est terrible parce qu’elles sont l’équivalent des grandes écoles. La bistronomie n’existe pas seule, hors sol. Il faut que les grandes maisons existent pour qu’il y ait d’autres générations de bistronomes. La bistronomie, c’est très bien, mais citez-moi un gastro de haut niveau indépendant qui a ouvert récemment à Paris ?
180 euros : la grande cuisine n’est pas accessible à tout le monde…
C’est vrai, ce n’est pas pour tout le monde, mais on a des coûts, et puis quand on voit les prix dans certaines brasseries… Dans mon autre restaurant, Clover, il y a un menu du midi à 30 euros. Une brasserie est un lieu où les cuisiniers se dispersent, avec de gros coûts liés à l’amplitude horaire. Au final, c’est le client qui paie et pas toujours pour bien manger. C’est pour ça que la bistronomie a explosé. Je crois moyennement à la brasserie et beaucoup plus au restaurant concentré sur ce qu’il fait.
Juré à Top Chef, ça accroît la notoriété et le chiffre d’affaires ?
Difficile de répondre, mes restaurants marchaient bien avant Top Chef. Par contre, ces émissions ont apporté un truc : un jeune n’a plus honte de dire qu’il veut devenir cuisinier. Quand j’ai grandi, j’entendais des remarques du type : “Si tu ne travailles pas à l’école, tu finiras cuisinier.”
Le Grand Restaurant, ce sera de la grande cuisine d’auteur ?
Ce sera une cuisine correspondant à mon identité. Surtout, je ne veux ni faire le malin, ni un restaurant de décorateur. On va essayer de raconter une histoire, de faire vivre une émotion au client. Un exemple : la poularde en croûte de riz, on va d’abord la présenter crue, puis la mijoter. Ces mijotés modernes me sont venus du souvenir de ma grand-mère. Je la voyais préparer le repas le matin tôt, avant l’école, puis, le soir, on mangeait ce qui avait mijoté la journée.
Je me suis dit qu’il fallait travailler là-dessus. Ma cuisine, c’est celle qui est cuisinée, qui mijote, avec les sauces qui caramélisent, vrai marqueur de la cuisine française. Attention, la cuisine moderne, les émulsions, les marinades, le mi-cuit, c’est très bon aussi ! Mais il ne faut pas opposer les deux écoles : elles doivent coexister.
Le Grand Restaurant 7, rue d’Aguesseau, Paris VIIIe
jeanfrancoispiege.com
{"type":"Banniere-Basse"}