Fondateur en 1997 de « Marianne », qu’il avait quitté en 2007, Jean-François Kahn, 75 ans, revient pour sauver le magazine et lancer « Le Nouveau Marianne »… avant de s’effacer. Explications
Pourquoi êtes-vous revenu fin juin à la tête de Marianne ?
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Jean-François Kahn – Marianne a été touché, comme tous les autres journaux, par la crise de la presse. On dit parfois que les news magazines résistent mieux que les quotidiens, mais je peux vous assurer qu’ils plongent aussi. Si vous saviez la vérité sur les chiffres… C’est épouvantable, terrible. Le Point et Marianne ont mieux résisté que les autres. Mais maintenant, tout le monde dégringole. Il y a deux ans, la direction de Marianne m’a donc demandé un travail sur la façon de repenser la presse magazine face à cette crise.
Qu’avez-vous proposé ?
Mon projet allait dans le sens de changements radicaux. Ils ne l’ont pas suivi… Mais la crise s’est aggravée et la rédaction, qui n’avait pas été mise au courant, a été informée que j’avais fait ce travail. Les journalistes m’ont demandé de leur expliquer mon projet. Ils l’ont approuvé à la quasi-unanimité, avec l’accord de la direction. Le 29 juin, on a donc lancé Le Nouveau Marianne. Comme il y avait beaucoup de modifications à faire, je leur ai proposé de rester trois mois pour le mettre en œuvre, sans être payé, mais à une condition : avoir les pleins pouvoirs. Je leur ai dit : “Je veux une dictature à la romaine, que j’abandonnerai comme Cincinnatus, au bout de trois mois !”
Quels sont ces changements radicaux ?
Le principal a été de rompre avec le modèle du news magazine à l’américaine. Il ne fonctionne plus. Même Newsweek a fermé (la version papier a disparu en décembre 2012 – ndlr). Le principe du sujet unique en couverture, par exemple, ça ne va pas. Avec Le Nouveau Marianne, vous trouverez sur la même une à la fois un sujet vendeur sur “la sexualité de droite et la sexualité de gauche” et un sur Spinoza. Sur une autre, on a mis six sujets, dont un sur Olympe de Gouges. Jamais un news n’aurait mis Olympe de Gouges en une ! Sur le fond, j’essaie de retrouver les fondamentaux de Marianne : rejet de la pensée unique, du panurgisme médiatique, volonté d’explorer des nouvelles voies, de dépasser les clivages traditionnels, etc. Mais de façon encore plus radicale. Nous avons besoin d’une révolution institutionnelle, d’un nouveau modèle de société. Marianne doit être le journal qui porte ces valeurs. Et on offre deux pages aux lecteurs pour qu’ils fassent eux aussi des propositions concrètes, c’est la rubrique “Chiche !”
Ne redoutez-vous pas la concurrence d’internet, l’abandon de la presse écrite par les lecteurs ?
Je n’ai pas de certitude sur ce sujet. Il y a deux possibilités. La première, c’est le cas de figure du train qui arrive à l’époque des diligences. Vous pouvez faire n’importe quoi, chauffer les diligences, les améliorer… c’est mort. La seconde, c’est l’apparition du cinéma qui n’a pas remis en cause le théâtre, puis la télé qui n’a pas remis en cause le cinéma, etc. Je crois plutôt à cette option. Mais je ne peux pas exclure la première.
Selon vous, la presse écrite arrivera toujours à proposer quelque chose de différent, de mieux qu’internet…
Oui. D’une part il y a un lien physique avec un journal, c’est une matière que l’on a en main : on le tient, on le sent, on le froisse, on le déchire… D’autre part, sur internet, il y a un problème avec l’absence de hiérarchisation. Le moins important et le plus important se mêlent, il n’y a pas de cohérence, pas de sens. C’est pour cela qu’il faut repenser un journal de telle façon que la hiérarchisation et le sens deviennent fondamentaux. On assiste dans les médias à une inflation de commentaires et d’analyses qui prennent le pas sur les faits, les reportages, les enquêtes.
Or Marianne pratiquait beaucoup cela…
C’est exact, mais vous remarquerez que j’ai fait sauter presque toutes les chroniques. Par ailleurs, dans Le Nouveau Marianne, il y a des grandes enquêtes. Sur le scandale des péages d’autoroutes, par exemple, ou dans notre dossier “Comment les Chinois conquièrent la France”. Pour les reportages, c’est plus compliqué. Ils posent un problème financier, mais aussi de rapport décalé à l’actualité. Quand l’armée intervient place Tahrir, au Caire, entre le moment où l’on écrit l’article et le moment où il sera publié, cet événement aura déjà été traité ailleurs… Je suis pour le reportage, mais il faut le réinventer.
Quels journaux lisez-vous ? Quels médias vous intéressent, vous inspirent ?
Je m’intéresse à Mediapart. Et je regarde beaucoup le site du Figaro: ils doivent avoir pas mal de pognon parce qu’ils l’actualisent en permanence. A minuit, à 7 heures du matin, le week-end… vous avez toujours les dernières infos.
Et les autres magazines, Le Point, L’Express, Le Nouvel Obs… comment les jugez-vous ?
C’est compliqué. Ils sont tous les trois très bons, c’est certain, faits par des journalistes de qualité, mais comme je vous l’ai dit, le genre est mort. Par ailleurs, il y a dans Le Nouvel Obs une influence de la pub et du commercial qui les empêche de se remettre en cause, qui les laisse prisonniers de vieux schémas. A L’Express, ils ont un patron compétent (Christophe Barbier – ndlr) mais qui n’y est jamais parce qu’il est à la radio ou à la télé. Quand on dirige un journal il faut y être jour et nuit. A Marianne, je ne reste que trois mois mais j’y suis tout le temps.
Selon un article du Monde, il y a une chose que vous n’avez pas encore réussi à imposer pour Le Nouveau Marianne, c’est la baisse de salaire des directeurs… Est-ce exact ?
Oui, c’est vrai. Mais j’y arriverai. Avec l’aide de la rédaction, j’y arriverai
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