Après son triomphe aux européennes et à quelques mois des régionales, le leader d’Europe écologie pense déjà à l’après- Copenhague, le sommet pour sauver le climat.
L’interview commence en France, pour se finir en Allemagne. C’est ça, Cohn-Bendit. On le retrouve un dimanche matin à Paris, gare de l’Est, pour le suivre jusqu’à Francfort, chez lui, après un forum sur la conférence climatique de Copenhague, organisé le samedi par Europe Ecologie à l’Assemblée nationale. La veille, lors de ce raout réunissant associatifs et membres de grands partis (hors PS, NPA et Parti de Gauche) venus à titre individuel, Cohn-Bendit a renoué avec François Bayrou quelques mois après leur brouille télévisuelle des européennes. Avant le départ du train, il découvre dans la presse les articles sur le rendez-vous de la veille. Il s’amuse de voir comment les journalistes instrumentalisent le comportement de Cécile Duflot, des Verts, avec qui il est le principal animateur d’Europe Ecologie.
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Acteur majeur de la vie politique française, Daniel Cohn-Bendit en est aussi l’un des plus fins observateurs. Entre Paris et Francfort, il évoque avec nous la crise du PS, l’avenir d’Europe Ecologie, la mainmise de Sarkozy sur le pays, le sommet de Copenhague et la qualification discutable des Bleus de Domenech. En voiture.
ENTRETIEN > Fallait-il rejouer France- Irlande après la faute de main de Thierry Henry qui permet le but et la qualification ?
Daniel Cohn-Bendit – C’est idiot de vouloir rejouer. Quand un arbitre bon ou mauvais siffle la fin du match, c’est la fin, point. Sinon, on rejouerait tout le temps. Roy Keane, l’un des plus grands joueurs irlandais, ancien capitaine de Manchester United, a rappelé que contre la Géorgie, l’Irlande a bénéficié d’un penalty imaginaire qui les fait gagner 2-1 et les qualifie. On a rejoué ? Le vrai problème pour moi, ça n’est pas cette main mais le niveau de jeu catastrophique.
Domenech ?
Disons que des joueurs qui brillent dans les plus grands clubs européens ont du mal à donner le meilleur d’eux-mêmes en bleu. Gourcuff tire les coups francs et les corners à Bordeaux, et la plupart des buts des Girondins viennent de là. Avec Domenech, c’est Henry, un attaquant, qui les tire : pourquoi ? Quand on a Benzema dans son équipe, on essaie de le faire jouer – plutôt que Govou que j’aime bien, mais bon… Non c’est triste, il n’y a pas d’engouement possible autour de cette équipe pour le moment.
En revanche, la victoire de l’Algérie en a créé… Certains ont même trouvé cela gênant.
Faut pas exagérer, c’est un moyen de faire la fête et un pied de nez à un moment où la société française ne donne pas beaucoup de perspectives à des jeunes qui ont une double identité. C’est peut-être aussi la réponse intuitive que donnent certains jeunes au beau milieu d’un débat sur l’identité nationale, dont ils se sentent exclus. La plupart des jeunes qui ont manifesté avec un drapeau algérien sont français. On produit un débat pervers et ensuite on s’étonne…
Que pensez-vous de ce débat sur l’identité nationale ?
L’UMP cherche à sanctifier le vote de droite et d’extrême droite à l’approche des régionales. Ils essaient de couper l’herbe sous le pied au Front National. Mais ils ne comprennent pas que les gens ont des identités multiples : on est homme ou femme, hétéro ou homo, vieux ou jeune, on est né là et on vit là-bas. Il y a tellement d’aspects différents dans nos identités que ce débat réducteur pose des questions stupides. Est-ce qu’il faut aimer Mireille Mathieu pour être français ? Et si on aime Johnny Hallyday, on est belge ? Les identités, on se les construit, de façon collective, c’est ça qui fait une nation, pas une “terre” comme l’a récemment dit Sarkozy. Franchement, je ne prends pas ce débat très au sérieux : il est tactique, électoraliste, mais les électeurs sont assez mûrs pour voir les ficelles. Sarkozy, Besson, l’UMP – le PS aussi d’ailleurs – sont dans un discours ultradaté, ultrasimplificateur. Les trucs de Besson sur l’identité nationale, ce n’est pas éloigné du discours de Ségolène Royal sur le drapeau en 2007. Une fois qu’on a mis le drapeau et que l’identité nationale est définie, on fait quoi ?
Il y a les discours mais aussi les faits : Besson expulse, fait la guerre aux “mariages gris”…
Il y a des décisions très dures et effectivement le gouvernement sacrifie des gens pour montrer le spectacle de la tranquillité. Cette dérive autoritaire est angoissante. Quand on sait que Besson a des objectifs d’expulsion, on ne peut qu’être choqué.
Les attaques d’Eric Raoult contre le prix Goncourt Marie NDiaye, c’est une sortie personnelle ou le symptôme de la radicalisation de la droite ?
C’est le prolongement de l’affaire de Sarkozy faisant croire qu’il était à Berlin au moment de la chute du Mur. Dès que Sarko est attaqué, il faut le défendre. Il aurait été facile de dire “on s’est trompé, Sarkozy n’était pas à Berlin le 9 novembre”. Mais non, toute la cour s’est mise en branle, “on l’a vu, il y était”. Ce dérapage est créé par l’hyperprésence. Dans le système de cour, Sarko ne peut pas se tromper.
Au-delà de Besson, quel est le bilan des ministres d’ouverture ?
Kouchner avait toujours rêvé d’être ministre des Affaires étrangères, et le jour où il le devient enfin, sous Sarkozy, il disparaît tout simplement en tant que Bernard Kouchner. C’est triste. Il a perdu l’indépendance qui faisait sa force pour devenir le bras gauche de Sarko et n’a plus que le nom de Kouchner, sans ses qualités. Celui qui s’en sort le mieux, c’est Martin Hirsch, mais il n’est pas ministre, c’est peut-être ce qui le sauve. Si je devais en récupérer un à Europe Ecologie, ce serait lui, j’aimerais pouvoir le persuader de venir chez nous.
On vous a proposé un poste d’ouverture ?
Cela pourrait s’imaginer si Sarkozy et Merkel me proposaient d’être le ministre francoallemand (ministre qui siègerait dans les deux gouvernements – ndlr). Mais de toute façon, je ne veux pas être ministre. Si je voulais jouer le jeu, je mettrais noir sur blanc ce que je veux faire et j’obligerais Sarkozy et Merkel à signer. Je demanderais par exemple que le siège de la France à l’ONU devienne franco-allemand, que les nominations des commissaires européens soient faites par les deux pays…
Rama Yade à Europe Ecologie, cela pourrait être envisageable ?
Rama Yade, c’est l’indépendance contrôlée. Culturellement, elle est sûrement ouverte mais elle se définit dans l’espace de l’UMP, à la différence de Martin Hirsch. Elle est une personnalité sympa de l’UMP, comme Nathalie Kosciusko- Morizet, mais elles restent attachées à ce courant.
Avec les nouvelles recrues d’Europe Ecologie, il y a un côté dream team : Philippe Meirieu, la juge Laurence Vichnievsky, Pierre Larrouturou, Augustin Legrand… Mais toutes ces personnalités sauront-elles travailler ensemble ?
Je suis un meilleur entraîneur que Domenech… (rires) On m’avait posé la question sur Bové et Eva Joly. Or l’amitié entre eux est fascinante. Il ne fallait pas faire l’erreur de les enfermer dans une organisation traditionnelle. Europe Ecologie ne rabote pas les personnalités : il les laisse s’exprimer.
Des nouvelles têtes, cela permet aussi de diluer le poids des Verts dans Europe Ecologie…
On aura ce débat après le 21 mars, après les régionales. Je prépare une intervention, l’appel du 22 mars, sur le thème “Et maintenant, comment on continue ?”. Cela dépendra du score du premier tour. Si on arrive à être la troisième force politique française, ce que je crois, cela changera le paysage politique. Si on est à 15-16 % et le PS à 22 %, cela influencera les prochaines élections législatives. On a fait bouger les lignes, nous devrons définir ensemble une perspective qui ne peut pas être un parti traditionnel.
Parallèlement, vous travaillez au rapprochement des partis opposés à Sarkozy, ce que vous nommez l’alliance Arc en ciel.
Pour 2012, Europe Ecologie doit être une force politique nouvelle autonome, celle de l’éco-politique. Mais nous ne sommes pas la seule alternative à l’UMP… C’est pour cela que je participe à des discussions avec Vincent Peillon, François Bayrou, Marielle de Sarnez… Il faut inventer une nouvelle perspective qui ne soit ni la “gauche plurielle”, ni le “programme commun”, mais un espace politique où ces diversités opposées à l’UMP puissent trouver une unité.
Pour battre Sarkozy, il faut s’allier avec Bayrou ?
Il faut montrer à la société française qu’il y a une alternative politique à son autoritarisme et au “moi je, moi je”. D’abord, il faut développer une autre idée de la gouvernance. Contre l’hyperprésident, il faut développer l’idée du président ou de la présidente citoyen(ne), qui doit être l’animateur et non pas le dictateur d’un gouvernement. Cela veut dire aussi rompre avec la tradition de la gauche mitterrandienne. Ségolène est proche de Sarkozy car elle veut être Mitterrand femme. Ensuite, personne ne fera 50 % seul. Si on veut les voix de Bayrou, il faut respecter celui qui les représente, lui parler. Bayrou a fait émerger dans sa campagne l’idée d’une république plus juste. Ça fait partie d’un espace opposé à Sarkozy. Je suis pour des passerelles, pour qu’on discute.
Vous définiriez-vous encore comme libéral-libertaire ?
Non, parce que ce n’est pas compris. La dimension libertaire est sociale, contre les inégalités. La dimension libérale était une position démocrate, non révolutionnaire. Je crois que la régulation du marché doit se faire par l’Etat et les politiques publiques, mais aussi par un nouvel investissement des citoyens dans le collectif, tel que l’autogestion. En même temps, il faut être intraitable sur la défense des institutions démocratiques et de l’Etat de droit.
Vous avez de vives discussions avec Cécile Duflot sur le MoDem. A la réunion de samedi 21 novembre, elle s’est mise en retrait quand Bayrou est arrivé…
En Ile-de-France pour les régionales, le PS et Europe Ecologie vont faire 35%, la gauche de la gauche 7-8% – le NPA ne compte pas car il ne veut pas participer –, Bayrou va faire 6-7%. Est-ce que vous croyez que Cécile Duflot et Jean-Paul Huchon (PS) ne vont pas discuter avec le MoDem ? Puisqu’on sait qu’on va le faire, montrons que c’est possible avant. Cécile a pris l’idée d’Europe Ecologie à brasle- corps, s’y investit. Elle a changé, elle est en mouvement. Parfois, il y a des restes un peu infantiles.
Qu’avez-vous pensé de l’altercation entre Ségolène Royal et Vincent Peillon ?
Vincent Peillon aurait dû prendre ça à la rigolade. Il est tombé dans la provoc de Ségolène. Je trouve que ce qu’il essaie de faire est pas mal. Avant, j’étais pro-Royal, elle amenait de la nouveauté, mais je ne la comprends plus. J’assiste à sa déconstruction. Il y a Benoît Hamon aussi. On a l’impression que dès qu’il y a une connerie à dire, il la dit. Autant il y avait un vrai débat sur Polanski, autant il fallait être dingue pour attaquer Frédéric Mitterrand sur son livre. Et ça se dit de gauche ! Hamon a ramené un débat de droite à gauche. Heureusement qu’il y a eu l’affaire Marie NDiaye et Eric Raoult, un crétin de droite traditionnelle, pour sauver la gauche.
Qui pourrait amener de la nouveauté au PS aujourd’hui ?
Je ne sais pas. Je crois qu’ils vont se mettre à genou et appeler “saint Strauss”. Mais DSK sera-t-il capable de mobiliser la gauche de la gauche ? Je crois que son problème est qu’il n’a pas envie d’y aller. Il ne veut pas perdre.
Quelles qualités faudrait-il pour battre Sarkozy ?
Il faut être un antiprésident : un président citoyen, ouvert, animateur. Une partie de la France en a marre de ce super autoritarisme présidentiel.
Vous avez le profil du poste…
Je ne serai jamais candidat. Il faut avoir vraiment envie du pouvoir. Moi je préfère avoir de l’influence : on peut décliner “influence” et “liberté”, pas “pouvoir” et “liberté”. Je pourrais faire un plus ou moins bon score, mais il y a un contentieux entre moi et la France qui rend les choses difficiles. Mai 68, mes origines, mon comportement politique pas toujours très présidentiable…
Europe Ecologie n’est donc pas braqué sur la présidentielle ?
L’objectif, c’est les régionales puis les prochaines législatives. Est-ce qu’on joue un accord avec les socialistes sur un nombre précis de circonscriptions ? Est-ce qu’on joue le désistement républicain ? On peut aussi trouver un accord avec le PS pour ne pas présenter de candidat à la présidentielle et obtenir des accords sur les législatives. Tout cela sera à discuter après les régionales, en fonction de notre score…
Le 7 décembre commence le sommet de Copenhague sur le climat. Vous pensez que l’opinion et les politiques français y sont assez sensibilisés ?
Oui, la conscience monte. En France, on est prêt à faire le pas nécessaire. Ce n’est pas un hasard si un mec comme Sarkozy dit que nous sommes la dernière génération à pouvoir empêcher le réchauffement : il sait que c’est audible dans la société d’aujourd’hui, parce que les opinions publiques et les politiques savent qu’on doit agir. Copenhague sera un point de départ. Le sommet va donner lieu à une déclaration politique et, pendant un an, on va débattre jusqu’à obtenir un accord contraignant qui sera signé à Mexico en 2010.
Qu’entendez-vous par contraignant ?
Très simplement : si vous ne réduisez pas votre émission de CO2, vous êtes pénalisé et devez payer ; ça peut être aussi des mesures de rétorsion sur les marchés. L’Europe a un rôle à jouer et doit faire des propositions fortes pour montrer l’exemple, pour que les médias américains les relaient, pour que les Etats-Unis et les Chinois bougent. Pour l’instant, Barroso est plutôt dans une position qui lui permet de faire des choses. Il ne sera pas renouvelé en tant que président de la Commission, donc il a une véritable liberté. Et il est possible qu’il donne un coup de pouce en tant que président de la Commission européenne. On voit qu’au Parlement européen, les résolutions qui préparent Copenhague vont plus loin que ce qui se faisait auparavant.
Quelle est la position de Barack Obama ?
Il est préoccupé par sa réforme de la santé et ne peut pas bouger pour le moment. Il reste attentiste car il ne peut pas faire les deux en même temps. Il aura fini avec la santé en fin d’année ou début 2010 et il s’attaquera alors à la loi sur le climat. Barack Obama peut signer un accord politique qui devance l’opinion politique américaine et mettre les choses en place par la suite. La résolution de Copenhague, ça ne sera pas la plate-forme des ONG mais un consensus. Il faut s’y préparer.
Que pensez-vous des nominations du Belge Herman Van Rompuy à la présidence du Conseil européen et de l’Anglaise Catherine Ashton à la tête de la diplomatie européenne ?
Je ne connais pas Van Rompuy et n’ai pas d’avis. Il paraît que c’est un bon négociateur. Concernant Ashton, mon problème c’est que les socialistes européens ont nommé une Anglaise sous la pression de Brown et Blair. Or les Anglais n’ont jamais voulu de ministre des Affaires étrangères pour l’Europe. On se fout de la gueule du monde ! C’est une façon de tuer le poste. Cette décision montre encore la déliquescence du socialisme européen.
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