Près de 100 familles yézidies victimes des violences de l’État islamique en Irak ont été accueillies en France entre 2018 et 2019, à la suite d’une promesse d’Emmanuel Macron. Nous avons pu rencontrer Bahar*, jeune réfugiée yézidie, arrivée l’année dernière à Paris avec sa mère et ses trois sœurs.
En octobre 2018, Emmanuel Macron rencontrait Nadia Murad, réfugiée yézidie et ancienne esclave sexuelle de Daech, qui avait reçu le Prix Nobel de la paix quelques mois plus tôt. A cette occasion, le président de la République lui avait fait la promesse d’accueillir “100 femmes yézidies victimes de Daech et leurs enfants” en France, d’ici la fin de l’année 2019. Et c’est chose faite.
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Arrivées en petits groupes depuis le mois de décembre 2018, les 27 dernières femmes yézidies et leurs enfants ont atterri à Paris le 20 novembre de cette année. Le gouvernement assure leur apporter “protection, sécurité, éducation et accompagnement médico-social”, mais peu d’informations complémentaires sont disponibles à ce sujet. Nous sommes donc partis à la rencontre de l’une d’entre elles, arrivée en décembre 2018.
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Il est environ 15 heures lorsque Bahar* nous accueille, claquettes aux pieds et châle sur les épaules, dans le centre d’hébergement de banlieue parisienne dans lequel elle vit depuis maintenant un an avec sa mère et ses trois sœurs. Ses cheveux noués laissent paraître un visage doux et souriant malgré quelques traces de fatigue. Cette jeune Yézidie a 24 ans. Originaire de la ville de Sinjar, en Irak, elle a été chassée de chez elle par l’organisation Etat islamique en 2014. Une période de sa vie sur laquelle Bahar ne souhaite pas revenir.
Pour rappel, la communauté yézidie est une minorité kurdophone pratiquant une religion monothéiste ésotérique pré-islamique. On estime qu’elle est composée d’environ 500 000 adeptes, principalement regroupés au nord de l’Irak, dans la région du Sinjar. Longtemps persécutés, les Yézidis vont connaître un véritable enfer lors de l’invasion de la région par l’Etat islamique en août 2014. Considérés par les djihadistes comme des “adorateurs du diable”, la plupart des hommes sont exécutés, tandis que les femmes et adolescentes sont réduites à l’esclavage sexuel. Les enfants, quant à eux, sont soit exécutés à leur tour, soit enrôlés pour rejoindre les rangs de Daech.
20.000 à 30 000 Yézidis auraient réussi à fuir les massacres et à atteindre des camps de réfugiés situés au Kurdistan irakien.
“On n’avait plus rien, il fallait qu’on parte”
Après avoir vécu presque quatre ans dans un de ces camps avec sa mère et ses quatre sœurs – son père est “mort à la guerre” d’après ses mots -, Bahar apprend qu’un programme du gouvernement français pourrait leur permettre de rejoindre la France. Elle n’hésite pas et postule : “On ne pouvait pas rester là-bas, sous une tente et sans salaire. On n’avait plus rien, il fallait qu’on parte”, dit-elle, avant de nous expliquer avoir tenté de travailler pour gagner de l’argent, en vain. “En Irak, s’il n’y a pas un homme dans ta famille pour subvenir à tes besoins, tu ne peux pas t’en sortir”, déclare-t-elle, avant d’ajouter : “Les gens ne cessaient de me répéter que je ne pouvais pas travailler, que ce n’était pas mon rôle. C’est pour cette raison que j’ai dû quitter mon travail.”
Le programme mis en place par le gouvernement français était d’ailleurs destiné aux femmes qui avaient perdu leur mari – tué ou porté disparu – et qui ne pouvaient donc plus subvenir aux besoins de leurs familles. La mère de Bahar et ses enfants remplissaient tous les critères de sélection et leur demande a finalement été acceptée.
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Contacté par Les Inrocks, Julien Boucher, le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), nous a expliqué que les familles, toutes originaires du Sinjar et déplacées dans des camps au nord de l’Irak, avaient été sélectionnées au préalable par l’association fondée par Nadia Murad, « Initiative Nadia Murad ». Des équipes de l’OFPRA se sont ensuite rendues à quatre reprises à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, afin de vérifier si ces dernières correspondaient bien aux critères mis en place par le gouvernement français.
“Les choses allaient s’arranger”
Environ deux semaines plus tard, Bahar, sa mère et trois de ses sœurs – la quatrième, mariée, est restée sur place – se rendent donc à Erbil, où un avion les attend en direction de Paris. À leur arrivée à l’aéroport de Roissy, en début de soirée, le 20 décembre 2018, Nadia Murad et le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner sont présents pour les accueillir, rapporte des journalistes de l’AFP. Le ministre déclare alors aux 16 mères yézidies et à leurs enfants : “Vous êtes ici en sécurité, la France vous accompagnera”.
Certaines familles sont ensuite conduites en province tandis que d’autres vont rejoindre la banlieue parisienne. Bahar et sa famille se retrouvent ainsi dans une petite ville de 10 000 habitants où elles sont hébergées dans une résidence collective gérée par le Centre d’Action Sociale Protestant (CASP). Pour la jeune femme, l’adaptation est compliquée : “Le premier jour, je n’ai pas arrêté de pleurer. J’avais besoin de temps pour comprendre qu’une nouvelle vie m’attendait et que les choses allaient s’arranger.”
“C’est très compliqué de s’adapter à un nouveau pays, une nouvelle langue, une nouvelle culture, ça prend du temps”, confie Bahar. Si ses sœurs – âgées de 11, 18 et 19 ans – sont scolarisées et peuvent ainsi nouer des contacts avec les jeunes français.es de leurs âges, ce n’est pas le cas pour elle, qui a arrêté ses études depuis plusieurs années pour subvenir aux besoins de sa famille. Aujourd’hui, elle consacre ses journées à l’apprentissage du français, avec pour objectif de trouver un travail rapidement : “Tout ce que je demande, c’est de voir ma famille heureuse, et d’aider mes sœurs à poursuivre leurs études”.
Dans le cadre de leur programme d’accueil, elle a pu, avec sa mère, bénéficier de cours de français pendant neuf mois. Désormais, elle continue d’étudier, seule, mais regrette de ne pas pouvoir pratiquer la langue avec des Français : “Vu que je ne vais pas à l’école ou à l’université, c’est dur de rencontrer des gens, je me sens souvent très seule.”
Et lorsque l’on évoque la situation de sa mère, les larmes montent doucement aux yeux de Bahar. Presque en chuchotant, elle nous explique : “C’est très dur, car je vois que ma mère n’est pas heureuse.” Elle reprend son souffle avant de continuer : “Elle est extrêmement reconnaissante d’être arrivée en France, car nous sommes en sécurité ici, mais elle n’arrive pas à arrêter de penser à tout ce qu’on a vécu, à passer à autre chose.”
Un avenir encore incertain
Un an après être arrivée en France, la famille de Bahar souhaite s’installer dans un nouveau logement, mais les procédures sont longues et compliquées. “Pour pouvoir bénéficier d’un logement social, nous devons d’abord recevoir tous nos papiers”, nous explique l’aînée de la fratrie.
Une fois le problème administratif réglé, il faudra également trouver un nouveau lycée doté d’un programme de renforcement en français pour sa petite sœur. Pourtant, malgré ces épreuves, la jeune femme ne désespère pas. Elle souhaite que ses sœurs poursuivent leurs études pour devenir professeure d’anglais pour l’une et dentiste pour l’autre. “Elles sont très motivées et travaillent beaucoup pour cela”, précise Bahar, une lueur de fierté dans les yeux.
Et lorsqu’on lui pose la question d’un potentiel retour en Irak, sa réponse est sans appel : “J’aimerais beaucoup y retourner pour voir ma famille [ses grands-parents, son oncle et sa sœur sont encore là-bas, ndlr] parce qu’elle me manque beaucoup”, dit-elle, avant de continuer : “Mais retourner y vivre, ce n’est pas possible. Là-bas, la vie est trop dure, surtout pour les Yézidis.”
*Son prénom a été modifié.
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