Relaxé, Jawad Bendaoud entame sa reconversion. Et loin de lui l’idée de se faire discret : le « logeur de Daech » expose son quotidien au grand jour sur les réseaux sociaux, Snapchat en tête.
La tranquillité aura été de courte durée. Il y a un peu plus d’une semaine Jawad Bendaoud ouvrait un compte Snapchat. Dans un premier temps, il revendiquait 850.000 abonnés (voir ci-dessous), avant de démentir. Un nombre qui a d’ailleurs été repris par un compte fake, puis par certains médias. Cette situation a provoqué un imbroglio autour de la véritable identité numérique de Jawad. Mais désormais, aucun doute n’est possible : c’est bien lui qui agit sous le pseudo « jawadbendaoud96 ».
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De nombreux messages de soutien
Ce total (sans doute très exagéré) est toutefois impossible à vérifier en raison de la politique de Snapchat. Seuls la firme californienne et Jawad peuvent avoir accès au nombre d’abonnés exact. Mais sur certaines captures d’écran du compte du principal intéressé, on remarque que ses stories sont régulièrement visionnées par plus d’une vingtaine de milliers d’utilisateurs.
Une popularité conséquente, qui se traduit par de nombreux messages de soutien à celui que l’on surnomme « le logeur de Daech », innocenté mi-février à l’issu d’un procès surréaliste. « Jawad, un régal ce type », écrit une internaute. « Force a toi mon reuf hésite pas à follow », déclare un autre. Des exemples qui sont légion.
Succès « pas si foudroyant »
Mais comment expliquer que quelqu’un, jugé pour « recel de malfaiteurs terroristes » en lien avec les attentats du 13 novembre et condamné en 2008 pour homicide involontaire de « son meilleur ami », puisse bénéficier d’un tel capital sympathie ?
Pour Elsa Guippe, directrice de l’agence de conseil Compass Label et spécialiste des réseaux sociaux, « il faut relativiser la popularité en ligne de Jawad Bendaoud. Certes, son nom est mentionné dans un grand nombre de contenus, mais il fait l’objet de nombreuses créations de comptes fake. Sur Facebook, il existe quelques pages parodiques, mais la plupart n’affichent que quelques dizaines, voire au mieux quelques centaines d’abonnés. Que ces comptes soient fake ou non, le succès n’est pas si foudroyant », explique-t-elle aux Inrocks.
Selfies, animaux, joints…
D’autant que les fameuses stories de Jawad sur Snapchat n’ont rien d’exceptionnelles. Il y partage son quotidien fait de selfies, de PS4, de Touche Pas à mon Poste, d’animaux de compagnie, de joints, beaucoup de joints, de chansons de Keny Arkana et de déclarations maladroites, plus ou moins compréhensibles.
Dans cette démarche, le choix de débuter sur ce support n’est pas anodin. « Snapchat, du fait de sa spécificité de plateforme de stories et de vidéo live, est un support très utilisé comme tribune par les snapchatteurs ou par les protagonistes de bad buzz qui veulent donner de la force et de l’audience à leurs messages. C’est également le réseau social le plus utilisé par le très jeune public. 71% des utilisateurs de Snapchat ont moins de 25 ans. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils le soutiennent. Exposer son quotidien sur Snapchat, c’est vouloir créer une forme de proximité avec les abonnés, afin de fédérer une communauté. On pourrait imaginer que c’est cela qui est recherché par Jawad Bendaoud », poursuit Elsa Guippe.
Responsabilité « sociétale »
Jawad Bendaoud laisse ses contenus en mode public, c’est-à-dire visibles par tous. L’affluence qui en découle s’explique principalement par le statut qu’il a acquis après ses interventions rocambolesques. « S’il existe un fort intérêt des internautes, il est alimenté par l’actualité médiatique récurrente, qui ré-injecte sur les réseaux sociaux un grand nombre de contenus », développe Elsa Guippe. À commencer par son tristement célèbre passage sur BFM TV, qui lui a permis d’atteindre un statut de mème, avec une viralité et une longévité très importantes sur les réseaux sociaux.
» Toutefois, la gravité de cette affaire n’est pas à prendre à la légère, le fait qu’il soit un mème n’est pas forcément révélateur d’une forme de sympathie. «
Surtout que plus le public est conséquent, plus les responsabilités seront importantes pour Jawad Bendaoud. « Toute personnalité fortement exposée sur les réseaux sociaux porte une grande responsabilité sociétale », rappelle Elsa Guippe.
Des victimes « choquées », des utilisateurs « curieux »
Mais son humour ne fait pas rire tout le monde. Pour Philippe Duperron, président de l’association de victimes du 13 novembre 13onze15 contacté par Les Inrocks, « les victimes sont incontestablement choquées de la médiatisation de Jawad Bendaoud. Nous avons déjà exprimé que le verdict rendu par le jugement ne nous convenait pas, quoiqu’il soit parfaitement justifié en droit ».
Face à l’ampleur de la polémique, Jawad Bendaoud, défendu notamment par Maître Xavier Nogueras, a expliqué sur Twitter le 2 mars se « retirer quelques jours des réseaux sociaux », par « respect pour toutes les personnes touchées par cette affaire ».
Des individus malveillants à mon égard ont piraté mon compte snapchat en me faisant revendiquer la Qualité de logeur de daesh. Par respect pour toutes les personnes touchees par cette affaire j'ai pris la décision de ne pas alimenter ce genre de polémique.
— Bendaoud jawad (@jawadbendaoud96) March 2, 2018
J'ai donc décidé de me retirer quelques jour des réseaux sociaux je follow mais je ne fais plus de vidéo et sur Snap tweeter à tous mes soutiens je vais répondre à un max de personnes en privée je ne m'expliquerai plus sur les publications fakes de moi apparu dans la presse….
— Bendaoud jawad (@jawadbendaoud96) March 2, 2018
Également interrogé par BFM TV (décidément !) mercredi 9 mars, Jawad donne l’impression de prendre conscience des conséquences que peuvent avoir ses déclarations sur certaines personnes. « Pour l’instant, je préfère rester au calme, je ne veux pas être à Saint-Denis. Je suis un peu responsable de ce qu’il s’est passé pour les habitants de Saint-Denis », explique-t-il notamment. Faute avouée, à moitié pardonnée ?
Document BFMTV. "Les juges ont fait preuve de courage", témoigne Jawad Bendaoud pic.twitter.com/G9vPZXSnCS
— BFMTV (@BFMTV) March 7, 2018
Quant au « succès » de Jawad Bendaoud sur les réseaux sociaux, Philippe Duperron développe : « je ne suis pas sûr qu’il soit ‘populaire’ auprès de la majorité de nos concitoyens. Mais une forme de curiosité pousse tout un chacun à consulter les médias ne serait-ce que pour voir jusqu’où on ‘peut aller trop loin’« , argumente-t-il, évoquant « un numéro bien rôdé » de la part de l’homme de 31 ans. « C’est incontestablement douloureux comme l’a été la décision du tribunal de le relaxer. Douloureux mais pas incompréhensible. Vouloir empêcher la médiatisation est irréaliste dans le monde dans lequel nous vivons avec les moyens de communication dont chacun dispose. »
Un déploiement réfléchi sur les réseaux sociaux
Cependant, Jawad Bendaoud n’apparaît pas parmi les comptes d’influenceurs reconnus dans la partie « Discover » de Snapchat. Le « logeur de Daech » n’a présenté aucun contenu sponsorisé dans ces stories, preuve qu’il ne monétise pas (encore) cette popularité naissante. « Je ne pense pas qu’il puisse devenir un véritable influenceur à terme », conclut Elsa Guippe. Pourtant, Jawad Bendaoud a créé un compte Twitter, ainsi qu’un profil Facebook, dans la foulée de l’inauguration de son compte Snapchat. Signe d’un déploiement stratégique – plus réfléchi qu’il n’y paraît – sur les différents réseaux sociaux.
Voilà mon compte twitter officiel
— Bendaoud jawad (@jawadbendaoud96) March 1, 2018
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