Un.e étudiant.e sur 25 se prostituerait, principalement sur Internet. Voilà deux ans déjà que la loi du 13 avril 2016 qui pénalise les clients est entrée en vigueur. Si près de 2000 personnes ont déjà été verbalisées, la mesure s’avère plus difficile à appliquer sur les plateformes numériques.
“J’avais plus de 18 ans et je voulais être autonome.” Ellenn*, 23 ans, est en master de droit à Lyon, et se prostitue depuis près d’un an. Comme plus de six personnes sur dix en situation de prostitution, l’étudiante vend ses services en ligne : “Je me suis lancée en postant une annonce sur VivaStreet.” Une manière pour elle de “choisir ses clients” qui espèrent échapper à la verbalisation prévue par la loi du 13 avril 2016.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
L’association l’Amicale du Nid, qui considère la prostitution comme une violence et une atteinte à la dignité des personnes, a mené une étude en 2014 sur le campus de Montpellier. Quelques 1800 personnes ont répondu à ce questionnaire. Il en ressort que près d’un étudiant sur six envisagerait le recours à la prostitution en cas de situation très précaire. Pour Ellenn, le passage à l’acte s’est révélé pénible : “Les préliminaires se sont globalement bien passés. Mais pendant le rapport, au bout de quelques minutes, j’ai commencé à paniquer et à me rendre compte de ce que je faisais.” Selon Sébastien Renaud de l’Amicale du Nid, l’association de trois facteurs récurrents amènent à la prostitution chez la population étudiante : “une histoire familiale, personnelle, une précarité économique ou sociale, et une rencontre avec un milieu et une personne particuliers”.
“Je dépose mon cash à la banque toutes les semaines”
Le travail du sexe n’est pas un métier qui s’improvise. Et les débuts peuvent s’avérer difficiles. “L’été dernier, un client a fait mine d’aller prendre sa douche après la passe, et s’est barré sans payer”, se souvient Ellenn. “Je me sentais hyper mal.” La relation n’est pas forcément équilibrée, impliquant parfois des rapports de domination avec une clientèle plus âgée.
L’étudiante fixe volontairement des tarifs élevés “pour avoir des hommes d’une certaine tenue et avec un bon pouvoir d’achat”. Car l’échange peut aussi permettre “un transfert de capital culturel et social”, comme le suggère la sociologue Éva Clouet, auteure du livre La Prostitution étudiante à l’heure des nouvelles technologies. Elle parle d’une “valorisation par l’argent” pour des jeunes qui entrent tout juste dans l’âge adulte.
Se prostituer nécessite aussi d’apprendre à gérer ses revenus, qui peuvent être très élevés : 200 euros pour une heure et demie et 500 euros pour une nuit complète pour Ellenn. “J’ai ouvert un coffre à la banque dans lequel je dépose mon cash toutes les semaines”, témoigne-t-elle.
L’étudiante lyonnaise a été caissière pendant un an dans une pharmacie de garde. Mais elle a dû démissionner “parce qu'[elle] ne supportait plus les horaires lourds et la pression”. Gagner des montants plus importants au travers de la prostitution peut sembler plus facile : “Quand j‘ai commencé, je voulais juste régler mes problèmes financiers”, confie la jeune femme. “Une fois ce cap passé, j’ai continué pour avoir un train de vie plus confortable et mettre de l’argent de côté.”
“Je fais tous les mois des tests de dépistage”
Mais la solitude qu’implique la double vie peut aussi être pesant. “Depuis six mois, je vois une psy qui m’apporte l’oreille attentive que j’aimerais trouver ailleurs.” Ellenn se confie à une spécialiste car elle sait qu’elle ne peut pas en parler à ses proches. “J’ai mis au courant ma meilleure amie, il y a quelques mois”, regrette-t-elle. “Depuis, notre amitié est complètement brisée.” Une forme de jugement patriarcal que dénonce Marla, ancienne étudiante de Sciences-Po Grenoble devenue travailleuse du sexe militante : “Le boulot en lui-même ne me pose pas de problème, mais la stigmatisation, oui.”
Les conséquences sur la santé sont également à prendre en considération. “Je fais tous les mois des tests de dépistages gratuits dans les hôpitaux”, relate l’étudiante en droit, qui a été victime de la pratique du “stealthing” : “Je suis tombée sur plusieurs mecs qui commençaient le rapport avec une capote et qui la retiraient dès que j’étais en position de ne pas pouvoir faire grand-chose, sans me demander si j’étais d’accord.”
Pour son avenir, Ellenn se voit avocate ou juriste en entreprise. “J’espère tomber un jour assez amoureuse pour avoir la force d’arrêter mon activité. Je pense qu’actuellement, ce serait un des seuls moyens. J’ai seulement peur de ne pas trouver la force de le faire.”
Le témoignage d’Ellenn constitue la trame principale du webdocumentaire “Jolie étudiante”. Ce récit multimédia s’enrichit des points de vue d’acteurs associatifs et de professionnels de la santé. Il donne également la parole à cinq autres personnes en situation de prostitution. Pour raconter la prostitution étudiante par ceux qui la vivent.
* Son prénom a été modifié
Lien vers le webdocumentaire “Jolie étudiante”.
Article rédigé par : les étudiants du master 2 de l’École de journalisme de Grenoble.
Benjamin Arnaud, Aurélie Berland, Flore Danvide-Visso, Adeline Divoux, Florian Espalieu, Thibaut Faussabry, Matilde Gazave, Arnaud Gruet, Juliette Hay, Nicolas Joly, Anja Maiwald, Séverine Mermilliod, Juliette Mitoyen et Suzon Tisseau.
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}