Le Japon, troisième puissance économique mondiale, se retrouve à la 72e place du classement de la liberté de la presse publié chaque année par l’association Reporters sans frontières, le résultat d’une longue chute amorcée il y a quelques années.
Le dernier rapport de Reporters sans frontières classant les pays du monde en fonction du respect de la liberté de la presse qui y est observé est sorti le mercredi 20 avril. Si la Finlande est toujours à la première place, depuis ces cinq dernières années, la France a perdu sept places en un an, se retrouvant désormais à la trente-huitième position du classement. Quant au Japon, troisième puissance économique mondiale, il pointe désormais soixante-douzième, rétrogradant de onze places. Il y a encore six ans, le pays se trouvait à la onzième place.
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Jake Adelstein, journaliste américain qui a travaillé de nombreuses années au Japon et auteur de Tokyo Vice, livre dans lequel il raconte son expérience dans la capitale japonaise, offre son analyse sur cette « chute vertigineuse » pour le Los Angeles Times. Selon lui, la liberté de la presse a commencé à être sérieusement atteinte lors de l’accident nucléaire de Fukushima en 2011. Le journaliste rapporte que les médias locaux n’ont pas tenté de découvrir ce qui se passait réellement dans les réacteurs de la centrale.
Une loi protégeant le secret d’Etat
La deuxième étape de cette descente, c’est l’adoption d’une loi sur le secret d’Etat par l’administration de Shinzo Abe, Premier ministre du parti libéral démocrate, à tendance conservatrice, revenu au pouvoir en 2012 après avoir démissionné en 2007. Promulguée en décembre 2013, elle est entrée en vigueur très rapidement. Il est ainsi possible pour l’Etat de poursuivre tout blogueur ou journaliste qui brise ce secret. La peine peut monter jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Pour les personnes qui ont accès à des informations considérées comme secrètes dans le cadre de leur emploi, la peine peut monter jusqu’à dix ans d’emprisonnement si elles les diffusent intentionnellement.
Pour ce cas précisément, difficile de ne pas voir l’envie du gouvernement de limiter le risque de voir apparaître des lanceurs d’alerte dans le genre d’Edward Snowden ou Chelsea Manning. Le premier avait révélé le fonctionnement de la NSA, les services secrets américains, à des médias dans le monde entier tandis que l’ancienne soldate avait fourni des documents sensibles à Wikileaks, notamment des vidéos montrant des bavures de l’armée américaine en Irak.
Selon Jake Adelstein, il suffit, au Japon, de poser une question sur un sujet qui est protégé par cette mesure pour tomber sous le coup de la loi. Reporters sans frontières explique que beaucoup de sujets peuvent entrer dans cette catégorie, plutôt vague. La défense nationale comme la vie de la famille impériale sont protégées par le secret d’état.
Des dangers importants pour la liberté des médias
David Kaye, rapporteur de l’ONU, a expliqué durant une conférence de presse tenue à Tokyo le 19 avril, qu’il considérait que nombreuses menaces planaient au dessus de l’indépendance des médias japonais. « L’indépendance de la presse fait face à de nombreux dangers. La faiblesse du système de protection juridique, l’exploitation persistante par le gouvernement de médias dont la solidarité professionnelle fait défaut. » Si la loi de protection des secrets n’a pour l’instant pas fait de victime parmi les diffuseurs, le rapporteur note qu’elle peut fonctionner une menace à destination des journalistes afin qu’ils se tiennent tranquilles.
Cependant, comme le révélait le Guardian en février, il se pourrait que trois animateurs star de la télévision japonaise, Ichiro Furutachi, Shigetada Kishii et Hiroko Kuniya, aient perdu leur emploi suite à des pressions. Leur faute : avoir posé des questions dérangeantes à des personnalités politiques ou émis des critiques à l’encontre du gouvernement et de ses actions.
Le comportement de dirigeants des grandes chaînes ainsi que les réflexions de certains hommes politique d’envergure nationale sont plutôt inquiétantes, lues dans ce contexte. Ainsi Jake Adelstein rapporte que Katsuto Momii, patron de NHK, le groupe de télévision public japonais, a expliqué que ses chaînes ne devraient pas dévier de la position du gouvernement dans sa façon de traiter l’info. Le vice-premier ministre, Taro Aso, avait lui déclaré en 2013 que le Japon devrait suivre l’exemple des nazis dans leur manière de modifier discrètement la constitution de la République de Weimar, née après la Première Guerre mondiale, dès l’accession d’Adolf Hitler au pouvoir en 1933.
Un tournant autoritaire
Le Japon accuse un virage conservateur depuis le retour de Shinzo Abe au poste de Premier ministre. Le Japan Times, quotidien nippon écrit en anglais, note que durant le 70e anniversaire de la capitulation japonaise en août 2015, le paysage médiatique national était littéralement coupé en deux, entre journaux penchant à gauche comme le Asashi Shimbun et titres plus conservateurs et clairement pro gouvernement comme le Yomiuri Shimbun. Le site note qu’un tel antagonisme a été rarement vu depuis la fin du conflit mondial en 1945.
The Diplomat, site japonais spécialisé dans l’actualité de la région Asie-Pacifique, estime que le bilan de Shinzo Abe et de son gouvernement montre un penchant net vers un certain autoritarisme, du jamais vu depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. En plus de l’attitude d’Abe et de ses proches à l’égard des médias, le site relève que de nombreux manuels scolaires ont été censurés ou modifiés afin, notamment, d’aller dans le sens des revendications territoriales du pays. Le parti libéral démocrate, dirigé par Abe, avait aussi proposé en 2012 une révision de la constitution, plaçant « l’ordre public » au dessus du respect des droits individuels de chaque citoyen.
Le sommet du G7, qui se tiendra au à Shima au Japon les 26 et 27 mai, sera peut-être l’occasion pour les leaders des sept plus grandes puissances mondiales, de discuter, tranquillement, à l’ombre des cerisiers en fleur, du respect de la liberté des médias.
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