A 85 ans, la célèbre naturaliste britannique voyage 300 jours par an afin de sensibiliser aux dangers encourus par la planète. Un combat mené depuis les années 1960 et ses premières découvertes relatives aux chimpanzés en Tanzanie. Rencontre avec une pionnière.
1960, Jane Goodall s’installe dans la région du lac Tanganyika, en Tanzanie, aujourd’hui devenu le parc national de Gombe. Passionnée depuis sa plus tendre enfance par la vie sauvage, cette jeune Britannique âgée alors de 26 ans est invitée par le paléontologue Louis Leaky. Uniquement armée de ses jumelles et d’un diplôme de secrétaire, elle débute la plus longue étude de terrain jamais réalisée sur le sujet. En découvrant que les chimpanzés utilisent des outils, la naturaliste révolutionne les liens entre espèces et permet de redéfinir la définition de l’humain.
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A la tête de sa propre fondation depuis 1991 et du programme Roots & Shoots visant à sensibiliser la jeunesse quant aux problématiques écologiques grâce à de multiples campagnes, Jane Goodall n’a eu de cesse de faire évoluer les mentalités. Aujourd’hui âgée de 85 ans et récompensée de multiples titres honorifiques, elle continue de sillonner le monde avec un seul et même but : agir pour la planète avant qu’il ne soit trop tard. De passage au Sziget Festival de Budapest, qui s’est déroulé du 7 au 13 août, elle délivrait sur scène un message de paix, accompagnée de sa fidèle peluche chimpanzé.
Actuellement, quel est le meilleur moyen de sensibiliser la population à la préservation de l’environnement ?
Jane Goodall – Nous devons utiliser tout ce que nous pouvons et c’est pour cela qu’un festival comme le Sziget, qui recense 530 000 personnes, est primordial. Et ce même si je n’ai que dix minutes sur scène, ce qui ne sera jamais assez pour dire tout ce qu’il faudrait. Si je n’avais qu’un seul message à exprimer, je dirais que chacun d’entre nous peut faire une différence, chaque jour. Mais nous devons nous réunir maintenant pour changer les choses, avant qu’il ne soit trop tard.
Lorsque vous voyez les nouveaux porte-paroles de l’écologie comme Greta Thunberg, vous êtes confiante dans la relève ?
Bien sûr. Je travaille avec la jeunesse depuis 1991, lorsque nous avons créé notre programme Roots & Shoots. Certains organisent des marches pour attirer l’attention, comme Greta, et c’est une très bonne chose. Mais de manière plus accessible, il est possible de se réunir, d’échanger à propos des choses qui nous passionnent et nous préoccupent et de voir ce qu’on peut concrètement faire pour changer les choses. Il faut se retrousser les manches et aller sur le terrain. Car nous ne pouvons pas pointer quelque chose du doigt sans agir, c’est hypocrite.
Les images du documentaire Jane, retraçant votre vie et issues des années 1960, ont été redécouvertes en 2014. Quel a été votre sentiment à ce moment-là ?
C’est le seul documentaire, parmi les nombreux réalisés, qui me ramène à mes vingt-cinq ans. Cela me rend vraiment nostalgique car je revois ces chimpanzés qui faisaient partie de ma famille et mon petit garçon grandir. J’avais presque oublié quel adorable bébé il était ! De manière plus pragmatique, le documentaire a beaucoup aidé pour lever des fonds, le problème récurrent pour ma fondation (Jane Goodall Institute, ndlr). Il est très difficile de collecter assez d’argent pour financer les recherches et les projets que nous menons ainsi que tous les programmes Roots & Shoots. Un film comme ça touche tellement de gens, j’espère que certains d’entre eux seront inspirés et viendront nous prêter main forte.
Aujourd’hui, quelle est la situation pour les chimpanzés ?
Ils sont en danger, car ils vivent dans des endroits eux-même en danger. Nous travaillons sur des programmes pour améliorer leurs conditions de vie et celles des locaux qui les entourent bien évidemment. Le programme dédié aux chimpanzés s’appelle Tacari, qui vient de « take care » (« prendre soin », ndlr), autour du parc national de Gombe. Petit à petit, les locaux nous ont fait confiance et nous avons pu introduire des choses comme le micro-crédit, le planning familial, l’école pour les filles… C’est aujourd’hui répandu dans plus de 104 villages. Dans ces endroits, je pense que les chimpanzés ont un futur. Les habitants ont compris que pour s’en sortir, c’était aussi important de sauver leur environnement, car s’il était préservé alors leur futur le serait aussi.
Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans la vie animale ?
Je suis fascinée par ce monde depuis que j’ai dix ans. Je rêvais d’aller en Afrique, de vivre avec les animaux et d’écrire des livres sur eux. J’ai eu la chance de tout réaliser. Les femmes n’étaient pas scientifiques à l’époque. Personne ne m’encourageait. Excepté ma mère, qui m’a dit : « Si tu veux vraiment faire ça, tu vas devoir travailler très dur, prendre l’avantage sur toutes les opportunités, mais n’abandonne pas. » Et j’aimerais qu’elle soit encore en vie pour voir le nombre de personnes qui m’ont dit : « Jane, je voulais vous remercier car vous m’avez appris que parce que vous l’avez fait je peux le faire. »
A quel point le fait d’être une femme a touché vos recherches ?
C’était très particulier pour moi à l’époque puisque le champ de recherche où je suis rentrée n’existait pas vraiment, il n’y avait pas de compétition. Je n’ai pas eu à briser les codes d’un milieu dirigé par les hommes. J’ai juste commencé par observer les animaux dans la nature. Excepté deux scientifiques, l’un qui étudiait les gorilles des montagnes et le second les babouins, personne ne s’y intéressait. Mais à ce moment, Louis Leaky (célèbre paléontologue et archéologue, ndlr) a senti que les femmes seraient plus patientes, et dans un certain sens il avait raison, car à l’époque qu’est-ce qu’on attendait d’une femme ? Qu’elle se marie, soit une bonne mère au foyer et fasse des enfants. A l’inverse, on attendait des hommes qu’ils finissent leurs études, alors qu’une femme avait tout le temps d’observer, et de se dire « Oh, un jour mon prince charmant viendra et nous serons heureux ». Aujourd’hui, je pense qu’il y a davantage de femmes qui étudient le comportement animal. Surtout, je n’ai jamais voulu être une scientifique, je voulais être naturaliste et écrire des livres. Et j’ai fait ces deux choses. La science est juste une partie. Mais je suis contente d’avoir acquis la partie scientifique, logique, car quand la science parle, tout est dit ! J’essaye aujourd’hui de construire un empire, car je veux que le travail pour lequel je me suis battue toute ma vie perdure quand je serai partie. Et j’ai 85 ans, donc qui sait combien de temps il me reste encore à vivre ?
De plus en plus de scientifiques dédient leurs carrières à la vie animale. Quelles sont les espèces qui restent aujourd’hui marginalisées et devraient être davantage considérées et protégées selon vous ?
Toutes les espèces méritent notre attention. Si nous ne leur prêtons pas attention maintenant, elles disparaîtront pour toujours. Nous sommes dans une urgence absolue. Au-delà de la question des espèces nous devons aussi repenser notre rapport à l’agriculture industrielle. Nous tuons tous les microbes et les vers qui vivent sous terre pour garder le sol fertile. Nous utilisons de plus en plus de produits chimiques, plus de pesticides, d’herbicides, qui tombent dans les rivières puis dans les mers. Nous gâchons la planète. Il est très facile de perdre espoir. Et les médias sont doués pour pointer du doigt toutes les catastrophes – ce qui est bien dans un sens, car le monde est sinistre – mais ils sont moins enclins à parler de tout ce qui est relatif aux magnifiques initiatives citoyennes.
Vous avez encore de l’espoir ?
Oui, mais nous devons nous dépêcher. J’espère que nous nous réunirons à temps pour faire changer les choses et réparer certaines des choses qui ont été faites. Et surtout pour ralentir le changement climatique. Mais nous devons agir maintenant.
Avec le recul, quelle est la chose dont vous êtes la plus fière ?
D’avoir découvert que les chimpanzés étaient si proches de nous, biologiquement, mais aussi au niveau comportement. Ça a permis de changer certaines attitudes chez les scientifiques qui maintenaient que les différences entre nous et tous les autres animaux étaient une différence de nature. Comme si l’être humain était une créature à part, totalement séparée. Et donc mon travail a permis de changer cette vision réductionelle. Désormais, on étudie l’intelligence des animaux, leurs émotions. Vous pouvez avoir un doctorat sur ce sujet ! Je ne pouvais pas à l’époque, ce n’était pas censé exister (rires).
Je suis aussi fière d’avoir lancé Roots & Shoots, qui est aujourd’hui dans plus de 60 pays. Ça a fait une énorme différence en Chine, par exemple, où les étudiants à l’université vont dans les écoles primaires pour sensibiliser au programme.
A l’inverse, est-ce que vous regrettez quelque chose ?
J’aimerais que ce programme soit dans tous les pays, y compris ceux qui sont sous un régime d’extrême droite. Seuls les citoyens peuvent changer ça, excepté dans les pays sous dictatures, où il est difficile – voire impossible – de sortir marcher et protester. En Chine, vous ne pourriez pas avoir une Greta Thunberg, elle serait en prison ou torturée. Certains pays doivent travailler de manière plus secrète, sous les radars. Et garder espoir pour quand le changement pourra arriver. C’est pour cela que je voyage 300 jours par an, pour essayer de toucher le plus de gens possible, et pas uniquement les jeunes. Les politiciens également.
Vous voyagez beaucoup…
Je déteste ça ! Qui aime passer autant d’heures à l’aéroport ou dans un hôtel, sans jamais s’arrêter ? Mais comment pourrais-je parler aux gens autrement ? Bien sûr, il y a Internet, mais ce n’est jamais la même chose que le face à face. Donc tout ce que je peux faire c’est prendre l’avion et voyager. Je sais que Greta (Thungerg) ne prend que le train ou le bateau, malheureusement je n’ai pas le temps pour ça…
Concrètement, quels sont les gestes du quotidien que nous pouvons faire pour protéger la planète ?
Tout d’abord, les personnes qui sont assez chanceuses pour vivre dans des pays développés doivent réaliser l’impact que ceux-ci ont sur la planète. Nous achetons plus que nous n’en avons besoin. Je suis fascinée lorsque des célébrités comme le Prince Harry essayent de changer les choses et que les médias viennent dire qu’il a porté son costume quinze fois comme si c’était un crime. Il aurait dû le porter cinquante fois ! Je porte mes vêtements depuis quinze ans ! Nous devons nous poser les bonnes questions. Est-ce que j’ai vraiment besoin de ça ? Est-ce que cela a un impact négatif sur l’environnement ? Est-ce que cela mène à de la cruauté animale ou de l’esclavagisme ?
Bien sûr, changer son mode de vie coûtera quelques euros de plus mais cela changera la donne. Et si vous achetez moins, vous gaspillerez moins ! Les gens qui vivent dans une pauvreté extrême ne peuvent pas avoir ces réflexions. Ils doivent survivre. C’est pour cela que vous trouvez des environnements totalement détruits dans certains pays. Non pas parce que les gens sont stupides, ils savent que s’ils coupent les arbres cela mènera à l’érosion, mais leur but est de rapporter à manger.
Il reste ensuite le souci du plastique. Pratiquement tout est enveloppé dans du plastique aujourd’hui. Heureusement, les supermarchés commencent à le bannir. C’est un énorme problème, notamment pour les espèces vivant dans les océans. On a découvert que même un ou deux morceaux de plastique ingurgités par des bébés mouettes vont endommager leurs fonctions vitales. Dès que nous mangeons quelque chose issue des océans, il y a de fortes chances qu’il y ait des bouts de plastiques dans leurs corps, que nous avalons donc aussi. Et quel est l’impact ? Personne ne s’y intéresse.
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