Jamel Debbouze est une des plus grandes stars françaises. En tournée, il fait se déplacer les foules. Sur l’estrade, un enfant de banlieue d’origine marocaine marié à une fille de Grenoble. Dans les gradins, une France diverse venue là pour se marrer et aussi partager quelques valeurs. Loin, très loin de la rengaine obsessionnelle et paranoïaque du gouvernement sur l’intégration.
Le Mans, ses 24 heures, ses rillettes, ses assurances, sa salle de spectacle ultramoderne taille Zénith et son one-man-show de Jamel Debbouze. Depuis le début de l’année, Tout sur Jamel, lancé en février au Casino de Paris, tourne en France, jusqu’en 2012. Hier c’était Orléans, demain ce sera Laval. C’est le grand retour du gars Debbouze sur scène.
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Certes, il y a eu auparavant les tournées du Jamel Comedy Club auxquelles participait le patron, mais on ne l’avait pas vu seul sur scène depuis 2004. Un septennat, comme on dit. Depuis, la France a changé. Mais pas le public de Jamel. Au lendemain des déclarations de Claude Guéant – « l’immigration incontrôlée » et « les Français veulent que la France reste la France » -, celle de Jamel, sa France à lui, est tout simplement belle à voir. Sur la musique hip-hop de Jay-Z, Snoop Dogg et 50 Cent, on croise des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, des Sarthois de chez Sarthois et des gens « issus de la diversité » comme on dit désormais poliment à la télévision.
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19 heures. Le bus de l’artiste vient d’arriver discrètement à l’arrière de la salle Antarès. A son bord, l’équipe de tournée – Jamel, sa femme Mélissa Theuriau et leur fils Léon (tout juste récupérés à la gare du Mans), des potes de Trappes qui assurent la sécu, Malik Bentalha, une jeune pousse du Comedy Club qui joue en première partie, et Mohamed Hamidi, fondateur du Bondy Blog et coauteur du spectacle. Jamel s’enferme dans sa loge.
Une tournée digne d’une rockstar
Alors qu’Antarès se remplit peu à peu, le reste de l’équipe – techniciens et régisseurs – finit de dîner en coulisses. Une vingtaine de personnes en tout. Tout sur Jamel, c’est une tournée digne d’une rockstar. Quinze ans après ses débuts, le petit gars de Trappes, à 35 ans, est une des plus grandes stars françaises, quelque part entre Johnny Hallyday et Yannick Noah.
L’ambiance de la tournée est pourtant restée bon enfant. Beaucoup de têtes que l’on croise au Mans étaient déjà présentes en 2004 sur le spectacle précédent. Mélissa Theuriau et le petit Léon traversent les couloirs alors que le jeune Malik Bentalha se chauffe dans son coin. Jamel répondra à nos questions plus tard, nous explique le régisseur de la tournée – il se concentre pour ce soir.
Malik Bentalha vient de sortir de scène, il est 21 heures. La salle l’applaudit à tout rompre, le jeune mec est sacrément prometteur. Après quelques minutes d’entracte, toujours sur du hip-hop, Antarès se prépare. A notre gauche, trois jeunes frères et soeurs habillés comme les Triplés du Figaro, un garçon de 11 ans et deux filles de 5 et 22 ans. Les parents sont un peu plus loin dans la salle, nous dit la grande soeur, plutôt très jolie. A notre droite, Malika et son fils. « Je suis de Casablanca, d’origine marocaine, comme Jamel », dit-elle fièrement. Le spectacle, c’est pour l’anniversaire de son fils.
Chez Jamel, l’ambiance est familiale. Les lumières s’éteignent, le grand rideau rouge s’écarte. Une table et un tabouret de bar sur la droite. Décor minimal. Une sorte d’hologramme triangulaire s’ouvre sur Old School, un morceau d’une des légendes du rap new-yorkais, LL Cool J. L’ombre de Jamel apparaît, statique. Puis il pique des sprints dans tous les sens, à gauche, à droite, accompagné par les poursuites, sous des tonnerres d’applaudissements. Deux écrans géants sont disposés à chaque extrémité de la scène. Les applaudissements vont en s’amenuisant alors que Debbouze se stabilise sur la droite. Un type hurle « Jamel », qui lui renvoie son traditionnel « Ta gueule ». La salle explose de rire.
« Le stand-up, c’est ce que je préfère. »
Après une ou deux vannes de prise de contact, dont la notable « on m’a dit que vous assuriez au Mans », le spectacle commence à Trappes, au collège Gustave-Courbet, où Jamel était scolarisé pour de vrai. On y croise Isabelle Truong, une jeune élève asiatique qu’il cherche à impressionner en cours de maths en allant dessiner une parabole au tableau : une parabole avec une prise Péritel, qui capte la BBC. Viré de cours, Jamel se retrouve au cours de théâtre du fameux « Papi », celui qui l’a découvert au début des années 90 et qui lui a appris son métier.
Après sept années d’absence, on retrouve ce personnage « curieux et dyslexique », comme le définira lui-même Jamel un peu plus tard, avant de préciser : « Cet adolescent, c’est le fond de moi-même. C’est ça que je veux préserver le plus longtemps. Un adolescent, ça découvre. Et le mieux, c’est quand les gens découvrent avec toi. Le stand-up, c’est ce que je préfère.
Quand j’ai fait l’Olympia avec mon premier spectacle, c’était comme avoir gagné la Coupe du monde. Le lendemain j’étais hagard, comme Zizou, je ne savais plus quel était mon but. Et avec le temps, en faisant d’autres trucs, je me suis rendu compte que j’avais envie de faire du stand-up le plus longtemps possible, de vivre vieux comme Guy Bedos, et de m’entretenir, de trouver sans cesse de nouvelles vannes, tout en évoluant vers un truc plus mature, dans mes textes et dans mon jeu.
Le stand-up, je maîtrise aujourd’hui. Je suis un bon Jedi, mais pas encore un maître. J’aimerais, dans trente ans, pouvoir faire comme Bill Cosby, mettre quinze minutes à traverser la scène et voir le public mort de rire. »
Une question s’est posée, pourtant, au début de l’écriture du spectacle ; une question qui a affolé le tout Paris du stand-up et de ses auteurs, du Paname au Point-Virgule : à 35 ans, marié et désormais père, Jamel pouvaitil continuer à incarner uniquement ce personnage de dézinguant juvénile qui a lancé sa carrière, de Radio Nova à Canal+ en passant par Astérix ?
Que faire des « astérisqume » et des « éménèmses » ? Mohamed Hamidi, venu remplacer Kader Aoun, l’ex-partenaire d’écriture de Jamel, a en partie été chargé du dossier. La réponse à toutes les interrogations précédentes est contenue dans le spectacle. En mettant en scène, quasiment au jour le jour, les dernières années de sa vie – comme le faisait son idole, le stand-upper américain Richard Pryor (aussi aperçu dans Superman III) -, Jamel évoque son évolution autant qu’il l’incarne, au plus près de l’os.
Ça commence avec l’ouverture du Comedy Club, qui reçoit un concert de Stevie Wonder, puis un autre des Black Eyed Peas, puis accueille (avant le désastre de Knysna) l’équipe de France de Ribéry et Anelka – son pote de Trappes, dont il dresse un portrait poilant, évoquant sa mère en « cyclope des Antilles ».
L’histoire d’un mariage mixte
Des moments de bravoure pourtant vite évacués : ce que raconte surtout Tout sur Jamel, c’est cette « aventure incroyable », selon les propres mots de l’artiste, vécue par la famille Debbouze (et la famille Theuriau). Celle d’un mariage mixte, et de l’arrivée d’un petit garçon qui se prénommera Léon. « Au début, tout le monde flippait. Ma famille, celle de Mélissa. Et puis au final, c’est Mélissa qui nous filait des vannes », sourit Jamel.
Les histoires sont impayables, on passe d’une famille à l’autre, personne n’est épargné, surtout les parents de Jamel, qui ont pris le relais de son frère, Karim, héros malgré lui de 100 % Debbouze en 2004 (ne pas manquer la prestation d’Air Chouman, surnom du père de Jamel en roi du foutage de honte).
Certes, la distribution est alléchante – d’un côté Jamel et de l’autre Mélissa Theuriau, présentatrice vedette sur M6 – mais le résultat est au final d’une rare honnêteté. Là où ses spectacles précédents mettaient en perspective l’ascension d’un petit gars de Trappes qui découvrait la téloche, le cinéma, et chantait en duo avec Snoop Dogg et Barry White tout en tirant l’oreille de Joeystarr, Tout sur Jamel met à l’inverse en scène le cheminement à hauteur d’homme d’une des plus grandes stars de l’Hexagone.
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