Enlarge your Paris, A travers Paris et Le voyage métropolitain ont inauguré ce week-end le Sentier panoramique du Grand Paris, reliant les neuf sommets du Grand Paris. Nous y étions.
Marcher pour s’approprier la ville. Un collectif d’associations (Enlarge your Paris, Le Voyage métropolitain et A travers Paris) a organisé ce week-end une randonnée de 48 heures tout autour de la capitale pour “donner de la chair au Grand Paris”. 600 randonneurs ont répondu à l’appel. Départ vendredi soir à Romainville, arrivée dimanche soir à Romainville, pour un parcours à travers les neuf sommets d’Ile-de-France, avec autant de relais. A terme, les assos rêvent de rendre ce sentier pérenne. Je rejoins la troupe aux aurore samedi matin à la Courneuve. Les rayons de soleil rose pâle du petit jour viennent caresser la cité des 4000, et l’enthousiasme des organisateurs en fait oublier en une seconde la réputation. Dans la nuit, les marcheurs qui m’ont précédée sont partis vendredi soir, à 20h, des hauteurs de Romainville, puis sont passés par la butte Bergeyre (Paris). On les reconnaît illico à leurs gilets jaunes qui dépassent du sac à dos et petits yeux fatigués. Une poignée continuera la route, le reste rejoindra son lit.
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Photo Vianney Delourme
“Nous sommes convaincus que marcher permet de faire vivre concrètement le Grand Paris, permet de l’imprimer dans notre imaginaire”, explique Vianney Delourme, d’Enlarge your Paris, thermos de café et croissant à la main. Nous sommes alors une petite vingtaine, le groupe ne vas pas cesser de grossir au fil de la journée. Les passionnés de randonnée se mêlent aux étudiants en urbanisme, groupes d’amis trentenaires et bande de copines retraitées. Le concept est simple : partager le plaisir de marcher ensemble, gratuitement, de (re)découvrir sa ville et ses alentours
“Nous c’est l’Arte Povera ! (mouvement artistique italien qui consiste à défier la société de consommation, NDLR) » poursuit Vianney Delourme, « pas besoin d’être riche, pas besoin de connaître certains codes ou d’être un marcheur de compétition pour faire partie du groupe”. La recette fonctionne à merveille. Le groupe s’élance dans une ambiance de colonie de vacances, et s’émerveille comme des gosses dès qu’il voit passer un petit lapin dans un fourrée du parc de la Courneuve, où commence notre périple.
“Mais pourquoi est-ce qu’on s’entasse tous comme des cons aux Buttes Chaumont”
Le parc de la Courneuve est plus grand que Central Park et abrite en son sein 44 espèces d’oiseaux différentes. Habillé d’une couche de brume rasante que les premiers rayons de soleil du jour viennent percer, c’est peu de dire qu’il en impose. Je n’y avais jamais mis les pieds ni même entendu parlé, comme grand nombre de Parisiens du cortège. “Mais pourquoi est-ce qu’on s’entasse tous comme des cons aux Buttes Chaumont”, glisse une marcheuse. A nos côtés, le troupeau de moutons de l’association Clinamen. L’association milite pour réintroduire l’agriculture dans la ville. Le troupeau a sa bergerie au sein de l’université Villetaneuse. “Nous voulons réinjecter dans nos vies un rythme naturel, un rythme pastoral”, explique le “berger urbain” qui les accompagne, chapeau de paille sur la tête.
Photo Vianney Delourme
Le but de la balade est aussi là : apprendre à ralentir. “C’est l’anti Grand Paris Express”, résume ainsi Jérémy Leugé, étudiant en M2 Politique de la ville à Sciences Po et responsable de l’association A Travers Paris. C’est lui notamment qui fureté en amont pour définir le tracé du sentier.
Au fur et à mesure de la marche, l’on devine aussi l’ampleur de la tâche de créer une identité du Grand Paris. Entre la Courneuve et la Butte d’Orgemont à Argenteuil, où je quitterai le cortège près de 9 heures de marche plus tard, le paysage et l’ambiance changent quasiment tous les quart d’heure. D’un champ de salade à une rue animée de centre ville en passant par une friche industrielle et une ferme pédagogique. C’est peut-être la marche qui me rend propice à un état d’esprit contemplatif, mais on dirait un voyage à travers tous les rêves de la France. Ici les cités jardins coquettes toutes en briques de Stains, conçues dans les années 20, quand on rêvait de logements dignes pour les ouvriers et voulaient les occuper avec du jardinage pour les dissuader de boire, explique notre guide. Le théâtre Paul Eluard construit à l’intérieur même d’un immeuble de logement social, indice d’une banlieue rouge qui croit dur comme fer à l’importance de la culture.
Photo Vianney Delourme
A quelques centaines de mètres, sans aucun signe annonciateur, le crépi grisâtre d’immeubles construits à la va-vite dans les années 50 à Villetaneuse et les balcons remplis à ras-bord de bric à brac. Avant de plonger dans un alignement de jardins ouvriers au sein desquels des familles de migrants ont trouvé refuge, et de ressortir la tête dans un dédale de rues identiques de petits pavillons. Tous les mêmes. On devine ça et là une tentative d’originalité avec une boite aux lettre peinte en rouge ou encore un dé ajouté en haut de son portail. Avoir sa petite maison, son bout de jardin, son barbeuc’, quelque chose à transmettre, encore un autre rêve.
C’est la ballade des contrastes. Coup de grâce avec l’ambiance sanatorium et tout doucement désuète d’Enghien-les-Bains, son lac artificiel créé début 1800. Son casino dont le bling-bling est tellement dépassé qu’il en est presque touchant. Comme quelqu’un qui en ferait trop pour vous impressionner. Même les cygnes qui glissent sur le lac turquoise ont l’air de faire semblant d’être si graciles.
Photo Vianney Delourme
“Toute l’Ile de France est un paysage extrêmement contrasté, fait de juxtaposition d’ensemble, de coupures et d’agglomérats”, explique Axelle Thierry du Voyage Métropolitain. C’est aussi cela que l’on devine en marchant, ça ne va pas être aisé de faire le lien entres tous ces petits bouts de villes, de rêves, de créer une identité grand-parisienne. Mais n’empêche que ce week-end, on a commencé à les tisser, on peu peu poussé les murs. De Paris, du périph, et surtout de notre imagination.
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