Comment raconter l’histoire d’un pays dont on ne connait que les images de chaos ? Web-série sur Arte déclinée en vingt épisodes de trois minutes mais également roman graphique, « Le parfum d’Irak » donne un nouveau visage à ce pays et fait ressentir son histoire tourmentée à travers le regard sensible, nourri de souvenirs d’enfance, de Feurat Alani, journaliste français d’origine irakienne. Rencontre.
En juin 2016, tu décides de raconter l’Irak à travers 1000 tweets. Comment est née cette idée ?
Feurat Alani – Il y a d’abord eu un ras le bol par rapport à tout ce que je pouvais lire sur l’Irak depuis des années, mais notamment depuis 2016 sur Twitter. Je ne voyais que des analyses froides et chiffrées d’un pays que ceux que j’appelle les experts de l’expertise ne connaissent pas. Je n’ai rien contre les spécialistes, mais je ne voyais que ça, surtout au moment où on parlait beaucoup de Daech, évidemment parce que la France avait été frappée en plein cœur.
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Je voyais que l’Irak ne passait qu’à travers les morts, les chiffres. Je travaille beaucoup pour la télé. En général, l’été, on a un peu moins de travail. Je me suis dit que j’allais, à mon humble niveau, essayer de contrer cette tendance, en choisissant Twitter par provocation, parce que ça a peu de profondeur et que ça va très vite. Je voulais un peu arrêter le temps, imposer une chronologie, faire du slow journalisme.
Comment organisais-tu les publications ?
Au début c’était dix par dix, parce que, bien évidemment, il y a la contrainte des 140 signes. Dix tweets représentaient à peu près une anecdote. Puis je suis passé à 20, 30 par jour. J’ai vu que ça prenait. De juin à août, je suis arrivé à plus de 1000 tweets. Ça a pris une ampleur que je n’imaginais pas. J’ai commencé à être invité à droite, à gauche dans les radios.
C’est à partir de ce moment là que t’est venue l’idée d’une série ?
J’ai longtemps travaillé avec Thomas Zribi qui travaille chez Nova Prod, qui est un ami et un très bon confrère. Il a été ému par ces tweets. C’est lui qui a eu l’idée d’en faire quelque chose. On s’est vu avec Léonard Cohen, qui a réalisé les dessins et la série. On s’est dit « puisque tu parles de mémoire, de choses oniriques », allons vers l’animation. Elle permet à la fois de représenter des choses très précises et de laisser un espace aux autres pour projeter leur imaginaire dans mon vécu.
Pour voir la série, c’est ici.
Tu évoques des souvenirs très précis dans « Le Parfum d’Irak ». Comment s’est faite cette recomposition de la mémoire ? Tu avais des carnets depuis l’enfance, ou bien tout est basé sur tes propres souvenirs ?
J’ai plein de défauts, mais j’ai une qualité : j’ai une mémoire olfactive et une bonne mémoire de manière générale. Le parfum d’Irak est basé sur ma mémoire. L’exercice était simple, la seule contrainte était la chronologie. La première fois que j’ai posé le pied en Irak, c’était en octobre 1989.
Il fallait démarrer là. J’ai donc fait l’inventaire dans ma tête. Pour moi, 1989, c’est la glace à l’abricot que je mange à Bagdad. Je ne préparais jamais mes tweets. Je les crachais presque, de manière spontanée. La chronologie était mon seul guide, je ne savais jamais vraiment où j’allais m’arrêter.
Tu associes la glace à l’abricot à la découverte de l’Irak. C’est ta madeleine de Proust.
Exactement. Ce projet c’est une quête vers l’enfance perdue. Dans le fond, on a tous notre madeleine de Proust, moi, c’est la glace à l’abricot. Pour d’autres, ça peut être la pluie sur le sol, des odeurs, des choses incongrues parfois. Je voulais que ça parle à tout le monde, je voulais vraiment rassembler autour d’un truc commun qui est la madeleine de Proust. Ce projet a été pour moi une sorte d’exutoire.
Raconter la grande histoire par l’intime c’est le seul moyen d’en donner une image juste ?
Oui, je crois qu’il n’y a pas d’autres moyens. On connaît tous plus ou moins l’Irak à travers les infos, à travers les images de guerre. Aujourd’hui, si tu tapes Irak dans Google, tu ne trouves que ça. J’espère que Le parfum d’Irak va un peu contrebalancer.
En 1989 c’est ton premier voyage en Irak, tu as 9 ans. Avant de poser pied à terre, comment imaginais-tu l’Irak ? Tes parents t’en avaient beaucoup parlé ?
C’était vraiment un fantasme pour deux raisons. D’abord parce que, même enfant, j’ai conscience que Saddam Hussein, pour parler du contexte de l’Irak à cette époque, plane au-dessus de nous. Mon père était un opposant politique. On parlait politique à la maison, et je savais que le régime de Saddam Hussein était « particulier ».
La deuxième chose c’est que, enfant, j’avais un énorme complexe vis-à-vis de la famille. En France, j’avais ma petite sœur et mes parents que j’aime beaucoup, mais à l’inverse de beaucoup de mes copains, je ne partais pas en week-end en Normandie ou en Ardèche chez mon tonton ou ma tata. J’étais assez envieux de ça. Pour moi l’Irak c’était d’abord la famille.
Tu savais que tu avais une grande famille là-bas ?
Oui. Un jour j’ai posé la question à mon père ‘pourquoi nous n’allons pas chez tonton ou tata ? Est-ce qu’on a une famille ou pas ?’ Ça l’a tellement touché qu’il m’a à peine répondu. Il a pris un bout de papier et il a commencé à écrire des dizaines et des dizaines de noms, pour finir presque à deux cents. Il me tend la feuille et me dit « ça c’est ta famille ».
J’ai gardé ce papier avec ces noms et ces prénoms d’hommes et de femmes que je ne connaissais pas. En 1989, juste après la trêve entre l’Iran et l’Irak, mon père a eu l’instinct, presque l’urgence, de nous envoyer au pays. Lui ne pouvait pas en tant qu’opposant. J’y suis allé avec ma mère et ma sœur pour connaître mon pays, ma culture d’origine.
Quand tu arrives en Irak, la première chose qui te frappe c’est la modernité de la ville : les autoroutes, les lampadaires, les voitures américaines. Des images qui ont été totalement oubliées, éclipsées.
Exactement. Elle ont tellement été éclipsées que moi-même à l’époque, français d’origine irakienne. Je pensais vraiment trouver un chameau et des dunes de sable en arrivant à l’aéroport. En réalité je découvre une ville illuminée avec des routes, des voitures japonaises et américaines. C’est une claque. Je découvre les villas immenses de ma famille, avec jardin, piscine alors que nous en France, nous vivons à Nanterre dans un petit appartement comme beaucoup de gens. Finalement, en arrivant là-bas, je me dis ‘ils sont presque mieux lotis que nous’.
Tu y retourneras plusieurs fois ensuite avec ta famille. Comment appréhendes-tu le retour en France ?
Ça m’angoissait un peu. La première fois qu’on est parti, c’était en pleine période scolaire. C’était une telle urgence que mon père nous a sortis de l’école avec l’autorisation de la directrice. D’octobre à décembre, je disparais. J’étais en CM1. Mon père a eu un instinct et il n’avait pas tort. Il se disait que ce moment de paix n’allait pas forcément durer.
Quand je suis rentré, l’ambiance était horrible. Mes camarades m’appelaient le revenant. J’étais presque devenu la risée de l’école. Tout le monde trouvait ça étrange, ce mec qui part et qui revient. Ça s’est ensuite un peu calmé, et c’est là qu’ont commencé les questions. On me demandait de raconter l’Irak. Pour moi, sans m’en rendre vraiment compte à l’époque, je devenais journaliste. J’avais des histoires super à raconter sur un pays que personne n’avait vu.
Tu parles aussi de ce sentiment d’imposture très fort que tu as ressenti…
Oui, c’est un sentiment de culpabilité qui semble tomber de nulle part mais qui en fait a une origine. J’ai découvert plus tard que ce syndrome existait. C’est quand on se sent coupable, dans mon cas, de ne pas être né à l’endroit où on aurait dû naître. Quand je découvre ma famille en Irak, je suis non seulement émerveillé mais je découvre aussi l’envers du décor : le versant beaucoup plus modeste de l’Irak avec la ville de Falloujah, la dictature…
Je découvre que la vie en Irak est compliquée. Ce sentiment de culpabilité ne va plus me quitter. A partir de là, j’ai le sentiment que tout ce qui m’arrive n’est pas mérité, que je ne devrais pas être là. C’est un sentiment que j’ai gardé fortement jusqu’à l’âge de 20 ans et que je garde encore aujourd’hui, mais je le vis mieux, même si parfois je prends du recul et je me sens coupable, privilégié par rapport à ma famille.
Dans »Le Parfum d’Irak », on découvre aussi les plats typiques de là-bas, notamment ses pâtisseries. Parler de la cuisine d’un pays c’est une bonne manière de le raconter ?
Oui, encore une fois j’avais cette nécessité de contrer l’information froide. Plutôt que de donner des chiffres, je préférais parler d’hommes et de femmes, plutôt que de d’attentats, parler du quotidien à table par exemple. Qu’est qu’on mange ? Qu’est-ce qu’on boit ? Pourquoi ? Parfois la nourriture et les boissons ont des ramifications sociales. C’est par exemple autour du thé que les histoires se racontent, que les conflits entre tribus se résolvent. Parler de la cuisine, c’est aussi une manière de faire en sorte qu’on soit dans mes baskets en Irak.
En 1992, tu retournes en Irak et ça n’est déjà plus le pays que tu as découvert trois ans plus tôt…
J’ai grandi dans un foyer où la religion était peu présente, mon père s’est toujours dit ouvertement athée, laïque. Evidemment, je savais que j’étais musulman, mais je pouvais en faire ce que je voulais. Je n’avais pas de notions religieuses. Quand je découvre l’Irak, je vois quelques mosquées, mais je vois surtout mes cousines sans voile, en jupe, aller travailler à la banque.
En 1992 quand j’y retourne, c’est tout à fait l’inverse. C’est un pays qui totalement renfermé sur lui-même à cause de l’embargo américain (de 1990 jen 2003 – nda), plus misérable, plus dur. Je commence à voir que la religion y joue un rôle. J’ai 12 ans à l’époque et je vois pour la première fois mes oncles faire la prière.
En 1994, mon père est là et il revoit Falloujah, vingt-deux ans après. Il découvre avec surprise qu’on appelle désormais la ville « la cité des mosquées » et que ses frères, qui étaient tous des militaires baasistes (membres du parti de Saddam Hussein – nda), font la prière. A cette époque, mon père profite d’un contexte particulier : Saddam Hussein autorise certains opposants, pas les plus extrémistes, à revenir au pays. Il reste tout de même une certaine appréhension.
Pour mon père, c’est surtout la joie de retrouver ses frères qu’il n’a pas vus depuis des années. Ce retour, c’est une découverte. Mon père est sociologue. La présence de la religion, il l’analyse d’abord de ce point de vue. Mais d’un point de vue personnel, il est, je pense, déçu de la situation et de la tournure prises par les événements. Les mentalités ont changé. Il voit ça d’un œil suspicieux.
Toujours en 1992, il y a cet épisode des « Reebok Pump » à la fois drôle et tragique, qui est très symptomatique de ce qui se passe en Irak…
Je crois d’ailleurs que c’est avec cet épisode que naît vraiment le sentiment de culpabilité. A cette époque, je vis une vie de petit Français lambda, qui a des aspirations matérialistes comme tous les enfants de son âge, notamment autour de cette paire de basket, les Reebok Pump, qui en 1992 font vraiment fureur.
J’avais bien bossé et ma mère m’avait promis de les acheter. Elles coûtaient très cher à l’époque et j’en avais conscience. On part en Irak, et j’ai cette naïveté de l’enfant de 12 ans que je suis et je porte ces Reebok Pump sans réfléchir. Sauf qu’en Irak, on n’a plus le droit d’importer ne serait-ce que du sucre, alors les marques, encore moins.
Quand je me promène dans la ville avec mon cousin et qu’il me présente aux voisins, je remarque que l’on s’intéresse un peu à moi, mais surtout à mon T-shirt Nike et à mes Reebook Pump. Au début, ça m’amuse, sauf que les gens commencent à m’entourer et quelqu’un, très sérieusement, me propose sa voiture en échange de mes chaussures. Ça me gêne vraiment. Il insiste. Et là, vraiment, je me sens coupable. Ces Rebook Pump que je chérissais, je les vois d’un autre œil. Je me dis que peut-être, si mon père a voulu nous envoyer en Irak, c’était aussi pour être confronté à cette réalité.
En 1996, l’ONU lance le programme « Pétrole contre nourriture ». C’est un événement qui va profondément te marquer.
Quand je découvre ce programme, je sais déjà ce qu’est l’embargo. Je l’ai vécu sur place avec mon regard d’enfant et d’ado. Pour moi l’embargo c’est : plus de chocolat, plus de bonbons, plus de médicaments, plus rien. On est privé de tout. A l’époque, le joli titre de ce programme « Pétrole contre nourriture » donne espoir, mais je découvre, notamment via la presse, que c’est tout un mécanisme de corruption qui arrange à la fois Saddam Hussein, qui contourne l’embargo, et l’ONU, qui à travers certaines personnalités comme Charles Pasqua et d’autres, bénéficie d’argent.
Le « pétrole contre nourriture » c’est très simple, c’est vendre le pétrole irakien en échange de nourriture à un certain prix. Sauf que le régime de Saddam Hussein, en complicité avec certains membres de l’ONU, trouve une magouille pour gagner de l’argent. Cela renforce le régime et appauvrit le peuple. Déjà, à cet âge-là, je suis révolté parce que je sais ce que c’est que de ne pas avoir accès aux besoins les plus élémentaires.
C’est là que naît ta vocation de journaliste ?
Non je ne pourrais pas dire ça, parce que je n’avais pas encore conscience que ça allait devenir une vocation. Ma vocation est vraiment née avec le 11 septembre 2001. On se souvient tous de ce qu’on faisait ce jour-là. Je sais que c’était un mardi et que j’étais en stage dans une société. Je reçois un coup de fil et on me dit cette phrase : « les Arabes bombardent l’Amérique ». J’allume la télé et je vois les tours en flamme comme des millions de gens.
Sauf que le lendemain, le mot « Irak » est prononcé partout et moi je sais très bien que l’Irak n’a rien à voir avec les islamistes et Al-Qaïda. J’ai peur, et je comprends que l’administration Bush va profiter de cette situation terrible. Je me dis alors que je ne peux plus seulement raconter des histoires à mes copains, il faut que je témoigne. C’est là, que je comprends que raconter des histoires c’est aussi être journaliste.
A ce moment-là, je sors d’un DEUG d’histoire et je décide de m’inscrire dans une école de journalisme. Je négocie avec le directeur de mon école, pour pouvoir commencer à être pigiste en Irak tout en étant étudiant. C’était assez exceptionnel à l’époque. Il m’a autorisé à le faire parce que j’avais réussi à rassurer tout le monde : j’étais d’origine irakienne, j’avais de la famille là-bas. J’y vais et je reviens avec mes premières piges en tant qu’étudiant. Ce premier papier avec ma signature c’est vraiment un trophée.
Tu n’avais pas peur ?
Si, c’était terrifiant mais j’avais envie d’être courageux et, pour cela, il faut forcément avoir peur. C’est un peu cliché, mais mon envie, ma rage, ma colère de voir un pays s’effondrer ont surpassé ma peur. J’avais un très fort sentiment d’impuissance et d’injustice. J’avais envie de rétablir quelque chose à mon niveau, en racontant ce qui se passe à travers mon regard. Je voyais mon pays, celui que j’avais découvert, s’éloigner de moi. Je voulais le rattraper.
Mes parents aussi avaient très peur, surtout ma mère qui est plus expressive que mon père. Ils étaient très inquiets et en même temps rassurés par le fait que je sois avec notre famille sur place. Ils ont senti qu’ils n’avaient pas le choix. Je pense que si j’avais hésité une seconde, ils auraient sauté sur l’occasion pour m’en empêcher. Mais je crois que j’étais vraiment très déterminé. Il y a d’ailleurs une anecdote là-dessus.
Les bombardements de l’Irak, j’y ai assisté avec mes parents devant la télé. J’étais tellement en colère que je me souviens avoir cassé la porte de la salle de bain. Je crois que quand mes parents ont assisté à ça : ils ont préféré que j’assouvisse ma colère par le journalisme plutôt que par autre chose.
Malgré la guerre, tu décris des lieux de vie où se retrouve la jeunesse, comme les quartiers Karrada ou Harthia, une jeunesse que tu as côtoyée. Comment vit-elle la situation à cette époque ?
Il y a eu différentes phases. Grâce à ma famille, j’ai tout de suite eu accès aux jeunes de mon âge. Au début, il y a eu de l’espoir, une sorte d’ouverture après la chute du régime en avril 2003. On se disait qu’il n’y a plus Saddam, qu’on allait s’ouvrir au monde avec internet. Mais très vite, les Irakiens ont déchanté avec la violence.
J’ai toujours voulu aller plus vers la vie que vers la mort. A l’époque, il y avait énormément de reporters, de journalistes du monde entier qui racontaient, et il fallait le faire aussi, des événements tragiques. Tout de suite, mon souci a été de faire le portrait de gens, de raconter la vie qui se passe à deux cents mètres de l’endroit où ça a explosé. Tout en racontant la détresse et le chaos de l’Irak, il fallait raconter autre chose.
C’est quoi avoir vingt ans en Irak pendant la guerre ? Est-ce qu’on va au cinéma ? Non, il n’y’a plus de cinéma. Est-ce qu’on va au restaurant ? Oui, mais ça dépend dans quel quartier. A l’époque, j’étais pigiste, donc je dormais dans ce qu’on appelait la zone rouge, alors que la plupart des journalistes des grands médias, et ça n’est pas un reproche que je leur fais, vivaient à l’hôtel dans des zones barricadées, qu’on appelait la zone verte. J’avais le sentiment d’être au plus près de la réalité. J’ai beaucoup profité de ma situation auprès de ma famille pour accompagner des gens à droite à gauche.
Dans le livre tu écris « Ils ont libéré mille dictateurs en voulant en abattre un ». Est-ce, selon toi, la même chose qui s’est passé en Syrie?
C’est un peu différent. La Syrie n’a pas tout à fait été envahie par une armée étrangère, même si on connaît l’implication des Russes, des Turcs, des occidentaux. Ça s’est passé presque de la même manière, dans le sens où la société a implosé. Les institutions ne sont plus là et il y a une minorité armée, soutenue par des pays étrangers, qui combat l’autre. La situation géopolitique est différente mais s’il y a une proximité avec la Syrie, c’est dans le tragique : des centaines de milliers de morts, des réfugiés, des déplacés internes…
L’ironie du sort, c’est qu’au début, quand les Irakiens ont commencé à fuir, l’Irak ils allaient en Jordanie mais aussi en Syrie, qui était le pays voisin, un pays paisible. Je suis moi-même allé en Syrie avant les événements, où je voyais des réfugiés irakiens par centaines de milliers. Ça a bien sûr changé quand la Syrie est devenue encore plus chaotique que l’Irak.
Tu retournes encore fréquemment en Irak ?
De moins en moins. J’ai l’impression d’avoir fait le tour. J’y suis resté cinq ans comme correspondant, puis après j’y allais à peu près deux fois par an pour des reportages télé ou des documentaires. Le projet Parfum d’Irak, c’est presque un legs de ce que j’ai fait ces quinze dernières années. Je ne dirai pas que c’est un adieu, plutôt un aboutissement. J’ai envie de voir d’autres horizons, mais je garde toujours un pied en Irak. J’y reste très attaché, j’y retournerai très certainement.
Tu écris « l’Irak dont j’ai rêvé, enfant, celui que mon père a tant aimé, l’Irak traversé pas le fleuve, l’Euphrate, dont je porte le nom, je l’ai perdu ». Tu penses pouvoir le retrouver un jour ?
Je ne crois pas. Je ne dis pas ça par défaitisme ou pessimisme. Quand je dis ça, c’est parce que je parle de quelque chose que nous avons tous en commun. On a tous une histoire qui découle d’une enfance, heureuse ou malheureuse. Et on a tous un idéal. Moi, c’est l’Irak que j’ai vu à l’époque dont la chute a été accélérée par des événements exceptionnels.
« Le Parfum d’Irak », c’est une manière aussi de faire deuil ?
Oui, je pense que c’est vraiment un deuil, un deuil difficile. J’ai la chance de pouvoir le faire à travers ce projet que je trouve beau, cette série et ce livre, et de tout ce qui se passe autour. C’est un hommage. Je ne peux pas juste faire comme si c’était acquis. Ma famille qui a souffert m’a offert cet Irak. C’est une dette envers eux, une manière de témoigner, de raconter quelque chose de beau, je l’espère, malgré la tristesse de l’événement.
Propos recueillis par Marilou Duponchel
Feurat Alani et Léonard Cohen, Le parfum d’Irak, Editions Nova, Arte Editions, 2018
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