Si pour certain.es le déconfinement sonne un retour à la vie sociale, d’autres, au contraire, constatent que leurs relations professionnelles ou personnelles ont été impactées en profondeur. Plus de deux semaines après, iels réalisent ne pas vouloir “revenir à leur vie d’avant”. Témoignages.
“Ma première sortie a été compliquée… J’ai revu des ami.es mais une fois arrivée à la maison, j’ai pleuré pendant deux heures sans m’arrêter”, confie Morgane. Pour cette trentenaire, à qui le confinement en solitaire a permis “de se recentrer sur [elle] et de laisser tomber les barrières”, le retour à la vie « normale » n’est pas chose facile. Surtout pour ce qui a trait aux interactions sociales. “Ça a été très difficile de me confronter de nouveau à la vie sociale ! Là ça va mieux, mais au départ j’ai trouvé ça épuisant… Comme si j’étais revenue à l’état sauvage”, explique la Strasbourgeoise.
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Ce sentiment, Morgane est loin d’être la seule à le ressentir. Selon une étude réalisée par l’organisme de recherche Human Adaptation Institute, publiée dans Le Parisien, le déconfinement est une source de stress pour 50 % des Français.es.
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Le déconfinement a eu lieu “trop tôt” assure Manon, agente adminstrative à Arles. Si ces deux mois de confinement lui ont permis d’avoir du temps pour elle et de se sentir “en sécurité”, la jeune femme n’est pas prête à reprendre sa “vie de stressée d’avant”. Depuis, cette dernière fait “des crises d’angoisse”. Pour le moment, retrouver des relations sociales génère en elle beaucoup d’appréhension : “Je suis déjà timide de base et là j’ai l’impression que ça va être pire.” Alors face au sentiment d’insécurité qu’elle ressent depuis le 11 mai, Manon évite autant que possible les lieux publics. “Je fais mes courses au drive et je n’ai pas encore revu mes ami.es… Je reste sur mes gardes”, explique-t-elle.
“Je ne pense pas participer à des soirées avant juin ou juillet”
“Une catégorie de la population a très bien vécu son confinement et toutes les personnes qui ont expérimenté cela positivement n’ont pas du tout envie de revenir à la vie d’avant, de reprendre le rythme classique, métro-boulot”, analyse Hélène Romano, psychologue et psychothérapeute. Selon elle, ces réactions sont le fruit d’une pression sociale de laquelle certain.es ont réussi à s’extraire pendant ces deux mois : “Le confinement a conduit les gens à être seuls face à eux-mêmes alors que souvent, ils ne se connaissent même pas, parce que la vie fait qu’on n’a pas le temps. Donc on se connaît à travers les autres, et c’est là qu’on ressent une forme de contrainte. C’est pour ça que certain.es ne veulent pas revenir à des modèles antérieurs ou être coincé par des codes imposés par les autres”, observe-t-elle.
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C’est notamment le cas d’Antoine, développeur web de 27 ans. Avant le confinement, il avait “l’habitude de sortir tous les week-ends et de fréquenter du monde”. Le jeune homme admet aussi son ancien besoin “de sociabiliser que ça soit avec des ami.es ou des personnes d’applications de rencontre.” Mais avec du recul, ce dernier réalise que le confinement lui a été bénéfique : “Ces deux mois d’isolement m’ont forcé à être seul, à n’avoir pour seule compagnie que moi-même et mes moyens de communication virtuels, et j’ai fini par apprécier cela. Maintenant, je suis en paix avec moi-même, et je sais que refuser une sortie se fera plus facilement.”
Alors, pour le moment, le Montrougien s’est autorisé trois sorties, mais raconte qu’il ne “pense pas participer à des soirées avant juin ou juillet, au moins pour voir comment évoluera le déconfinement”.
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“J’avais une boule au ventre avant de sortir…”
Si Marie, originaire de Nantes, ne se sent pas encore prête à ressortir comme elle en avait l’habitude, ce n’est pas tant par peur du virus : “J’avais une boule au ventre avant de sortir… Je me rends compte que voir les gens dans la rue ça me stresse parce que j’ai perdu l’habitude de voir des humains et de me comporter avec ceux qui ne sont pas ma famille proche. En réalité, il y a quand même des règles de société et j’ai l’impression que je les ai un peu oubliées. Ça va revenir vite j’espère…”
Idem pour les relations amoureuses. Avant le confinement, “je n’avais aucun souci à dater des mecs sur Tinder”, explique la jeune femme de 23 ans. “Là, ça ne va plus être possible. Déjà, ça me stresse parce qu’on ne peut plus se retrouver dans un bar – en terrain un peu neutre. Puis, avec ces trois mois sans date, sans drague, j’ai l’impression que je ne sais plus comment faire”, admet-elle.
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D’après Hélène Romano, ce phénomène s’explique car “une prudence” s’est installée chez certaines personnes. “Ça se joue en termes de perte. Pendant deux mois, vous avez été privé.e de vos relations avec vos ami.es. Alors vous y allez mollo parce que si vous êtes reconfiné.e, vous n’avez pas envie d’avoir surinvesti et de vous retrouver à nouveau sans rien… L’idée c’est : ‘J’ai vécu une situation difficile une première fois donc je n’ai pas envie de la revivre tout de suite et de me mettre en situation de la revivre. Et pourquoi je l’ai vécue ? Parce que j’avais des liens. Alors que si je n’ai pas ou peu de liens, il n’y aura pas de problème’”, commente la psychologue.
“Pour certains membres de ma famille, c’est un peu incohérent”
Mais si l’entourage de Morgane, Manon ou Antoine s’est montré compréhensif, pour Naoêle, la tâche s’est avérée plus compliquée. Cette professeure de lycée en Essone dit ne pas se sentir suffisamment en sécurité pour sortir actuellement. Un positionnement que tout le monde n’accueille pas de la même manière. “Mes ami.es comprennent mais pour certains membres de ma famille, c’est un peu incohérent”, raconte-t-elle. “J’ai parfois l’impression qu’ils ne prennent pas assez au sérieux la situation et j’ai limite le sentiment de prendre trop de précautions…”, poursuit-elle. Et de temporiser : “Je pense simplement que nous n’avons pas la même analyse de la situation.”
Marie s’est aussi heurtée à cette incompréhension. Peu après le déconfinement, elle pensait dîner chez son père et sa compagne, et s’est finalement retrouvée dans une “grosse réunion de famille” à son insu : “Quand mon père m’a invitée à dîner, j’ai dit que ça me stressait et que je faisais attention à ne pas voir trop de monde. Il m’a assuré qu’il n’avait vu personne d’autre que sa compagne avec qui il vit. Alors j’y suis allée et finalement il y avait ma tante, ma cousine… Et j’ai compris au fur et à mesure des conversations qu’il avait revu pas mal de gens et avait repris une vie normale” déplore la jeune femme.
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Pour Hélène Romano, la meilleure manière de vivre cette période réside dans le fait “d’arriver à se dégager du jugement de valeur des autres, même si notre société est très marquée par rapport à cela”.
La psychologue pointe notamment du doigt un processus de normalisation : “On essaie de normer les gens mais il n’y a pas de norme. Le coup du ‘il faut impérativement être super joyeux et faire la fête vu qu’on est déconfiné.es’, et bien pas forcément. Il y en a qui n’ont pas du tout envie et qui auront peut-être envie dans deux mois, ou peut-être pas. L’essentiel, c’est de ne pas se forcer à faire quelque chose qu’on n’a pas envie de faire, de ne pas se forcer non plus à rentrer dans les clous de la ‘norme’, sinon ce n’est pas supportable. Il faut faire faire ce qui vous fait du bien à vous, c’est ça le maître-mot”, conclut-elle.
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