“Vous êtes ingénieur ou un truc comme ça ?” A la gare Saint-Jean, le taxi (la cinquantaine mal rasée, accent mi-bordelais mi-borborygme) s’étonne de notre destination, l’usine Ford de Blanquefort. On lui dit que non, on a rencart avec Philippe Poutou pour apprendre à séquestrer un patron. “J’ai voté pour lui, hier. Les connards de […]
« Vous êtes ingénieur ou un truc comme ça ? » A la gare Saint-Jean, le taxi (la cinquantaine mal rasée, accent mi-bordelais mi-borborygme) s’étonne de notre destination, l’usine Ford de Blanquefort. On lui dit que non, on a rencart avec Philippe Poutou pour apprendre à séquestrer un patron.
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« J’ai voté pour lui, hier. Les connards de la gauche bobo, je les supporte pas. Je viendrais bien le voir avec vous, mais bon. » Mais bon, il est taxi.
Sur le parking de Ford, entre les allées et venues des camions dans la zone industrielle, Philippe Poutou débauche et pose son sac dans sa bagnole. De 6 heures à 14 heures, il exerce ses talents de technicien de maintenance, répare les machines utilisées par ses collègues pour fabriquer des boîtes de vitesse. Le reste du temps, il est syndicaliste CGT, à l’occasion candidat du NPA à la présidentielle et aux législatives. Même s’il se réjouit du vote du chauffeur de taxi, Philippe Poutou n’a réuni que 2,12 % des voix dans la 5e circonscription de Gironde. Surtout, sur la France entière, « on est loin des cinquante candidats dépassant les 1 % pour avoir les financements ». Mais au moins, c’est fini. Et Jeannot, retraité de Ford croisé dans le hall du bâtiment réservé au CE, appelle quand même Poutou « Monsieur le député », pour rigoler.
« Monsieur le député » nous sert un fond de café dans deux gobelets en plastique, réchauffé une minute au micro-ondes. Pendant la lutte menée de 2006 à 2010 pour échapper à la fermeture, beaucoup de réunions ont eu lieu ici. Dès les premiers soupçons de licenciements, les salariés ont manifesté, alerté les médias, les élus.
Puis ils sont passés à la démonstration de force, sous l’influence des élus CGT. Pendant sa campagne présidentielle, le candidat du NPA avait fait frissonner Pujadas avec sa sortie :
« D’habitude, on est chez le patron en groupe, on séquestre en groupe. »
En 2008, après les blocages, les salariés de Ford Blanquefort ont choisi ce mode d’action. « Le premier coup, c’était le plus difficile », concède Poutou. « Quand on ne sait pas faire, il faut apprendre. » Pendant qu’un patron de Ford rencontre les délégués du personnel, la salle est envahie, les portes bloquées. « Il y a toujours un côté gênant dans le fait que le délégué parle et raconte ensuite à ses copains ce qui s’est passé. Là, les ouvriers ont agi directement. »
La première séquestration » se passe très bien, dans la bonne humeur ». Ils remettent ça quelques mois plus tard. Cette fois, « les patrons arrivent à partir, on rate la sortie de la salle et on bloque les portillons du parking ». Un huissier constate, des journalistes filment, les dirigeants finissent par battre en retraite. « Les gardiens de l’usine ont découpé le grillage derrière, ils se sont barrés par là. Mais finalement c’était très bien, leur fuite a été filmée et ça permettait de sortir d’une situation qui ne pouvait pas durer trop longtemps. »
Le risque ? « Qu’on nous traite de violents, de terroristes », « que quelqu’un mette son poing dans la figure du patron », « que des insultes partent », et surtout « que les forces de l’ordre interviennent ». Malgré tout, Philippe Poutou ne s’inquiète pas trop. Il faut « faire confiance » aux salariés : « chacun comprend que quand on lutte, il ne faut pas faire n’importe quoi ».
Chez Ford, l’activité a repris. L’effectif a fondu, mais sans licenciements. Depuis la fin de la campagne présidentielle, Philippe Poutou retourne tous les jours au boulot, sans trop s’attarder auprès des télés venues l’attendre à 6 heures du matin pour le voir arriver à l’usine. Le candidat normal, c’était lui.
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