Nommé à la tête du club le plus populaire de France il y a un an, Jacques-Henri Eyraud veut tourner la page des turbulences et des pratiques occultes du passé. Ce fan des Clash entend résister à la pression populaire et médiatique pour amorcer une véritable révolution.
“Ton boulot, c’est le plus difficile de France après le mien !”. C’est ce que confia un jour Nicolas Sarkozy, alors président de la République, à Vincent Labrune, le patron de l’OM. L’histoire l’a prouvé, président de l’Olympique de Marseille est un métier dangereux. L’homme d’affaires franco-suisse Robert Louis-Dreyfus (1996-2002) y a laissé sa santé, Bernard Tapie (1986-1994) ses ambitions politiques et Jean Carrieu (1981-1986) sa vie. Après son éviction du club, ce chef d’entreprise âgé de 51 ans se suicida du haut d’une falaise entre Cassis et La Ciotat. Dans sa voiture, la police retrouva un carnet avec un mot expliquant son geste : “Ma vie était devenue un enfer.”
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Nommé président du club depuis le 9 septembre 2016 et son rachat par le milliardaire américain Frank McCourt, Jacques-Henri Eyraud l’a appris à ses dépens. A Marseille, la pression est permanente. Du 1er janvier au 31 décembre, du boulanger au notaire, toute la population voit la vie en ciel et blanc.
« Le coup de la tisane »
Quand nous le retrouvons à la fin du mois de septembre dans son bureau surplombant les terrains de la Commanderie, le centre d’entraînement de l’OM, Marseille n’a pas encore réalisé un match héroïque face au PSG (2-2) et une spectaculaire remontée au classement. Le club phocéen reste sur deux défaites cinglantes (dont une à Monaco sur un score de tennis). Et les unes de la presse sportive ne se privent pas de tourner en ridicule le nouveau “Champion’s project”.
Non loin de la Ligue des Champions remportée en 1993 face au Milan AC, une boîte de tisane traîne nonchalamment au coin d’une table. “On vient de me l’envoyer”, confie-t-il, laconique. Si “JHE” reçoit des boîtes d’infusion, c’est parce que les supporters n’ont pas digéré un trait d’humour glissé lors du marché des transferts. “J’avais vu un peu d’impatience sur les réseaux sociaux et j’avais eu l’idée de débuter une conférence de presse avec une image présentant une boîte d’infusion ‘nuit tranquille’. On me l’a beaucoup reproché mais franchement, je trouve que ce milieu manque d’humour.”
Ses conférences de presse ressemblent à des séminaires d’entreprise où les Powerpoint ont remplacé les envolées tonitruantes
Le nouveau patron de l’OM est une exception dans une longue galerie de présidents forts en gueule. Né à Paris en 1968 de parents enseignants, le tempérament de cet homme d’affaires à lunettes tranche sérieusement avec le caractère méridional de ses prédécesseurs. Ses conférences de presse ressemblent à des séminaires d’entreprise où les Powerpoint ont remplacé les envolées tonitruantes.
A l’exception du “coup de la tisane”, sa parole semble toujours précise et calculée. Est-ce alors un hasard de le voir porter un T-shirt des Clash (son groupe préféré) le jour de notre rencontre ou de l’entendre déclamer par cœur les paroles de Bad Boys de Marseille d’IAM lors d’une interview vidéo pour La Provence ?
https://www.youtube.com/watch?v=lBjLJwxBem0
En première ligne
Derrière son allure de techno, Jacques-Henri Eyraud est un communicant qui a déjà brûlé mille vies. Son service militaire a débuté lors de la première guerre du Golfe, à l’été 1990. A l’époque, la température frôle les 35 degrés dans la capitale. Le nouvel appelé attend fébrilement sa convocation dans l’appartement familial de la porte d’Asnières. “J’avais prévenu ma mère que si nous recevions un appel et que la personne au bout du fil disait : ‘Boule de neige’, il fallait absolument me réveiller. Cela signifiait que la guerre était déclarée.”
Le jeune Eyraud passe son treillis en quatrième vitesse et prend le volant de sa Peugeot 104 Z. “J’ai brûlé tous les feux rouges pour rejoindre les locaux de l’armée.” Au sein de la “grande muette”, Eyraud est affecté au Sirpa (Service d’informations et de relations publiques des armées). A 22 ans, il se retrouve en première ligne face à la presse lors de la première guerre en live sur CNN.
Au royaume sucré de Disney
Ce n’est qu’un début. Après des études à Sciences-Po, il doit rejoindre la DRH d’une usine de Mantes-la-Jolie. Pas la joie. En tournant les pages d’un journal, il tombe sur une pub vantant les mérites du “plus grand projet en Europe” : Eurodisney. Il candidate. En septembre 1991, six mois avant l’ouverture, il débarque en tant que porte-parole. Les débuts sont sportifs. Difficultés financières, résistances locales, des lézardes apparaissent dans le royaume sucré de Disney. “Il y avait une crise toutes les semaines. On a tout eu”, rigole aujourd’hui Eyraud. Durant l’été 1993, le Sunday Times évoque même la fermeture pure et simple du parc. “JHE” encaisse les coups et gravit les échelons. “A Marne-la-Vallée, le monde entier était réuni, c’était incroyable. Mais au bout de cinq, six ans, je me suis dit que si je restais, je serais directeur de la com toute ma vie. Et ce n’était pas ce que je voulais.”
Son collègue Steve Burke (qui deviendra patron de NBC) le convainc de faire un master à Harvard. Durant deux ans, il s’exile à Boston (la ville de naissance de Frank McCourt) et fait ses classes dans l’espoir de devenir entrepreneur. A son retour en France, il devient haut dirigeant du Club Med puis fonde le média Sporever. Ce site permet aux amoureux de foot de visionner les meilleures images d’un match cinq minutes après le direct.
“Le sport m’a construit et m’a permis d’avoir une vraie maîtrise de moi”
En 2009, il change de selle et devient pdg de Turf Editions, groupe de médias dédié aux paris hippiques et sportifs. Cette reconversion n’est pas un hasard. Avec gourmandise, “JHE” aime rappeler qu’il fut international de taekwondo (en équipe de France junior puis senior). “Le sport m’a construit et m’a permis d’avoir une vraie maîtrise de moi”, confesse-t-il avant de citer Mike Tyson : “Dans la vie, tout le monde a un plan, jusqu’à ce qu’il se prenne un coup de poing sur la gueule.”
Au début de l’année 2016, lorsqu’il apprend que l’OM est à vendre, il s’empresse de bâtir une offre personnelle de reprise. “J’ai fait un tour de table avec des investisseurs français, asiatiques et américains.” A la fin du mois de juin, il reçoit un appel du directeur général de la Ligue de football professionnel, Didier Quillot. “Je sors d’une réunion de plusieurs heures avec quelqu’un qui s’appelle Frank McCourt, vous devriez le rencontrer.”
“Marseille ressemble à Boston”
Deux jours plus tard, Eyraud fait connaissance avec l’ancien propriétaire des Dodgers de Los Angeles dans un salon parisien. Ils matchent. “Il m’a annoncé son intention de racheter l’OM et j’ai très vite eu la conviction que c’était la personne idéale pour ce club”, raconte Eyraud. McCourt, dont l’arrière-grand-père a quitté l’Irlande pour rejoindre Boston après la grande famine de 1845, ose une comparaison avec sa ville de naissance. “Comme New York, Paris est la ville des élites. Marseille ressemble à Boston, c’est une ville d’ouvriers où rien ne vous est donné. Tout se conquiert par le travail.”
Après son intronisation, Jacques-Henri Eyraud n’attend pas cent jours pour se mettre au travail. Il se rend au Bayern de Munich et au FC Barcelone, observe, retient les bonnes pratiques. “J’ai renouvelé 70 % du comité exécutif et j’ai changé en une semaine tous les décideurs dans le domaine du sportif.” Le nouveau président veut aller vite, il sait que les états de grâce ne durent jamais longtemps à Marseille.
Bombardé directeur sportif du club, Andoni Zubizarreta se souvient du coup de fil qu’il a reçu en décembre 2016. “Nous allons débuter avec le recrutement de Dimitri Payet”, lui assure JHE. “Tu veux dire cet été ? Lors du mercato d’hiver, ça va être très compliqué de réaliser un tel transfert”, s’interroge l’ancien portier de la Roja. “Il faut pourtant le faire”, décrète Eyraud. Pour 32 millions d’euros, l’OM réussit à rapatrier son fils prodigue exilé à West Ham. En parallèle, JHE descend du mont Olympe pour tisser des partenariats avec des clubs locaux. Un mot d’ordre : “Les futurs espoirs de la région doivent passer par l’OM.”
Une entreprise comme les autres ?
Dans les bureaux de la Commanderie, les cloisons sont abattues. Jacques-Henri Eyraud s’attaque aux vieilles baronnies. Des salariés sont congédiés. Une liste noire des agents de joueurs est dressée. Le chef de la sécurité est remplacé au pied levé par un ancien du GIGN. Fini, le temps des mafieux venant se faire masser par les kinés du club. “Avant, quand vous étiez un collaborateur à l’OM, il y avait un statut social rattaché à cela. Désormais, c’est fini. On doit travailler à l’OM parce que l’on est performant, pas pour d’autres raisons.”
Reste une question : l’OM peut-elle être une entreprise comme les autres ? Et ses supporters peuvent-ils se satisfaire d’un club n’ayant plus les moyens de lutter face à son frère ennemi du PSG ? Lors d’un petit déjeuner avec un certain René Malleville en novembre 2016, Jacques-Henri Eyraud a eu quelques éléments de réponse. “Eyraud est un mec intelligent mais il est déconnecté des réalités de l’OM, il n’aura jamais notre tempérament. Il dit qu’il va injecter 200 millions d’euros mais ça ne suffit pas”, fulmine ce supporter historique dont les gueulantes font trembler le Vieux-Port.
“Mais vous êtes nostalgique de quoi ? Des combines ? des arrangements ? Des agents tout-puissants ?”
Dans son aggiornamento, Eyraud se voit souvent opposer une phrase : “Mais ça c’est Marseille !” “Mais vous êtes nostalgique de quoi ?, rétorque-t-il. Des combines ? des arrangements ? Des agents tout-puissants ? On doit faire le maximum pour que l’OM fonctionne comme une entreprise normale tout en reconnaissant la passion qui fait la beauté de ce club. Mais il y a des outrances que l’on ne peut plus tolérer.”
Après le récent “high kick” de Patrice Evra (le défenseur marseillais a mis un coup de pied à l’un des supporters qui l’insultaient lors du déplacement de l’équipe à Guimaraes en Ligue Europa), le président de l’OM l’a mis à pied tout en cherchant à connaître les noms des supporters impliqués. Alors que les Ultras réclamaient le scalp du joueur, Eyraud a d’abord fait prévaloir le droit du travail. Preuve qu’une révolution est en cours…
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