Rencontre avec le psychanalyste Jacques André, pour Psychanalyse, vie quotidienne, recueil de témoignages et d’instantanés sur le vif de cette expérience étrange de la cure analytique. L’occasion aussi d’évoquer avec ce dissident de Lacan la situation actuelle de cette discipline qui permet de “sortir de la prison que l’on s’est soi-même construite”.
La pratique de la psychanalyse reste par définition une expérience cachée, dissimulée, réservée à un espace clos, sans témoin. Grande figure de la psychanalyse française actuelle, Jacques André révèle dans son livre Psychanalyse vie quotidienne, quelques moments brefs, saisissants, de cette expérience étrange où l’inconscient psychique sort du bois. A la fois témoignage sur le vif du petit théâtre psychanalytique et réflexion en creux plus générale sur les vertus de l’analyse, le livre, parfois très drôle, restitue autant les particularismes individuels qu’il éclaire de manière fragmentée et foisonnante les affres de notre époque inquiète. Rencontre en face à face avec Jacques André, dans l’antre de son œuvre : son cabinet, dont le divan a l’air très confortable.
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Le titre de votre livre, Psychanalyse, vie quotidienne, fait songer au célèbre ouvrage de Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne. Comment en saisir le sens ? De quelle vie quotidienne s’agit-il ici ?
Jacques André – La psychanalyse aime bien la polysémie d’un même énoncé, d’une même phrase. Ce qui m’intéresse ici, c’est la vie de tous les jours du psychanalyste : une quotidienneté. Psychanalyse et vie quotidienne, c’est presque un oxymore, tant la psychanalyse est un artifice complet. Dans la vie quotidienne, rien ne ressemble à la psychanalyse. Il y a un dispositif particulier qui cherche quelque chose qui n’est guère sollicité dans la vie de tous les jours de façon consciente. Ces deux choses m’ont animé dans l’écriture du livre : la vie quotidienne du psychanalyste mais aussi le paradoxe d’une psychanalyse qui s’oppose à la vie quotidienne.
Diriez-vous que votre quotidien est totalement absorbé par l’horizon de la psychanalyse ?
Non, ce sont deux choses différentes, ce sont deux positions hétérogènes. La position du psy qui écoute est vraiment particulière. Je ne suis avec personne dans la vie comme je suis avec mes patients ; heureusement pour mes proches, et pour mes patients.
Mais que recherchez-vous, au fond, à révéler dans ces récits de séances ? Restituer l’étrangeté de votre pratique ?
Il existe un paradoxe entre d’une part, le quotidien, assimilé à la répétition, à la similitude, à quelque chose qui ne surprend pas, et d’autre part, l’espace où il se passe quelque chose d’inattendu, de surprenant. Cet inattendu n’intervient pas tous les jours ou toutes les heures, certes ; mais l’imprévu fait partie du quotidien de la psychanalyse. L’incident fait même partie de la méthode ; on cherche l’incident de pensée, l’incident de parole, l’imprévu d’une association. On ne demande pas au patient de dire ce qu’il ne veut pas dire, contrairement à une certaine image qui confond la psychanalyse et le confessionnal. Ce n’est pas ça du tout. Lorsqu’un patient dit : « Je ne sais pas ce que je vais vous dire », l’analyse alors peut commencer. Personne n’est à l’abri de laisser passer quelque chose et de ne pas l’entendre. Mais c’est assez précieux de constater que des formules très ordinaires – « ça n’a pas de rapport, je n’ai rien dans la tête aujourd’hui »– que tout un chacun peut prononcer, prennent sur le divan une signification particulière : elles sont lestées d’un sens inattendu.
Pourquoi avez-vous choisi la forme de récits courts, fragmentés, comme des nouvelles ?
J’ai le préjugé de penser qu’on peut mieux faire saisir quelque chose de l’originalité de cette situation à partir de moments extrêmement brefs, d’instants où quelque chose se passe, des fulgurances. Raconter une séance serait ennuyeux, voire impossible ; on perdrait le lecteur. Comment arriver à communiquer cette expérience au lecteur qui n’est pas nécessairement de la partie – ce livre n’est pas écrit pour les psys mais est destiné à un public plus large. Comment restituer l’étrangeté de la situation analytique, de cette communication qui n’existe pas dans la vie du dehors ? Je crois qu’on peut le faire à partir de petits incidents ; l’humour aide parfois à se saisir de quelque chose, même si l’incident n’est pas toujours drôle.
C’est vrai qu’on rit souvent, comme par exemple dans le récit de votre patiente qui ne prononce pas le « s » de pénis !
Cette patiente a toujours prononcé “péni” et non pénis ; elle ne sait pas pourquoi ; c’est le hasard qui lui permet de se saisir de cette étrangeté ; pour elle la différence entre “péni” et pénis recoupe la différence entre le pluriel et le singulier. Et au pluriel c’est pire !
Comment avez-vous opéré ce montage entre vos séances ? Ces moments vous frappent-ils d’emblée, ou vous reviennent-ils après-coup ?
En général, ce sont des moments d’étonnement ; ils me frappent sur le moment même. Cet étonnement correspond à un événement : quelque chose se passe. C’est parfois un micro-événement : ce n’est pas toujours la découverte de Rosebud ou du souvenir d’enfance traumatique ; parfois c’est un souvenir qui a été répété plusieurs fois et se transforme, sa signification n’est plus la même.
Vous prenez des notes durant les séances ?
Non, je ne note pas ; il y a quelque chose de contradictoire entre le temps de noter et le temps de l’écoute mobile, flottante.
C’est important, l’attention flottante ?
C’est essentiel ; en psychanalyse, la question de la méthode est primordiale. La psychanalyse, c’est la mise en œuvre d’une méthode. On écoute tout avec la même disponibilité, non pas la même concentration ; il faut la même ouverture à la parole : que l’on ait rêvé du meurtre de sa mère ou d’une scène chez le boulanger. Ces scènes extrêmes par leur importance manifeste font l’objet d’une même attention. Le diable est dans les détails ; la plupart du temps, c’est dans les petites choses que quelque chose d’important se révèle.
Comment, dans leur foisonnement, vous souvenez-vous de ces incidents ?
Il n’y pas de mémoire particulière. Exemple : je me souviens d’un patient dont la voiture est rouge, tout en oubliant que sa mère soit morte. Il y a comme cela une étrangeté de la mémoire. Le patient peut s’étonner que l’analyste de souvienne d’un trait précis, alors que cela se présente comme un détail de l’histoire ; mais il ne sait pas qu’on aura oublié des pans que lui jugerait beaucoup plus importants. La mémoire se fixe au fond sur des lieux où quelque chose de l’inconscient trouve le chemin vers la surface.
En quoi est-ce important de sortir la psychanalyse de sa langue, voire de sa gangue ? Etes-vous dans une démarche quasi prosélyte : défendre sa cause ?
Prosélyte, non, mais défendre la psychanalyse, oui. Surtout qu’on est dans une multiplicité d’offres psychothérapiques. Qu’est-ce qui spécifie la psychanalyse par rapport aux techniques de développement personnel qui fleurissent ici et là ? J’essaye de faire entendre l’originalité de la psychanalyse. Je reçois beaucoup de patients qui n’ont aucune idée de la psychanalyse. Il faut bien qu’ils en aient entendu parler d’une manière ou d’une autre. La psychanalyse a besoin de communiquer un peu. C’est un espace clos. Il ne peut pas y avoir de témoin. Tout film de cinéma qui met en scène une séance de psychanalyse a toujours un côté à la fois faux et ridicule. Il n’y a pas de témoin possible sauf à s’y livrer soi-même. Comment restituer cela à l’extérieur ? Il y a une exigence à le faire. C’est aussi une façon de se dégager des pensums qui sont écrits ici et là et qui tombent des mains au bout de trois pages. La psychanalyse a beaucoup souffert d’une communication maladroite, illisible. Je pense à tous ces ouvrages qui ne sont lus par personne, d’une technicité excessive.
Dans le champ éditorial, deux pôles semblent s’opposer : d’un côté, les psys parlent aux psys, à travers leurs ouvrages et revues assez techniques, et de l’autre, les psys médiatiques, populaires ? Où vous situez-vous entre ces deux horizons ?
A côté des pensums, je me méfie de toutes les formes variables de psychothérapies en vogue qui, comme le développement personnel, valorisent le positif. On positive, on apprend à s’aimer, à se respecter, à lâcher prise…, tout un patois s’est ainsi constitué. Le négatif, on ne veut pas en entendre parler. L’angoisse, la haine, c’est pas leur truc. Or, la psychanalyse reste la seule expérience de psychothérapie qui fasse sa place au négatif, à la destructivité, à la haine, à la détresse, au désespoir.
Mais n’est-ce pas une raison de son rejet actuel ?
Oui, il y a une sorte d’hédonisme ambiant ; on préfère fermer les yeux. Ce sont des cataplasmes qui servent à des gens dans des circonstances ponctuelles. Beaucoup souhaitent s’aveugler. De l’inconscient, par définition, on ne veut rien savoir.
Quelle place occupe selon vous la psychanalyse dans le champ des sciences humaines aujourd’hui ?
C’est compliqué d’avoir une vision objective de son statut et de sa pertinence. La psychanalyse a toujours proposé quelque chose de difficile ; trois séances par semaine, c’est du temps et de l’argent, c’est une aventure complexe ; on peut comprendre que beaucoup d’individus cherchent des petits pansements locaux pour quelque chose qu’ils estiment être un malheur de l’instant, et dont ils espèrent sortir rapidement. Dans un monde pratique où l’hédonisme est la philosophie la mieux partagée, la psychanalyse peut inquiéter. Elle n’a évidemment plus la position centrale qu’elle avait dans les années 80 à la suite de Lacan. En même temps, je n’ai pas d’inquiétude quant à son avenir. Les psychiatres, qui avaient déserté depuis vingt ans la psychanalyse, y reviennent aujourd’hui pour nombre d’entre eux. La médication, les neuroleptiques peuvent sembler plus pratiques et efficaces que la parole. Mais les psychiatres lucides reconnaissent qu’il reste un petit problème : c’est que les patients parlent. Et là, tout se complique.
Mais la volonté des psys est bien de sortir les patients de leur détresse ?
Oui, le négatif n’est pas le but. Mais par sa méthode et sa position, le psychanalyste n’est pas quelqu’un qui désire pour son patient tel ou tel bien. Il ne prétend pas connaître ce qui est bien pour lui. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne désire pas pour son patient le changement, un peu plus de liberté par rapport au monde intérieur. Mais ce ne sont pas des finalités qui se définissent par des objectifs précis.
Votre pratique a-t-elle évolué depuis vingt ans ? Et le profil de vos patients eux-mêmes a-t-il changé ?
Au fil des années, j’ai acquis une certaine expérience, qui a quelques mérites. Par exemple, pouvoir en parler. Le temps de parler et d’écrire est un temps relativement long avant de pouvoir en disposer. Du côté des patients, aussi, des choses se déplacent. On ne passe pas dans des mondes radicalement nouveaux, mais il y a un nouveau champ des pathologies du côté des addictions qui s’est développé ces dernières années. La sexualité à l’heure de Tinder est devenue en partie un lieu de l’addiction, au lieu d’être du côté de la liberté. Cela modifie les rapports sexuels : beaucoup de mes jeunes patients donnent le sentiment que le plus redoutable pour eux, ce n’est pas la sexualité mais l’amour ; il est plus risqué d’être tendre ; le câlin est plus dangereux que la baise. Comme le film Shame le traduit : quand le héros a un début de rencontre amoureuse, il lui arrive ce qui ne lui est jamais arrivé de sa vie : le fiasco. Il n’y a pas de fiasco dans l’addiction sexuelle. Quand il y a fiasco, c’est qu’il y a de l’angoisse et de l’amour.
En quoi l’esprit du temps contamine la vie psychique des patients ? Comment articulez-vous le rapport entre le collectif et l’individuel ?
C’est compliqué. J’ai ressenti le 7 janvier, après la tuerie à Charlie Hebdo, le besoin de parler du collectif. A ce moment-là, quelque chose de la vie collective, des valeurs collectives, s’est joué. En psychanalyse, on n’entend généralement pas beaucoup parler de la question de la liberté, de l’égalité et de la fraternité : ce n’est pas le lieu. Ce ne sont pas des catégories communes ; l’inconscient n’est pas vraiment concerné par cela. Mais le jour où cela est mis en jeu, on s’aperçoit à quel point c’est chevillé au corps des sociétés dans lesquelles nous vivons. On s’aperçoit à quel point une fragilité personnelle peut être introduite par un moment d’ébranlement collectif. C’est la seule fois dans mon expérience où j’ai le sentiment que le collectif a primé sur la singularité.
Que peut la psychanalyse face aux périls du monde ?
Je pense qu’elle a, à son échelle, quelques ressources. La psychanalyse a d’ailleurs toujours été interdite, impraticable dans tous les régimes religieux ou de type fasciste ; dès qu’il y a une police politique, une police de la pensée, une police de la représentation, il n’y a pas de psychanalyse possible. C’est un paradoxe : la psy met l’accent sur le déterminisme, l’histoire, sur le poids de l’enfance, mais c’est une pratique de la liberté extrême. On parle ici comme on ne le fait jamais ailleurs, y compris à son insu. La psychanalyse touche au fond aux valeurs collectives, car elle inclut l’inconscient, c’est-à-dire le plus méconnu de chacun de nous-mêmes, dans la responsabilité de chacun ; elle élargit énormément la question de la responsabilité. Elle contribue donc à une réflexion sur les valeurs collectives.
Comment percevez-vous le climat d’inquiétude actuel ?
Je ne suis pas trop dans le « c’était mieux avant ». Je me méfie de ce discours. On ne peut pas sous-estimer bien sûr l’extrême violence à laquelle nous sommes soumis ; elle est multiple. La question des réfugiés et des migrants, liée à celle du terrorisme islamiste, agite le monde, avec un terrible sentiment d’impuissance. On ne peut pas dire que le monde soit tranquille. On le perçoit dans les inquiétudes et les angoisses ; dans la manière dont les angoisses collectives envahissent les angoisses individuelles. Mais en même temps, je suis saisi, devant les jeunes patients que je reçois, de voir une vraie consistance ; ils n’ont pas cette espèce de futilité qu’on prête au monde d’aujourd’hui. Ils ne sont pas moins intéressants que leurs aînés. Il existe un discours psychanalytique un peu convenu sur la disparition du symbolique que je ne partage pas.
Ne trouvez-vous pas que la psychanalyse soit de plus en plus normative et conservatrice sur des questions comme la famille, la filiation… ?
Ce n’est pas la psychanalyse, ce sont des psychanalystes qui parlent d’un point de vue à mon avis illégitime. Tirer des conclusions définitives sur le destin d’un enfant de couple homosexuel, cela n’a pas de sens. Il y aura des destins aussi variables que les éducations et les rencontres avec les adultes. Les parents homosexuels que j’ai sur mon divan ne m’inspirent pas moins confiance que d’autres hétérosexuels. Des psychanalystes deviennent des idéologues de la famille ; tout cela me parait être une dérive d’un discours idéologique à partir de la psychanalyse, nourrie par elle. Mais par définition la psychanalyse ne connaît pas le bien du monde dans lequel nous vivons ; c’est une question de méthode, de technique, pas de morale.
La théorie psychanalytique produit-elle des nouvelles idées ou est-elle dans un ressassement de sa propre histoire ?
Cela fait plus de cent ans que la psychanalyse existe ; beaucoup de théories ont été produites. Ce n’est pas terminé ; cela fait partie du travail du psy de penser sa pratique. Le mouvement de théorisation n’a pas de raison de s’arrêter ; il produit des formes nouvelles. Mais je crois que les grandes théories sont écrites, sont produites. On dispose du corpus pour l’essentiel. L’œuvre freudienne reste la première. L’œuvre de Freud est une œuvre ouverte. Il y a toujours des pistes étonnantes à découvrir, c’est pour cela qu’on ne ressasse pas.
Vous évoquez dans le livre tout ce que vous devez à deux grandes figures de la psychanalyse française, Laplanche, Pontalis. Que partagez-vous avec eux ?
On vient tous les trois de la philosophie, même si aucun des trois n’est resté philosophe à proprement parler. Il y a une école de la pensée, un exercice de la pensée qui est commun et qui ouvre sur l’expérience humaine, au-delà du cadre clos de la psychanalyse. Il s’agit de rattacher la psychanalyse à quelque chose de l’humain. Cette dimension philosophique est déjà très présente chez Freud. Et puis, Laplanche et Pontalis ont en commun d’avoir été des fils de Lacan et d’avoir rompu sur l’allégeance : Lacan a cherché à produire de l’allégeance à sa personne et à son œuvre ; il a réussi à créer un peuple de lacaniens. La rupture d’allégeance a été un acte fondateur de la société à laquelle j’appartiens, l’APF (association psychanalytique de France) ; mais c’est aussi un acte fondateur de la liberté du psychanalyste. Cette rupture n’est pas théorique mais pratique. Les séances courtes, ce n’est pas possible. C’est une cure de parole, la psychanalyse. On ne peut pas faire une analyse en recevant un patient 5 minutes. Ce n’est pas jouable.
Beaucoup d’anciens patients de Lacan ont pourtant avoué qu’ils avaient été sauvés par lui…
Oui, des curés et des hypnotiseurs ont sauvé le monde aussi. Sauver, c’est un mot messianique.
Quelles sont les grandes figures aujourd’hui du paysage psychanalytique après la disparition de Lacan, Laplanche, Pontalis, Green, Leibovici…?
Il y a un petit creux ; il y a eu une génération créative avec Lacan en agitateur de la pensée ; on n’est plus dans un moment flamboyant ; c’est plus calme.
Que gardez-vous de la philosophie dans votre pratique ? Est-elle une assise, un arrière-fond ?
C’est plutôt un arrière-fond ; un questionnement sur le sens de la vie. J’ai quitté la philosophie car l’homme en philosophie est un homme en général ; la philosophie est une expérience de la généralité. La psychanalyse est au contraire une expérience de l’extrême singularité. Il y a une richesse de la singularité, un lieu de présence de ce que l’humain veut dire.
Lisez-vous de la philosophie contemporaine ?
Oui, je lis des auteurs comme Vincent Descombes, dont le travail sur l’identité m’intéresse beaucoup.
Trois désirs, dites-vous, sont au cœur de votre pratique : la volonté d’explorer la psyché, c’est-à-dire le goût de la psychologie, la volonté philosophique de s’interroger sur la nature humaine, et la volonté médicale de guérir. Lequel de ces trois désirs est le plus fort chez vous ?
Les trois sont présents, selon des modes divers, en chacun des psys. On tricote tous ces trois pôles avec des différences selon les cas. C’est souvent les modalités du transfert, de l’expérience avec un patient, qui fait qu’on est plus du côté du soin ou de la volonté de saisir la complexité humaine
Eduquer, gouverner, psychanalyser ; ce sont ce que Freud appelait trois métiers impossibles. Faites-vous un métier impossible ?
Bien sûr, mais sans emphase. L’inconscient, cette part de soi que l’on n’accepte pas, on n’en vient jamais à bout. On espère que l’analyse ouvre sur des libertés nouvelles. Mais on ne se débarrasse pas de l’inconscient, ni de l’angoisse.
Vous évoquez une scène d’humiliation face à André Green, lors d’un colloque sur l’après-coup. Pourquoi ?
Cela a été ressenti comme un moment violent, pour moi, mais aussi pour l’assistance. Je raconte ce moment où, après mon intervention, il cherche à me néantiser ; je n’existe pas, alors qu’il est censé parler de ce que j’ai écrit. Il vise à détruire. Il me renvoie au néant. Et je raconte le soulagement quand on s’est rendu compte que je n’étais pas mort, lorsque j’ai repris la parole en disant que la nouvelle de ma disparition était une nouvelle un peu exagérée, une phrase de Mark Twain. Quelqu’un qui fait de l’humour est quelqu’un qui n’est pas mort. L’humour suit le dégagement. Le dégagement, c’est quand la pensée cesse d’être sidérée, écrasée ; c’est le moment où je repense. Le mouvement consiste à attaquer la prétention d’un psychanalyste d’occuper une position de vérité, de surplomb. J’ai retracé cette histoire parce que c’est aussi une expérience analytique. Comment survivre à l’humiliation, à la honte ? C’est très compliqué de se dégager de la honte. Les souvenirs de honte, remontant à l’enfance, sont des souvenirs qui ne passent pas. Un souvenir de honte d’enfance n’est jamais un bon souvenir, contrairement à d’autres avec lesquels on peut prendre du recul.
Comment s’en accommoder ?
En parler contribue à atténuer la blessure. Mais on ne fait pas disparaitre la blessure narcissique. Soit on l’évite, soit on la garde intacte.
L’humour est-il une ressource contre l’angoisse ?
Oui, l’humour permet un pas de côté, de voir les choses autrement ; quelque chose se déplace.
La psychanalyse ne sauve pas, disiez-vous ; à quoi alors sert-elle alors ?
Transformer, changer, lever les auto-entraves, gagner en liberté, sortir de la prison que l’on s’est soi-même construite.
Jacques André, Psychanalyse, vie quotidienne (Stock), 226 p, 18,50 €
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